Histoire du quinquennat

Développement durable

Depuis vingt ans, les débats sur l’écologie et le développement s’articulaient autour de la notion de développement durable, selon laquelle il faut répondre aux « besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures». Popularisée par le rapport Bruntland en 1987, elle fut surtout consacrée par le sommet de la Terre à Rio, en 1992. Concrètement, elle signifie qu’économie, social et écologie doivent aller de pair.

Mais au fil des ans, du greenwashing, de l’inertie politique et des crises économiques, l’expression “développement durable” s’est vidée de son sens, supplantée par le vocable de « croissance verte », promu par diverses organisations internationales (Unep, convention contre le changement climatique, Agence de l’énergie…). Au point que c'est la croissance verte qui a été choisie comme thème central de la conférence Rio + 20 (vingt ans après le sommet de la Terre) en juin prochain. Une partie des associations de développement, de lutte contre la pauvreté et de défense de la justice climatique en contestent le sens, décidées à promouvoir d’autres modes de développement, moins capitalistes et plus soucieux de bien-être humain. Si bien qu’à Rio, en même temps que la conférence officielle, se tiendra un sommet des peuples.

 

 

C’est dans ce contexte de bataille politique que la Banque mondiale publie ce jeudi 10 mai un nouveau rapport sur la croissance verte : « La croissance verte inclusive, la voie vers le développement durable » (à lire, en anglais, en cliquant ici). Les auteurs, parmi lesquels Stéphane Hallegatte, économiste du climat, y soutiennent que le verdissement de la croissance est « nécessaire, efficace et abordable ». Alors que dans l’Europe en crise, la transition énergétique et le verdissement de l’activité sont souvent présentés comme des mesures trop onéreuses pour des économies fragiles, les auteurs du rapport affirment au contraire que la croissance verte n’est pas forcément plus lente qu’une croissance « traditionnelle ». Et même qu’elle peut réduire la pauvreté plus rapidement « car les modes de production actuels font un usage très inefficace des ressources naturelles », explique le chercheur. Leur plaidoyer s’appuie sur une impressionnante masse d’études qui permettent d’entrer dans le détail de ce fameux « tournant vert », pour le meilleur et pour le pire de ses occurrences. 

Comment se définit la croissance verte ? C’est « une croissance efficace dans son usage des ressources naturelles, propre au sens où elle réduit au minimum ses impacts environnementaux et sa pollution, et tenace, en ce qu’elle prend en compte les risques naturels, le rôle de la gestion environnementale et du capital naturel dans la prévention des catastrophes ». D’emblée, le rapport se place dans une perspective croissanciste, c’est-à-dire qu’il considère comme souhaitable l’accroissement de la richesse, en contradiction avec les scénarios décroissants défendus par certains écologistes.

Bourse « forestière » en Amazonie

Mais ses auteurs s’en expliquent dès le départ : c’est au nom de la lutte contre la pauvreté et pour l’amélioration des conditions de vie des pauvres de la planète. Focalisés sur les pays non industrialisés, ils cherchent à réconcilier développement et lutte contre le changement climatique. C’est indirectement une réponse à l’échec des négociations onusiennes sur le climat qui achoppent depuis la conférence de Copenhague en 2009 sur le refus, notamment par l’Inde et la Chine, de brider l’accroissement de leurs capacités productives.

Oui, ces pays doivent croître, et, en effet, ils doivent croître différemment, plaident les auteurs. « La croissance verte inclusive n’est pas un nouveau paradigme », c’est la tentative de réconcilier le besoin de croissance des pays en développement avec la nécessité d’empêcher la catastrophe environnementale. Cela répond à la fois à un souci d’équité (aujourd’hui, les pays industrialisés ne représentent que 16 % de la population mais 75 % de la consommation mondiale et 41 % des émissions de CO2) et à un pragmatisme. Dans les décennies à venir, c’est bien dans les pays en développement que l’on trouvera le plupart de la croissance des revenus, des infrastructures et de la population. La nature de ce développement est donc un enjeu crucial.

Après avoir posé ce cadre d’analyse, le rapport énumère les raisons économiques de la préférence pour la croissance verte. D’abord, elle permettrait d’économiser les colossales sommes dépensées chaque année en subventions mauvaises pour l’environnement (hydrocarbures, agriculture, eau, pêche) : de 1 à 1,2 million de milliards de dollars. Cet aspect du rapport mériterait en soi une discussion serrée puisque ce flot d’argent public finance aussi des dispositifs socialement bénéfiques (emplois, tarification énergétique…). Mais il a le mérite de faire apparaître le gisement de financements que représente le tournant écologique.

Ainsi, insistent les auteurs, le problème n’est pas de trouver de nouvelles sources de financement, mission impossible en temps de crise. Mais plutôt de devenir plus « intelligents » en créant les bons outils : réformes du commerce, fiscalité environnementale, de la politique agricole commune en Europe… Par ailleurs, elle économise le coût abyssal du changement climatique et des catastrophes qui lui sont liées. Ainsi, selon ces experts, la croissance chinoise, qui atteint aujourd’hui environ 10 %, n’est plus que de 5,5 % si l’on prend en compte la dégradation environnementale et l’épuisement des ressources naturelles qu’elle entraîne. 

Ensuite, il est possible de maximiser les bénéfices locaux et immédiats en améliorant l’efficacité et la productivité. De ce point de vue, il vaut mieux endiguer d’abord l’artificialisation des sols et l’étalement urbain, avant d’investir dans de coûteuses usines de renouvelables. Il est aussi possible d’imaginer des politiques à la fois écologiques et sociales. A l’image de la « bolsa floresta » instaurée au Brésil, dans la région amazonienne, qui rémunère les communautés traditionnelles pour leur engagement à endiguer la déforestation.

Valoriser le « capital naturel »

Pour autant, et c’est le grand intérêt de ce rapport de ne pas éluder les problèmes, la croissance verte ne procède pas d’une pensée magique où tout se financerait de lui-même. « Les politiques environnementales modifient les prix et donc changent la structure de la demande, ce qui exige des ajustements coûteux dans la structure de production. La demande peut diminuer dans les secteurs très carbonés (comme la production de charbon) et augmenter dans les autres, comme les transports publics.»

Ainsi, « au moins pendant une période d’adaptation, des emplois peuvent être détruits et les pauvres risquent de souffrir en l’absence de mesures compensatoires ». Par ailleurs, d’importants investissements immédiats sont nécessaires, pour l’éolien et le solaire par exemple. La plupart d’entre eux s’amortiront avec le temps et se compenseront par les économies d’énergie qu’ils permettront. Selon la Banque mondiale, plus de la moitié des mesures nécessaires pour décarboner les systèmes énergétiques des pays en développement se paieront par elles-mêmes. Un dollar dépensé dans l’efficacité énergétique en économise deux, selon leurs calculs.

Si bien que le coût financier de ce tournant vert pourrait atteindre au bout du compte entre 140 et 175 milliards de dollars par an en 2030, soit 0,5 % du PIB des pays en développement. Par exemple, en Asie du Sud-Est, le besoin de financement net serait d’environ 80 milliards de dollars en net, soit pas beaucoup plus que les 70 milliards que la région dépense aujourd’hui pour se fournir en hydrocarbures.

En conséquence, la croissance verte doit s’accompagner de mesures compensatoires, et ne résout pas en elle-même tous les problèmes structurels (manque de main-d’œuvre qualifiée, d’infrastructures de base…).

Reste qu’en n’hésitant pas à parler de « capital naturel » – comme de « capital humain » – et de rémunération des services naturels, le rapport de la Banque mondiale reprend à son compte une vision très économiste de la nature, voire utilitariste. Il ne rassurera donc pas les détracteurs de la croissance verte, soucieux de ce que le verdissement de l’économie n’accélère pas la prédation capitaliste sur les ressources naturelles. Fussent-elles renouvelables.