Elysées 2012

Borloo à Merckel
15 Août
Libération

Madame la chancelière,

Votre venue à Paris et votre rencontre avec le président de la République constituent un symbole fort, à un moment crucial pour l’avenir de l’Europe et des économies occidentales. Une vision commune de la France et de l’Allemagne, les deux plus grandes économies européennes et principaux fondateurs de l’euro, est indispensable pour que soient prises les mesures conjoncturelles et structurelles qu’impose la crise que nous traversons. L’Allemagne a eu un rôle décisif dans la création de l’euro, la mise en place du pacte de stabilité puis son assouplissement en 2003. En ayant fait le choix de l’abandon du Deutsche Mark, l’Allemagne a fait preuve d’un engagement européen historique. Aujourd’hui, plus que jamais, nous attendons beaucoup d’une voix forte, puissante et claire de votre pays. Les décisions sont à prendre maintenant, même si c’est difficile et qu’il existe des enjeux de politique interne à chaque pays et des lobbys puissants en action. La meilleure réponse à l’instabilité des marchés sera une réponse politique ferme traitant les problèmes dans leur globalité.

L’Europe a besoin d’une position franco-allemande déterminée sur l’avenir de la zone euro. En relais de l’intervention nécessaire et utile de la Banque centrale européenne, il est indispensable de doter l’Union d’un fonds de lutte contre la spéculation sur les dettes souveraines. C’est le Fonds européen de stabilité financière (FESF), dont le volume et les modalités d’intervention ont été étendus par l’accord du 21 juillet. Nous devons lever ensemble les incertitudes qui subsistent sur le degré de participation des banques privées et les délais de ratification de l’accord par les parlements. Plus fondamentalement, nous devons le faire évoluer, car il est garanti par des pays eux-mêmes en déficit.

En clair, le FESF n’est pas appuyé sur des financements nouveaux, pérennes et stables. Or plusieurs pays européens, dont la France et l’Allemagne, ont émis favorablement l’hypothèse d’une taxe sur les transactions financières. Le peuple européen, par la voix de son Parlement, a voté une résolution appelant à la mise en place d’une telle taxe. Celle-ci rapporterait entre 50 et 100 milliards d’euros par an, selon le taux adopté, sans impact pour les citoyens et sur l’économie réelle. Cette taxe serait techniquement efficace et moralement juste. La Commission l’a évoquée dans sa communication sur les perspectives financières. Vous vous êtes vous-même prononcé en faveur de cette taxe. L’Allemagne est-elle maintenant prête à accélérer sa mise en œuvre en Europe et, comme je l’ai proposé, en affecter une part au fonds de stabilité ?

Ce fonds, en coupant court à la spéculation, va permettre d’engager l’assainissement des comptes publics de chacun des pays d’Europe, avec un cap clair, irréversible et solide et un point d’arrivée différent suivant les pays pour être socialement soutenable. Sous votre conduite, l’Allemagne a courageusement montré l’exemple. D’autres pays s’étant résolument engagés sur cette voie, chaque Etat doit désormais le faire, et notamment la France. Un consensus national est en train de se forger autour de cette ardente obligation. Le couple franco-allemand est à présent très attendu pour faire des propositions concrètes sur une coordination européenne souple de ces efforts.

D’autres décisions structurelles doivent être arrêtées le plus vite possible ; l’interdiction définitive des ventes à découvert en Europe, comme vous l’avez vous-même évoqué récemment ; la réglementation des hedge funds, comme vous l’aviez proposé en tant que présidente du G8 en 2007 ; la séparation des activités de banque de dépôt et de banque d’investissement ; la limitation des effets de levier déraisonnables. L’Allemagne est-elle prête à peser de tout son poids pour une mise en œuvre effective de ces mesures dans un délai très court ?

Plus fondamentalement, cette crise nous montre les limites d’un système économique fondé sur la consommation plutôt que sur l’investissement. Elle doit nous permettre de travailler en commun à la refondation du projet européen. Nous devons tourner le dos à la financiarisation de l’économie, au profit d’une nouvelle politique industrielle commune. Le projet européen doit être le projet des peuples plutôt que celui des marchés. A nous de faire une analyse objective et critique de la politique européenne de la concurrence et de sa politique commerciale, au profit d’une politique commune de la compétitivité. Et de mettre enfin en place une taxe carbone, ou a minima un mécanisme d’inclusion carbone, aux frontières de l’Europe. La France l’a proposé à ses partenaires. L’Allemagne y est-elle prête ?

L’Europe, les Etats-Unis et le Japon sont entrés dans une zone de turbulence. Le temps est compté. Parce que l’Allemagne est le premier exportateur mondial, parce que la France et l’Allemagne sont les deux principales économies européennes et des puissances d’influence mondiale, parce que la France préside pour encore quatre mois le G8 et le G20, le couple franco-allemand est aujourd’hui le point de responsabilité au niveau mondial. Si la France et l’Allemagne arrivent à s’accorder sur une nouvelle gouvernance économique européenne, sur un calendrier précis de mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières alimentant le fonds de stabilité, sur l’interdiction des ventes à découvert, la régulation des hedge funds et des paradis fiscaux, l’encadrement des effets de levier et l’étanchéité des activités de dépôt et d’investissement, alors nous aurons fait un pas historique vers un nouvel ordre économique et social.