Elysées 2012

La campagne Mélenchon

Une insurrection qui éclate c'est une idée qui passe son examen devant le peuple
Victor Hugo

Ce que le presse en dit passe à côté des deux caractéristiques essentielles de la campagne qu'il mène.

Une campagne républicaine

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Un vrai travail républicain dans la mesure même où, à écouter ses meetings, on se situe très loin du barnum ; du grand spectacle.

Mélenchon conçoit ses discours comme de grandes explications, des kits à penser et à expliquer et de ce point de vue, il est indéniable qu'il confère une dimension pédagogique à ce grand moment de démocratie. Force est de constater que depuis l'effondrement du PC, depuis que les partis avaient délaissé les marchés du dimanche matin, la classe ouvrière aura été laissée seule, livrée à elle-même ou plus exactement au seul activisme des militants du FN. Il était temps qu'un discours politique s'adresse à son intelligence et non à ses passions ou à ses peurs vite virées en haines.

Un vrai travail républicain encore dans sa lutte acharnée contre le FN. Déclarer comme il le fait presque à chaque meeting que la mission consiste d'abord à aller rechercher les ouvriers égarés du côté du FN, ne rien laisser passer de ce que Le Pen peut dire, déclarer que le FN est l'ennemi absolu qu'il faut absolument combattre est de salubrité républicaine. Lui le fait ; il est le seul à le faire clairement ! Il faut regretter que sur ce terrain-là le PS soit si timide. Il faut le dire, le parti de Gauche sauve l'honneur et il le fait avec maestria.

Un vrai travail républicain parce qu'il ressuscite à gauche du PS un courant qu'on sentait présent mais qui ne trouvait plus à s'exprimer depuis l'effondrement du PC. Il suffit de regarder les résultats de la gauche de la gauche (PC plus les trotskystes) (1) pour s'apercevoir que ses résultats très élevés ne se sont réduits à 8,6% qu'à la dernière élection de 2007 : que c'est bien l'effondrement du PC qui, presque mécaniquement gonfle les performances de l'extrême-gauche. Il n'y a donc pas à s'étonner que la performance du Front de Gauche siphonne quelque peu les perspectives des trotskystes crédités dans les sondages de scores confidentiels. Il y a, manifestement, en France, un courant radical, antilibéral, héritier des tendances révolutionnaires du marxisme de la grande époque - un courant qui oscille entre 8 et 15 % dont le PC était la colonne vertébrale jusqu'en 81. L'opération politique de rassemblement de ces courants, issue du non au référendum européen, qui aboutit à ce que le PC non seulement ne présente pas de candidat - ce qui lui était déjà arrivé puisqu'en 74 puisqu'alors il avait d'emblée soutenu Mitterrand qui du coup arriva en tête du 1e tour avec 43,25% - mais fasse en plus porter ses couleurs par un ex-socialiste, cette opération semble être, d'ores et déjà une réussite dans la mesure où elle donne une expression politique à un courant orphelin depuis plus de 20 ans ; dans la mesure aussi où, les photos et les témoignages des meetings semblent le confirmer, ce ne sont plus seulement les anciens du PC qu'il attire mais de jeunes générations qui paraissent devoir prendre la relève même si la logistique du PC demeure encore la cheville ouvrière de cette campagne.

Une campagne radicale

Ce qui ne va pas, à la fois, et de manière assez ambivalente d'ailleurs, sans poser des problèmes au PS tout en lui fournissant un réservoir de voix pour le second tour.

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L'évolution du PS, depuis son passage au pouvoir ( trois fois cinq années entre 81 et 2002) aura évidemment fortement contribué à le transformer. Désormais parti de gouvernement qui se doit de donner des gages de sérieux, de compétences et de rigueur, il ne peut plus être seulement ce parti au verbe haut qui clame d'autant plus aisément la rupture avec le capitalisme qu'il sait ne pas devoir ou pouvoir le faire jamais. Le PS est confronté à sa propre histoire, à sa propre pratique du pouvoir et indéniablement il se sera sinon centrisé en tout cas déradicalisé. Social-démocrate au plein sens du terme ; social-libéral écrit-on parfois de ce côté-ci pour fustiger sinon la trahison en tout cas le revirement du PS qui aura délaissé la rupture au profit d'une gestion sociale de l'économie libérale.

Épine dans le pied du PS ? Non, tout simplement l'itérative question qui hante toute l'histoire de la gauche, de la difficile union de 1905 qui crée la SFIO, au congrès de Tours qui la divise ; de l'union du Front Populaire en 36, mais sans participation, à la division rude des années de la IVe République; de l'union autour du programme commun de 72 à la paix armée des années Mitterrand ; de l'entrée de ministres communistes dans le gouvernement Mauroy en 81 à leur sortie en 84 ; à leur retour en 97 sous Jospin ...

C'est toute l'histoire de la gauche qui défile entre les révolutionnaires qui veulent en finir avec un système économique dont le marxisme leur a appris qu'il était non seulement injuste mais encore destructif mais aussi incapable de se prolonger sans crises et les sociaux démocrates plus enclins à tempérer, à gérer le système de manière plus juste, moins violente, plus républicaine quitte à reporter à plus tard, toujours plus tard, le moment du grand soir ...

Cette rupture a deux nouveaux noms qui correspondent à l'état actuel du système capitaliste, ou industriel comme on voudra : il a nom mondialisation d'un côté ; financiarisation de l'autre. Et, même au PS, on sent bien, même si c'est encore le courant le plus sage qui l'emporte, que le souci de radicalité reste présent - regardons simplement le score que fit Montebourg lors des primaires de cet automne.

Cette rupture citoyenne a de nouvelles formes : il faut bien repérer ce qu'avance Mélenchon quand il parle de révolution ou d'insurrection citoyenne. On a bien les mots de la liturgie révolutionnaire mais on a d'abord un retour aux canons de la République comme si - et c'est bien le fond de l'affaire - c'étaient les fondamentaux de la République qui étaient remis en question ; on a ensuite une volonté de se saisir des outils même qu'offrent la technologie moderne - Internet entre autre - en jouant sur cette révolution citoyenne, d'autres avaient dit participative, c'est-à-dire de réinventer une nouvelle manière de faire de la politique - assez dans l'air du temps - d'en appeler à l'éveil du peuple - assez conforme à l'insatisfaction que suscite la confiscation technocratique de la démocratie.

1989 est passé par là : lisons bien ses discours, les références, classiques de ce côté-ci de la gauche, à la révolution de 17, au bolchévisme, à Lénine sont à peine esquissées. Toutes les références vont à l'histoire, à la nôtre, à celle de la grande Révolution de 89.

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En Réalité, Mélenchon entonne le grand air de La Patrie en danger ! Et ceci n'est pas pour rien dans sa réussite : il renvoie non seulement à notre propre histoire, mais à une histoire commune, universelle. De Saint Just à Robespierre, de Victor Hugo à Jaurès il se réapproprie toute une tradition - avec le lyrisme qui va avec. Mélenchon ce n'est pas seulement la lutte à mort avec le FN c'est aussi, et peut-être surtout la réappropriation de sa propre histoire que le confusionnisme idéologique d'un Sarkozy en 2007 avait cru pouvoir spolier et usurper.

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Il en appelle au réveil du peuple, des peuples. A la grande colère du peuple qui s'éveille et décide de prendre en main son propre destin. Bien entendu on est ici aussi dans quelque chose qui ressemble à de la grande invocation liturgique des anciens ; mais c'est aussi se souvenir et tenter de la revivifier, combien le peuple français qui sait être si conservateur à ses longues heures, est en même temps capable de grandes colères ; combien ses colères sont toujours le fruit à la fois d'inégalités criantes et aggravées que décidément il ne supporte pas et de la certitude où il se trouve qu'on lui a confisqué sa souveraineté.

Il sait que l'histoire ne se résume pas à des élections - et en ceci aussi il incarne les fondamentaux de la gauche. Les outils électoraux ne sont jamais que des moments dont la classe ouvrière doit se saisir pour stimuler sa conscience de classe et la prolonger. Peut-être se trompe-t-il en pensant que le grand vent de l'histoire est en train de se lever : il est si difficile de prévoir l'histoire, si facile de l'expliquer après coup ; peut-être pas : il est indéniable en tout cas que les mutations profondes du système économique ( mondialisation accrue plus financiarisation extrême) préfigurent une rupture de nos modes de développement que les risques environnementaux ne font que confirmer et rendre plus cruciale encore. Il a raison en tout cas en ceci que la période n'est pas, ne peut plus être, à un débat qui tendrait à distinguer d'entre ceux qui géreraient le mieux le système, et le feraient de manière plus juste ou plus efficace ; mais d'entre ceux qui soient capables d'inventer un mode de développement qui puisse avoir un avenir dans un monde de plus en plus instable et dangereux et ceux qui se contenteraient d'épuiser les ultimes recettes dévastatrices qui épuisent les peuples de dettes et de rigueur - et le monde de pestilences inabsorbables.

La croisée encore qui nous avait fait penser dès l'année dernière que ces élections pourraient être celles de la radicalité sinon victorieuse en tout cas flamboyante.

Alors il ne faut pas se tromper ! La presse peut bien se contenter de n'y voir qu'un orateur brillant ou que le retour de la culture dans la politique qui jette une lumière si crue et si cruelle sur la froideur étriquée des technocrates ambiants et des politiques réalités ; l'essentiel n'est pas là !

Il est dans ce grand travail de mémoire et de conscience républicaine qu'il entreprend et qui permet au peuple de se regarder en face, avec fierté, et courage. Dans ce verbe qui en appelle au peuple, dans ce verbe qui se fait chair (3) ! Parce qu'effectivement c'est bien le modèle de démocratie qui est en jeu entre un président tout puissant qui ne demande rien d'autre qu'une délégation totale de pouvoir et qu'on laisserait agir, et un peuple qui se veut acteur plein et entier. Parce qu'effectivement ce sont bien les valeurs fondamentales - liberté, égalité et sans doute aussi désormais fraternité - qui sont en jeu, en péril dans les mutations sociales et économiques en cours. Parce qu'effectivement c'est bien aussi au péril fasciste qu'il faut répondre, que ce soit sous sa version techniciste douceâtre ou plus violente, un péril qu'il importe de bien mesurer, d'endiguer, d'éliminer.

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Il est dans la grande synthèse idéologique entre la tradition républicaine, l'impératif écologique et la lutte sociale : qu'il ait dans son récent discours de Clermont rappelé la cohérence de son projet de réindustrialisation et de planification écologique n'est pas de peu d'importance. On peut y voir évidemment une tentative de récupération des voix écologistes en perdition : on doit y constater plutôt un effort de synthèse entre l'écologie et le social qu'on imaginait pouvoir surgir du rang des écologistes ; qui vient d'ici plutôt. Mais qu'importe, pourvu qu'il ait lieu.

Alors oui, évidemment, qu'importe le score qu'il fera, alors même qu'il est convenu qu'il ne saurait parvenir au second tour ; importe seulement qu'il soit suffisamment fort pour contraindre le PS à ne pas tout lâcher de ses tentations bourgeoises ; suffisamment dynamique pour être le premier temps d'un mouvement assurément plus ample, plus long et autorise demain une recomposition politique.

C'est ce moment là que nous verrons naître - ou passer le 22 avril ! Qu'importent alors les critiques de surface que désormais les journalistes peuvent faire qui ne voient que la verve du candidat quand il faut scruter la dynamique d'un mouvement ; que les ruses stratégiques quand il ne faut considérer que l'ancrage délibéré à gauche.


 

1)les résultats de la gauche de la gauche depuis 95 .

 

2)sur le Congrès de Tours : l'intervention de Blum

les textes classiques autour du socialisme

3) comment ne pas songer à cette belle intervention de Jaurès ?

A l'Assemblée Nationale le 4 décembre 1905

M. Jaurès : La liberté, c'est l'enfant de la classe ouvrière (Applaudissements sur divers bancs à gauche et à l'extrême gauche), née sur un grabat de misère, et de mine chétive encore, mais qui porte en soi une incomparable vitalité secrète et dont le regard de flamme appelle la liberté d'un monde nouveau.

Oui, Sembat avait raison de dire que trop souvent la beauté des chefs-d'œuvre où est condensé le génie de la France est pour les ouvriers, pour les prolétaires, ou trop ignorants encore ou dévorés par la besogne de chaque jour, un livre fermé. Mais ce n'est pas seulement par les livres, c'est par une tradition vivante et active que toute la pensée de la France s'incorpore peu à peu à l'esprit de la classe ouvrière, à l'esprit du prolétariat. Les ouvriers du XVIIIe siècle avaient très peu lu, et Voltaire et Rousseau et Diderot et l'Encyclopédie, et pourtant, lorsqu'au début de la Révolution, dans le cours de la Révolution, ils eurent besoin de défendre contre l'Église les libertés révolutionnaires naissantes, ils s'approprièrent, en quelques mois, toute la critique voltairienne, et c'est seulement dans les ouvriers de nos faubourgs qu'elle a gardé toute sa vivacité et toute son étincelle. (Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)

M. Massabuau : Rabelais avait précédé Voltaire.

M. Jaurès : ils n'avaient pas lu Jean-Jacques...

M. Charles Benoist : Heureusement !

M. Jaurès :... mais lorsque la Constituante créa des citoyens actifs et des citoyens passifs, lorsque le peuple eut besoin, pour défendre son droit, de proclamer l'entière démocratie, c'est lui et lui seul qu'il assimila et appliqua jusqu'au bout dans ses conséquences ultimes... De même les ouvriers n'ont pas eu besoin de lire ce qui, dans l'Encyclopédie, touche aux détails techniques de l'industrie, ce qui glorifie le travail manuel ; ils n'ont pas eu besoin de cette lecture pour prendre peu à peu conscience dans la démocratie, dans la patrie, de la dignité, de la beauté, de la puissance du métier manuel exercé par eux. Et maintenant, lorsque tous ensemble, syndicats fédérés aux syndicats, fédérations de métiers réunies aux fédérations de métiers, ils groupent, dans une organisation harmonieuse, toute la volonté de l'industrie ouvrière, ils réalisent une sorte d'encyclopédie vivante qui est l'accomplissement de l'Encyclopédie du XVIIIe siècle. (Applaudissements à l'extrême gauche.) Ainsi, Messieurs, ce n'est pas par la tradition des livres, c'est par la tradition de l'histoire que la pensée de la France s'incorpore à la substance même de la classe ouvrière. C'est dans le prolétariat que le verbe de la France se fait chair. (Exclamations à droite, Applaudissements à l'extrême gauche). J'ose dire, sans jouer des mots, que plus les ouvriers seront révolutionnaires, plus ils le seront délibérément, consciemment, plus ils comprendront aussi la nécessité de défendre toujours, de sauver toujours l'indépendance de la nation. (Très bien ! très bien ! et applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.) Qu'est-ce que la Révolution ? C'est le suprême effort vers l'entière liberté politique et sociale. Et comment la liberté des individus serait-elle possible dans l'esclavage des nations ? (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.) C'est pourquoi, Messieurs, vous n'avez pas besoin de redouter, pour l'indépendance et pour la sécurité de la patrie, la croissance révolutionnaire de la classe ouvrière organisée.