Histoire du quinquennat

UMP-FN,
le poison des " valeurs communes "
Editorial Le Monde du 15 juin

Cela fait bientôt trente ans que la droite française est confrontée à la concurrence du Front national et aux poisons que le parti d'extrême droite a inoculés dans la société et la vie politique du pays. Bientôt trente ans que les responsables du RPR, de l'UDF et maintenant de l'UMP se balancent d'un pied sur l'autre devant la menace que fait peser sur eux le mouvement lepéniste : partagés entre la tentation de passer des alliances avec lui pour l'emporter sur la gauche et la crainte d'y perdre leur unité, leur identité, voire leur âme.

Cette hésitation a resurgi périodiquement, depuis l'élection municipale de Dreux, en 1983 : accords lors des élections régionales de 1986 ; main tendue lors de la présidentielle de 1988, lorsque Charles Pasqua, alors ministre de l'intérieur, assure que " le FN se réclame des mêmes valeurs que la majorité " ; propos dévastateurs de M. Giscard d'Estaing sur l'immigration, assimilée à " une forme d'invasion " ; accords dans plusieurs régions en 1998, en dépit du cordon sanitaire établi tant bien que mal par les responsables du RPR.

Durant toutes ces années, cependant, le Front national restait globalement infréquentable, du fait des saillies antisémites de Jean-Marie Le Pen et de ses nostalgies plus que douteuses. Son remplacement par sa fille, le travail de " dédiabolisation " engagé par celle-ci et ses succès électoraux, amorcés lors des élections cantonales de 2011 et confirmés de façon éclatante au premier tour de la présidentielle, ont replacé la droite sous une pression redoutable.

D'autant plus redoutable que l'ostracisme à l'égard du FN paraît de moins en moins compréhensible à un nombre croissant d'élus locaux ou d'électeurs de droite. Et pour cause. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy et, plus encore, sa campagne de 2012 ont marqué un indéniable glissement vers les thèmes, la rhétorique et les obsessions du parti d'extrême droite, qu'il s'agisse de l'identité nationale, de la lutte contre l'immigration, de la protection des frontières ou de la croisade contre l'" assistanat ".

L'attitude adoptée aujourd'hui par les responsables de l'UMP, à commencer par son secrétaire général, Jean-François Copé, constitue une ultime digue pour éviter la porosité généralisée avec l'extrême droite : ni soutien au FN ni " front républicain " avec des candidats de gauche contre le FN.

Hélas, la fragilité de cette position est évidente. Non seulement des entorses ont été constatées, ici ou là, et mollement condamnées par l'état-major de l'UMP, à la plus grande satisfaction de Mme Le Pen. Mais surtout, en dépit des mises en garde d'un Alain Juppé ou d'un Bruno Le Maire, s'exprime, chaque jour davantage dans les rangs de la droite, le sentiment que celle-ci partage des " valeurs communes " avec le FN. Même François Fillon justifie désormais les propos de cette nature.

Cela ne constitue pas encore une " alliance stratégique ", comme l'a dénoncé le premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Mais une indéniable victoire idéologique de l'extrême droite, plus qu'inquiétante pour l'avenir.