Elysées 2012

L'écologie n'est pas morte, c'est l'écologie politique qui n'existe plus
Dominique Simonnet

Article paru dans l'édition du 03.04.12


Personne n'en doute : à la présidentielle, le parti Europe Ecologie-Les Verts (EELV) va mordre la poussière, et on le crédite déjà d'un score lilliputien. On pourrait en déduire que l'écologie ne va pas bien, et que les Français n'en ont cure. On aurait tort.

A cette désaffection apparente, il y a d'abord des raisons de circonstance. A l'évidence, dans les préoccupations des Français frappés par la crise, l'environnement passe après le retour à l'emploi, le pouvoir d'achat et la protection sociale. Certains experts ont beau expliquer qu'une économie de l'après-pétrole, fondée sur les services, les échange virtuels et les ressources renouvelables, permettra d'assurer un avenir plus sûr, nombreux sont ceux qui ne peuvent attendre, pour retrouver une vie décente, des lendemains écolos qui chanteront peut-être, ou peut-être pas.

L'écologie souffre aussi d'une campagne qui, comme le remarquait ici André Glucksmann (Le Monde du 17 mars), ignore le monde extérieur : alors que la mondialisation bouleverse tous les secteurs d'activité, que les révolutions du Moyen-Orient interpellent nos démocraties, que les défis environnementaux majeurs réclament une sagesse internationale (jusque-là introuvable), on fait en France comme si on vivait entre soi, derrière la ligne Maginot de nos vieilles certitudes. Rien d'étonnant que, dans ce contexte, les considérations écologiques, globales, soient aussi négligées que les enjeux de politique étrangère.

Et puis, qui ne l'a vu ? Le parti écologiste a remis au goût du jour les pires pratiques manoeuvrières, dignes de la IVe République, en concluant avec les socialistes des accords en trompe-l'oeil dans le seul but d'obtenir des circonscriptions et des portefeuilles. Les électeurs, plus intègres que les piètres stratèges politiques ne le croient, n'aiment pas être pris pour des imbéciles, et sanctionneront cette drôle de manière de faire de la « politique autrement ». Plus encore, ils sentent que quelque chose ne va pas dans cette soupe idéologique, et ils ont raison.

Alors, disons le clairement : l'écologie politique n'existe pas ! Elle fut autrefois, dans les années 1970, une illusion pour ceux qui, à peine sortis de l'adolescence, rêvaient de changer le monde et de fonder un nouveau clivage plus pertinent, plus adapté à la modernité, croyions-nous, que l'archaïque séparation droite-gauche.

Nourris par les réflexions d'économistes, philosophes, scientifiques (Ivan Illich, Serge Moscovici, René Dumont et tant d'autres), fascinés par la contre-culture californienne, nous brassions alors de jolies idées : une économie postindustrielle fondée sur des ressources durables, des relations plus harmonieuses entre la planète et l'individu, une articulation plus éclairée du savoir et de la technologie, une plus grande autonomie donnée aux entités locales...

Cette alchimie-là, incertain mélange libéral et libertaire, ne s'est pas précipitée en une pensée singulière susceptible de fonder une force politique nationale cohérente. C'est peut-être mieux ainsi. Aujourd'hui, l'« écologie politique » n'est plus qu'un masque aux couleurs passées derrière lequel se cache EELV pour tenter de dissimuler (bien mal) la vacuité de sa pensée au moins égale à sa soif de distinctions, dans le seul but de sucer le sang du Parti socialiste (dommage pour les jeunes gens sincères qui, par idéalisme ou naïveté, se sont fourvoyés chez eux).

Ce n'est donc pas l'écologie qui bat de l'aile. Mais ceux qui y ont fait leur nid comme des coucous. L'écologie, appellation fourre-tout, désigne en réalité une myriade de groupes, mouvements et associations engagés pour une planète vivante et vivable, pour le développement des énergies renouvelables, la préservation des espaces naturels, la mer, l'air pur, le climat, les oiseaux, les baleines, les requins, les hippocampes et que sais-je encore...

Cette écologie-là, qui se désespère de se voir sans cesse assimilée aux injonctions des petits commissaires verts, s'exerce dans la société civile. Elle peut certes peser dans des instances locales, régionales - et bien sûr internationales - pour pousser les dossiers de l'environnement, mais elle ne se situe pas dans le jeu politicien. Telle n'est pas sa nature. L'écologie est culturelle, sociale, philosophique peut-être, voire poétique. C'est une pratique, un regard porté sur le monde. Ce n'est pas une politique.

Récemment, Daniel Cohn-Bendit, meurtri par l'intégrisme vert, s'étonnait de se découvrir « politiquement apatride ». On peut aussi le dire comme ceci : un parti écologiste n'a pas plus de sens qu'un parti humanitaire ou féministe. Voilà pourquoi, dans leur majorité, les écologistes, ceux de la première heure comme ceux des nouvelles générations, ne voteront pas pour les Verts. Ils le savent, eux : l'écologie politique est morte. Et ils ne souhaitent qu'une chose : que vive l'écologie !