Elysées 2012

Dire la vérité

C'est avec ces mots que Sarkozy avait terminé son discours de Villepinte et il l'a repris à de multiples reprises : dire la vérité aux Français.

Il est temps de dire les choses telles qu'elles sont pour

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rendre la parole politique crédible dans notre pays.

Mot terrible, mot fourre-tout : l'essence même du dilemme ou du paradoxe. Comment ne pas songer au paradoxe du menteur ? Mot qui traduit toute une série de ruptures qu'il n'est pas vain de relever.

Une logique de combat plutôt que de rassemblement

On la sent depuis un moment aux invectives lancées contre Hollande : mensonge etc ; on l'a retrouvée hier dans son discours de Lyon où il a accusé Hollande de mentir, dissimuler qui (il) est et ce qu'(il) veut; de ne parler de rien, ne s'engager sur rien, de fuir la discussion, fuir le débat, fuir la confrontation, maquiller les enjeux.

Normale, après tout, cette logique puisqu'on entre désormais dans le vif du sujet, où, notamment, après l'annonce par le Conseil Constitutionnel de la liste des candidats validés, les petits candidats bénéficieront des mêmes temps d'antenne que les grands ce qui, d'habitude, les propulse quelque peu. Compréhensible de la part du candidat sortant qui, on le devine, ne se sera pas présenté pour faire de la figuration et cohérente enfin avec son profil d'hyper-actif et de communiquant hors-pair qui se sera toujours senti propulsé par la difficulté.

Regrettable néanmoins que cette logique guerrière tant on eût aimé que ce grand débat que les français conviennent d'avoir à période régulière soit entaché de tant de passions, de suspicions et d'invectives quand on eût espéré un peu plus de raison, d'arguments et d'explications.

Mais ne soyons pas naïfs, telle est la loi du genre et la profusion pléthorique des sondages qui se télescopent désormais à un rythme échevelé n'est sans doute pas pour arranger les choses. L'enjeu est de taille et l'attrait du pouvoir immense.

Cette logique de combat s'inscrit entièrement par le thème de la vérité parce qu'après tout nul ne se proclamera jamais mentir, tous se revendiquent évidemment de la vérité, en sorte que lorsqu'on parle de vérité c'est nécessairement contre tous ceux qui parlent autrement, et donc de mensonge. Celui qui parle de vérité tient une arme à la main, prompt à estourbir, prêt à pourfendre. Toujours ! Il faut peut-être lire Cioran pour s'en souvenir : la certitude tue autant que les bonnes intentions. Il n'y a pas pire que ceux qui parlent sur le surplomb de la vérité car il parlent d'absolu. Or l'absolu ne supporte pas le contraire et bien mal la contrariété.

L'abandon du récit épique pour la sage soumission

On ne s'en est pas vraiment rendu compte mais ce faisant, Sarkozy délaisse cette grande partie de storytelling qui lui avait pourtant plutôt réussi.

Finie la grande épopée qui vous transporte, achevé le grand récit qui vous exhausse, épuisée la saga qui vous exalte. Il y a cinq ans, il racontait l'histoire d'une trahison, celle de la gauche qui aurait oublié de défendre ceux qui travaillent, oublié l'égalité, l'école etc. Il entonnait l'air du plus seriné jusqu'à satiété prolongeant l'espérance d'un progrès nécessaire qu'il suffirait de bien savoir gérer et vantait les mérites héroïques d'une volonté qui finirait bien par faire plier le réel.

Désormais c'est l'inverse : la vérité a le dernier mot qu'il faut dire et reconnaître et à quoi il faudra bien se soumettre.

Derrière vérité, il y a dette qu'il faudra bien éponger ; il y a sacrifices qu'il faudra bien demain consentir

On n'est plus dans le plus mais dans le moins. Ce n'est plus le Triomphe de la volonté mais le règne de la sagesse. Au j'ai changé d'il y a cinq ans a succédé les j'ai appris, j'ai compris de Villepinte c'est-à-dire l'exhortation de celui qui, au dessus, sait et guide. La vérité a le goût amer de la rigueur, de la purgation ! Non pas de l'enthousiasme mais de la résignation - au moins temporaire. De la remise à plus tard de l'espérance : c'est bien ici le grand retour au principe de réalité.

Ce qui ne va pas sans contradiction : l'hyper-actif rassemblant sous son aile volontariste l'essentiel des pouvoirs et des mots d'ordre convenait assez bien avec le récit enthousiaste de l'adolescent impétueux prêt à tout bouleverser pour parvenir à ses fins ; ce retour à la sagesse télescope désormais autant le rythme qu'il imprime à sa campagne (omniprésence sur les ondes autant que sur les estrades, visites et meetings quotidiens) non plus qu'à cette curieuse stratégie consistant à ne pas dévoiler son programme mais à ponctuer chaque jour d'une mesure nouvelle. Le sage a le temps pour lui et, malgré les adversités, déploie son action dans la calme détermination de la cohérence de sa sagesse ; au contraire l'hyper-actif demeure dans l'instant, l'instantané, l'image et le coup de communication quitte à laisser l'impression d'une incohérence. Le volontaire est un stratège qui cherche la brèche et enfonce le clou où l'adversaire est au plus faible ; il est dans le rapport de force assurément mais pas dans le temps. Cette contradiction finira bien par apparaître.

Une logique de la révélation

La vérité - qu'il ne faut décidément pas confondre avec la réalité - participe toujours du dévoilement, de la révélation qu'elle signe étymologiquement. Elle ne dit pas autre chose que l'apocalypse qui est bien effectivement cet effort mené pour faire remonter à la surface ce qui a été enfoui. Par qui ? Le discours de vérité porte toujours en lui, plus ou moins consciemment, quelque chose de l'eschatologie, de l'ordre des fins dernières du monde. Il faut entendre l'annonce répétée si souvent de ce monde qui ne veut pas mourir et de ce monde qui a peine à naître.

Celui qui parle de vérité - et non d'autorité ce que son statut de sortant lui eût permis de tenir - se fait capitaine des vents contraires, passeur mais plus sûrement encore prophète fondateur. Il est celui qui conduit d'un monde à un autre, quitte à en payer le prix par une préalable errance dans le désert. Oui, celui qui parle de vérité se fait passeur, ou pasteur, conduisant les brebis égarées et parfois rétives vers la nouvelle alliance promise.

On ne parle jamais impunément du surplomb de la vérité ! Il faut savoir en tenir la hauteur qui suppose à la fois la lumière du buisson ardent et la violence des épures nécessaires. Qui suppose toujours plus ou moins les larmes et le sang avant l'éclat de l'espérance.

Car la vérité est affaire de soumission et non de volonté que ce soit dans l'ordre du savoir ou de l'action. Car l'action n'est possible et efficace que sur fond de l'acceptation préalable, même feinte, du réel. car la réussite n'est possible qu'avec le vrai, quitte à en canaliser le cours, mais jamais contre lui. Nous avions, il y a cinq ans, le héros bravant les éléments de son inépuisable volonté ; nous avons aujourd'hui le passeur, le prophète !

Une logique de dénonciation

Mais enfin, dire la vérité, la dévoiler, revient toujours à dénoncer les forces contraires qui ne visent à rien d'autre qu'à la cacher, à l'enfouir. Il ne faut donc pas s'étonner de voir alors fustiger, la classe politique elle-même, les corps intermédiaires, voire la finance internationale... Non plus que d'assister, via le référendum, à l'appel au peuple comme recours ultime face à la crise, au blocage. Le jeu est dangereux pour ce qu'il jette le discrédit sur la classe intermédiaire et rejoint ainsi des thèmes de campagne pas si éloignés que cela de l'extrême-droite, et si l'on ne se méfiait pas du concept, il serait facile de le qualifier de populiste. Mais on n'en a jamais fini avec un problème en le qualifiant seulement, d'autant que populisme est assurément un concept fourre-tout et paresseux.

Aussi paradoxal que ceci puisse paraître, pour autant que vérité renvoie au logos, à la raison, il faut bien admettre pourtant que la vérité, étant cela même qui ne se discute pas mais s'impose, ce qui éclaire mais aussi ce qui éblouit, instaure le degré zéro du débat, de l'échange ou de la discussion. A l'antithèse exacte de l'esprit républicain. Celui qui parle d'autorité n'expose pas mais impose ; n'explique pas mais implique. Et montre du doigt. Il refuse toute alternative d'où le jeu sur les évidences simples du type il n'y a pas d'autre solution, il n'y a pas d'autre choix possible.

Au bilan

On retrouve ici la posture du sauveur que nous avions déjà repérée mais d'un sauveur inspiré. On ne s'étonnera donc pas d'entendre ressurgir les grands accents gaulliens qu'on avait crus étouffés par la culture bling-bling. Les Français, aidez-moi sont autant de réminiscence qui renvoie à la mission de guide que de Gaulle avait conférée à la présidence de la République.

Retour au religieux par un certain aspect, revoici, au choix, ou le Messie ou le prophète, c'est-à-dire l'ange : nous n'en sommes plus aux grands sermonts (sur la Montagne) de qui rassemble et en appelle à l'amour, mais bien plutôt au glaive des temps ultime.

Ce qui est, à la fin, en revenir au récit, implicite mais glorieux ; efficace parce que toujours implicite.

En réalité, quand ce pays se retrouve face à lui-même pour définir son avenir, toujours il en revient à ses rêves originaires.

On a désormais, face à face, le récit républicain de 89 et surtout 92, d'un côté ; le Deutéronome, de l'autre. Ce pays, décidément, ne cesse jamais de réécrire son histoire.


1) Pour commander à la nature, il faut préalablement lui obéir Bacon