Elysées 2012

Ecart

DCe fut le la Une du JDD qui en fit ses délices ; le grand débat de la semaine histoire de pimenter une campagne qui semblait ronronner, au grand plaisir assurément du président sortant qui dut bien y trouver raison d 'espérer, à l'opposition sinon de s'inquiéter au moins de demeurer prudente.

Il n'est pas faux qu'un des sondeur donnait la semaine dernière un 32/25 quand le second affirmait un 27,5/26,5 - les deux en faveur de Hollande. Données confirmées par TNS Sofres dans la même semaine qui indiquait 30/28.

D'emblée les commentaires se mirent à fuser : les uns sur les résultats, les autres, coutumiers dans ces cas là, prompts à entamer procès en inquisition sur la validité des sondages.

Sur les résultats

Trois remarques s'imposent :

- la montée de Sarkozy après son entrée en campagne est tout sauf surprenante d'autant que celle-ci fut tonitruante et qu'il n'aura cessé depuis 2 semaines d'enchaîner plateaux de télévision à meeting en jouant comme il était prévisible phrases chocs, annonces quotidiennes. La réduction de l'écart au premier tour en est la suite logique même si les différentes enquêtes ne le situe pas au même niveau. Pour autant que l'on se souvienne que les sondages, selon l'expression consacrée, sont une photographie de l'opinion à un instant t, il importe de repérer les tendances et non les valeurs brutes. A ce titre, il serait judicieux d'observer, à la loupe, l'évolution de cet écart dans les trois semaines à venir qui seule pourra donner une indication fiable. Il semble bien pourtant, même si c'est encore trop tôt pour s'en assurer avec rigueur, que le rebond de Sarkozy ne soit ni si décisif qu'il eût pu l'espérer, ni si solide que cela et tenir plus aux reports des intentions de Nihous, Boutin et Morin.

- Tendance lourde et qui ne semble pas véritablement changer : les intentions du 2e tour qui donnent Hollande non seulement vainqueur mais surtout largement vainqueur avec des écarts qui restent étonnamment élevés et que le candidat sortant ne semble pas en mesure de réduire pour le moment. Entre 55 et 59% pour Hollande selon les enquêtes, voici un résultat qui semble stable même si on observe le même différentiel entre les sondeurs, mais qui offre la même tendance : une victoire Hollande avec un score élevé. Quand on se souvient que les résultats élevés obtenus par des sortants ne dépassent guère les 55% pour de Gaulle en 65 et 54% pour Mitterrand en 95 ; qu'il faut évidemment ne pas tenir compte des scores de Pompidou en 69 ni de Chirac en 2002 dans la mesure où la gauche n'était pas présente au second tour, on peut trouver étonnant ces prévisions qui placent la barre si haut. Qui la placent d'ailleurs de manière constante depuis mai dernier avec une régularité de métronome comme s'il s'agissait ici d'une tendance lourde et d'un handicap infranchissable pour le candidat sortant. Début mars, c'est-à-dire à moins de deux mois de l'échéance du 1e tour, à un moment où d'ordinaire, les courbes commencent à se croiser ... rien de vraiment décisif ne se passe et il paraît même que le rebond sarkozyste s'essouflerait déjà.

- La bi-polarisation de ce scrutin semble jouée d'avance qui nuit assurément aux autres candidats : M le Pen marque le pas, ainsi que Mélenchon et surtout Bayrou qui ne renouvelle pas l'exploit d'il y a cinq ans où il était monté jusqu'à 18% dans les intentions de vote. Sarkozy joue délibérément la droite toute en faisant jouer non seulement Guéant mais en entonnant lui-même le grand air du danger de l'immigration essayant explicitement de renouveler l'exploit de 2007 d'affaiblir le vote d'extrême-droite quitte à en épouser les thématiques et risquer de s'y compromettre. Hollande joue tellement les marqueurs de gauche - et la fiscalité sur les très hauts revenus en est un exemple flagrant - que presque plus aucune place décisive ne subsiste entre ces deux-là. L'opinion semble tellement attendre le duel Hollande/Sarkozy, semble d'ailleurs tellement en avoir tranché l'issue que le risque de lassitude, voire de désintérêt n'est pas à négliger.

Sur les sondages en eux-mêmes

- L'écart entre les sondeurs n'est pas chose nouvelle : L'Express a raison de rappeler que ce fut déjà le cas en 2007

Les 26 et 27 février 2007, sont publiés concomitamment trois sondages des instituts Ipsos, Ifop et LH2. Le premier place Nicolas Sarkozy à 31%, Ségolène Royal à 26% et François Bayrou à 17,5%. Cette enquête, à huit semaines du premier tour, donne une photographie qui ressemble de très près au résultat final. Le deuxième sondage met Nicolas Sarkozy à 29%, devant Ségolène Royal à 25,5% et François Bayrou à 19%. Enfin, le troisième indique des résultats voisins au premier tour mais l'institut estime que les intentions de vote au second tour se répartissent 50-50 alors que les deux autres donnent un net avantage au futur Président de la République (53% contre 47% ou 52% contre 48%).

Il y a cinq ans, jour pour jour, les enquêtes donnaient donc des résultats à peu près aussi dispersés qu'aujourd'hui. Les certitudes -ou les incertitudes- des électeurs interrogés étaient de même niveau. Surtout, les estimations contradictoires sur le deuxième tour laissaient penser que le résultat n'était pas acquis et que le déplacement d'un ou deux points des électeurs en faveur de Ségolène Royal pouvait faire basculer le pronostic majoritaire. (2)

L'explication qu'on en peut donner est multiple et, d'ailleurs, plutôt incertaine :

- l'électorat lui-même encore assez incertain qui révèle des changeurs assez nombreux encore notamment dans les intentions de vote pour Bayrou mais qui se manière générale se situent aux alentours de 30%.

-l'offre politique qui se resserre avec le renoncement de Nihous, Boutin et Morin tous trois en faveur de Sarkozy. Il faudra naturellement un peu de temps avant que les enquêtes puissent durablement mesurer les transferts d'intentions.

- le vote d'extrême-droite qui aura toujours posé problème aux enquêteurs qui ne peuvent l'évaluer qu'en jouant avec des redresseurs dont la fiabilité peut être aisément prise en défaut. Avec des intentions encore assez élevées, plus élevées en tout cas qu'en 2007, le vote d'extrême-droite peut encore réserver des surprises même s'il est désormais peu probable qu'un 21 avril puisse se produire, mais incertitude qui a des effets jusqu'à gauche où les intentions cachent un vote utile pour Hollande qui pourrait être élevé en cas de risque le Pen et donc pourraient siphonner le vote Mélenchon ou au contraire le gonfler en cas de bi-polarisation assurée. Même remarque à droite où l'on peut deviner les incertitudes (60%) si fortes des intentions en faveur de Bayrou.

- le parti-pris de certains instituts, leur proximité d'avec le pouvoir. La suggestion en a été faite par F Martel, journaliste à l'Express, sur son blog pointant la grande proximité culturelle et politique du JDD avec le sarkozysme, ce qui a tellement irrité le JDD qu'il envisage de porter plainte. Que le pouvoir ait des accointances avec les médias, on le sait mais après tout la gauche elle aussi a des organes de presse qui lui sont idéologiquement proches. Que dans certains cas - le Figaro - le parti pris soit si évident que les journalistes aient pris soin de rappeler les règles de déontologie à un E Mougeotte qui n'a jamais fait mystère de ses préférences est une évidence. Que des instituts de sondages en viennent à bidouiller leurs résultats, j'y crois peu. En revanche que selon leurs résultats tel ou tel camp mette plutôt en évidence celle des enquêtes qui lui soit favorable est après tout de bonne guerre.

Au bilan

Un vrai paradoxe qui obsède tous les commentateurs entre les résultats des enquêtes qui depuis bientôt un an donnent Sarkozy battu et de loin, d'une part ; et le sentiment que pourtant rien n'est encore joué, que tout peut encore se passer et cela jusqu'à la dernière minute.

Nous avons relevé, depuis le début de cette chronique, la colère montante du peuple, qui pour le moment se traduit non pas par le désamour mais par un constant rejet du personnage Sarkozy. Tous sentent confusément que cette colère pourrait bien prendre demain des formes moins pacifiques dont les incidents de Bayonne ne sont qu'une aimable préfiguration ; dont le vote Mélenchon pourrait être la surprise ; dont les législatives à venir pourraient bien être la première sanction ; dont les décisions invariablement difficiles que prendra le vainqueur quel qu'il soit, pourraient bien être le déclencheur.

Nous avions écrit que cette élection pourrait être celle des surprises : ce paradoxe en est une forme. Qui augure mal de la suite.

 

 

 

 

 


 

1) TNS Sofres

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2) L'Express