Chronique du quinquennat

A droite toute *

C'est, décidément, une affaire de verre à demi plein ou vide - donc une question de regard.

Le score du FN au 1e tour des législatives n'est pas une franche réussite : la déperdition de voix par rapport au premier tour des présidentielles est pls important que d'habitude même si les scores de Marine le Pen, de sa nièce ou de G Collard sont des arbres qui cachent la forêt.

A côté, l'UMP résiste : en dépit des débuts de bisbilles à sa tête, en dépit de sa position cornélienne qui l'oblige à en appeler à une victoire qui signifierait cohabitation qu'en réalité elle ne souhaite pas.

Mais ce serait oublier les collusions de plus en plus aisément avouées, les contorsions idéologiques (Morano, NKM etc) mais ce serait oublier surtout la base électorale de l'UMP qui pousse à une alliance avec le FN - en tout cas qui ne fait plus de cette dernière une ligne rouge à ne pas franchir. Indéniablement les quelques 48% de Sarkozy au second tour de la présidentielle ainsi que le désaveu de Bayrou d'ailleurs, montrent combien l'électorat de droite est désormais dans une position électorale et une posture idéologique tout à fait confuse qui autorisent maints débordements.

Le ripolinage du FN semble produire ses effets : en dépit de ces apparences bourgeoises, bienséantes qui se veulent siplement nationales et souverainistes, le FN reste ce qu'il a toujours été mais ceci se voit moins encore que d'habitude. Marine Le Pen est habile. Et c'est bien pour cela que la lutte contre le FN ne pourra jamais être que politique ; la confrontation qu'idéologique.

Ces électeurs, parfois localement si nombreux, il faudra aller les rechercher, sur le terrain, non avec mépris, encore moins avec condescendance et cela c'est un travail de terrain que droite républicaine comme gauche s'enorgueilliraient de chercher à occuper à nouveau, à reconquérir.

On ne peut, décidément, se contenter d'arpenter les marchés seulement en période électorale.

Or, force est de constater que ni l'UMP ni le PS devenu massivement un parti de notable et de petits bourgeois, ne sont véritablement armés pour le faire.

Il le faudra bien pourtant !

Et cesser enfin d'user de ces mots valises tels que valeur !

Le subterfuge des valeurs **

JF Aquili sur France Inter s'était posé la question fin février : et si plutôt que des programmes parfois difficilement repérables, la campagne allait se faire sur les valeurs ? Autre façon de ne pas trop s'apesantir sur des lendemains qui de toute manière déchanteront, de taire les mesures drastiques qu'il faudra prendre et qui spnt tout sauf des promesses électorales.

On peut reprendre la formule d'E Morin :

La référence aux «valeurs » à la fois révèle et masque la crise des fondements. (2)

Parler de valeurs, ne l'oublions pas, c'est parler de morale sans en avoir l'air. C'est surtout mettre en évidence combien c'est du côté des fondations qu'il faut aller chercher. L'éthique n'est jamais que la prescription de nos comportements : cette prescription elle-même est justifiée par un code axiomatique qui est en dehors, au delà ; hors-jeu. On n'est pas dans le politique, ici, mais dans le méta-politique, dans cette zone, trouble, passionnante certes, mais si terriblement ambivalente où le pouvoir jouxte le sacré. Kant avait raison de nommer ceci Métaphysique des moeurs mais force est de constater que le projet de fonder la morale en raison demeure un échec.

Subterfuge deux fois la question des valeurs parce qu'elle permet à la fois d'escamoter le débat politique mais aussi qu'elle implante, dans cette zone grise des passions, des haines et des peurs qui laissent plus de place à l'invective et si peu au débat.

Mais piège politique en même temps pour la droite qui voit son patrimoine électoral amputé désormais de manière substantielle et ne parvient à demeurer au pouvoir qu'en tentant un coup de bluff - comme en 2007 - et ne pourra le reconquérir demain qu'en s'alliant, ses réserves de voix étant faibles et le centre demeurant confus. Sarkozy l'avait compris qui joua toute sa campagne sur ce terrain oiseux, souvent sulfureux, des valeurs, de la civilisation assis sur les stratégies de l'ombrageux Buisson et de l'artificieux Guéant.

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Dans cette valse où la confusion idéologique aura été à son comble - au point d'accuser la gauche d'avoir été multiculturaliste et d'avoir trahi les idéaux de la laïcité, tout aura été dit et son contraire et je ne suis pas certain qu'un tel hold-up idéologique(3) eût été possible sans l'actuelle ignorance politique de certains commentateurs sans l'actuel désert idéologique qui commence à faire lourdement peser ses conséquences délétères. Entre le pseudo-pragmatisme de la droite libérale qui a tendance à considérer toute idéologie comme funeste et le traditionnel déni du politique que l'on peut observer aussi bien chez les philosophes que chez certains modernistes dits de gauche, on aura eu tous les ingrédients pour gommer tous les repères théoriques permettant de distinguer d'entre la droite et la gauche.

A droite on trahit ... ou l'on se croit plus malin que les autres. La feinte de 2007 n'aura finalement été que le premier doigt dans l'engrenage : on ne flirte pas impunément avec les thèmes de l'extrême-droite.

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On aura mieux fait de se souvenir du précédent de 1933 : la droite parlementaire allemande avec Hugenberg et von Papen crurent bien pouvoir contrôler Hitler : on sait ce qu'il en advint. La pusillanimité n'est décidément pas de mise.

Les leçons de l'histoire n'ont pas été tirées ; elle ne le sont d'ailleurs jamais. Le piège dans lequel Morano est tombé en est un exemple parmi d'autres. Mais, décidément, quand on combat avec les armes de l'adversaire, même quand on gagne ... on perd - et pas seulement son âme.

Blum avait raison :

Vous êtes déjà vainqueurs en ceci: vous avez fini par communiquer à l'univers entier votre haine et votre cruauté. En ce moment même votre résistance sans espoir, dans laquelle on devrait reconnaître de l'héroïsme, n 'apparaît plus que comme la marque extrême d'une férocité sadique, comme le besoin de pousser jusqu'au bout le saccage et le carnage. Et nous répondons en menant la guerre comme vous avec une rage exaspérée: de part et d'autre elle prend la figure des exterminations bibliques.

Je tremble que vous ne soyez encore vainqueurs en ceci: vous aurez insufflé de vous une terreur telle, que pour vous maîtrisez, pour prévenir les retours de votre fureur, nous ne verrons plus d'autre moyen que de façonner le monde à votre image, selon vos lois, selon le Droit de la Force.

Ce serait votre victoire véritable. Dans une guerre d'idées, le parti qui triomphe est celui qui a inspiré la paix. (4)

Ce qu'il décrit ici avec l'acuité du survivant improbable, c'est le mécanisme non de la contagion, mais du mimétisme que théorisera plus tard R Girard.

Alors oui, derechef, ne pas se tromper de combat : ne pas prendre l'air offusqué du petit bourgeois qui ne serait jamais tombé dans aucun piège ; ne pas présenter cette mine dégoûtée devant un peuple qui décidément ne comprendrait jamais rien mais considérer plutôt avec rigueur et respect que la lutte à venir ne sera pas qu'économique ou sociale ; qu'elle sera idéologique.

Tout se jouera ici avec l'espoir que cette fois-ci les intellectuels ne feront pas défaut !


relire ceci et cela

1) relire ce que nous écrivions sur les valeurs et notamment les concepts

2) La méthode 6, L’ethique, Seuil, Points, 2004, p 27 et sqq

3) relire cette intervention de Fillon

4) L Blum in Notes d'Allemagne Février 1945 à Buchenwald