Il y a 100 ans ....
Le procès Pétain
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Pétain 25 juillet 45
Déclaration faite à son procès

 

C'est le peuple français qui, par ses représentants, réunis en Assemblée nationale le 10 juillet 1940, m'a confié le pouvoir.

C'est à lui que je suis venu rendre des comptes.

La Haute Cour, telle qu'elle est constituée, ne représente pas le peuple français, et c'est à lui seul que s'adresse le maréchal de France, chef de l'État.

Je ne ferrai pas d'autre déclaration. Je ne répondrai à aucune question.

Mes défenseurs ont reçu de moi la mission de répondre à des accusations qui veulent me salir et qui n'atteignent que ceux qui les profèrent.

J'ai passé ma vie au service de la France. Aujourd'hui, âgé de près de 90 ans, jeté en prison, je veux continuer à la servir en m'adressant à elle, une fois encore.

Qu'elle se souvienne !

J'ai mené ses armées à la victoire, en 1918. Puis, alors que j'avais mérité le repos, je n'ai cessé de me consacrer à elle.

J'ai répondu à tous ses appels, quels que fussent mon âge et ma fatigue.

Au jour le plus tragique de son histoire, c'est encore vers moi qu'elle s'est tournée. Je ne demandais ni ne désirais rien. On m'a supplié de venir. Je suis venu.

Je devenais ainsi l'héritier d'une antastrophe dont je n'étais pas l'auteur. Les vrais responsables s'abritaient derrière moi pour écarter la colère du peuple.

Lorsque j'ai demandé l'armistice, d'accord avec nos chefs militaires, j'ai accompli un acte nécessaire et sauveur.

Oui, l'armistice a sauvée la France et contribuera la victoire des Alliés en assurant une Méditerranée libre et l'intégrité de l'empire.

Le pouvoir m'a été alors confié légitimement et reconnu par tous les pays du monde, du Saint-Siège à l'U.R.S.S. De ce pouvoir, j'ai usé comme d'un boucher pour protéger le peuple français. Pour lui, je suis allé jusqu'à sacrifier mon prestige.

Je suis demeuré à la tête d'un pays sous l'occupation. Voudra-t-on comprendre la difficulté de gouverner dans de telles conditions ? Chaque jour, un poignard sur la gorge, j'ai lutté contre l'ennemi. L'histoire dira tout ce que je vous ai évité, quand nos adversaires ne pensent qu'à me reprocher l'inévitable.

L'occupation m'obligeait à ménager l'ennemi, mais je ne le ménageais que pour vous ménager vous-mêmes, en attendant que le territoire soit libéré.

L'occupation m'obligeait aussi, contre son gré et contre mon cœur, à tenir des propos, à accomplir certains actes dont j'ai souffert plus que vous. Mais, devant les exigences de l'ennemi, je n'ai rien abandonné d'essentiel à l'existence de la patrie.

Au contraire, pendant quatre années, par mon action, j'ai maintenu la France ; j'ai assuré aux Français la vie et le pain. J'ai assuré à nos prisonniers le soutien de la nation. Que ceux qui m'accusent et prétendent me juger s'interrogent du fond de leur conscience, pour savoir ce que sans moi ils seraient peut-être devenus.

Pendant que le général de Gaulle, hors de nos frontières, poursuivait la lutte, j'ai préparé les voies à la libération, en conservant une France douloureuse, mais vivante.

A quoi, en effet, eût-il servi de libérer des ruines et des cimetières ?

C'est l'ennemi seul qui, par sa présence sur notre sol envahi, a porté atteinte à nos libertés et s'opposait à notre volonté de relèvement. J'ai réalisé pourtant, des institutions nouvelles : la Constitution que j'avais reçu mandat de présenter était prête. Mais je ne pouvais la promulguer...

Malgré d'immenses difficultés, aucun pouvoir n'a plus que le mien honoré la famille et, pour empêcher la lutte des classes, cherché à garantir les conditions du travail, à l'usine et à la terre.

La France libérée peut changer les mots et les vocables. Elle construit et ne pourra construire utilement que sur les bases que j'ai jetées. C'est à de tels exemples que se reconnaît, en dépit des haines partisanes, la continuité de la patrie. Nul n'a le droit de l'interrompre.

Pour ma part, je n'ai pensé qu'à l'union et à la réconciliation des Français. Je vous l'ai dit encore le jour ou les Allemands m'emmenaient prisonnier, parce qu'ils me reprochaient de n'avoir cessé de les combattre et de ruiner leurs efforts.

Je sais qu'en ce moment, si certains ont oublié, depuis que je n'exerce plus le pouvoir, ce qu'ils ont dit, écrit ou fait, des millions de Français pensent à moi, qui m'ont accordé leur confiance et me gardent leur fidélité. Ce n'est point à ma personne que vont l'une et l'autre, mais pour eux, comme pour bien d'autres à travers le monde, je représente une tradition qui est celle de la civilisation française et chrétienne, face aux excès de toutes les tyrannies.

En me condamnant, ce sont ces millions d'hommes que vous condamnerez dans leur espérance et dans leur foi. Ainsi, vous aggraverez ou vous prolongerez la discorde de la France, alors qu'elle a besoin de se retrouver et de s'aimer pour reprendre la place qu'elle tenait autrefois parmi les nations.

Mais ma vie importe peu. J'ai fait à la France le don de ma personne. C'est à cette minute suprême que mon sacrifice ne doit plus être uns en doute.

Si vous deviez me condamner, que ma condamnation soit la dernière et qu'aucun Français ne soit plus jamais condamné ni détenu pour avoir obéi aux ordres de son chef légitime.

Mais, je vous le dis à la face du monde : vous condamneriez un innocent, en croyant parler au nom de la justice, et c'est un innocent qui en porterait le poids ; car un maréchal dé France ne demande de grâce à personne.

A votre jugement répondront celui de Dieu et celui de la postérité. Ils suffiront à ma conscience et à ma mémoire.

Je m'en remets à la France.

 

 

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Les explications de la défense

Le premier président. - Étant donnée l'attitude prise par l'accusé, il m'est extrêmement difficile de procéder à son interrogatoire. Néanmoins, sans vouloir faire ce qu'on appelle un résumé, je crois qu'il est absolument indispensable que, de la façon la plus objective, j'expose les charges qui ont été relevées contre lui.

Cela ne fera pas double emploi avec le réquisitoire de M. le procureur général, mais il me semble qu'il est absolument indispensable, pour l'édification à la fois des magistrats de la Haute Cour et même pour le public, que je fasse, d'une façon aussi large que possible, le tableau de toutes les accusations qui ont été relevées contre le maréchal Pétain, en toute objectivité, bien entendu.

Le bâtonnier Payen. - Bien entendu, je n'en doute pas.

Mais nous avons encore quelques explications préliminaires à donner.

Me Isorni prend alors la parole pour demander à la Cour de donner acte au sujet de certaines irrégularités de procédure. Les poursuites ont été engagées par contumace, alors que Pétain était prisonnier des Allemands ; les principaux témoins n'ont pas été entendus ; la procédure de Riom n'a été mise à la disposition de la défense que le 19 juillet ; le parquet est la commission d'instruction ont manifesté un état d'esprit incompatible avec, l'impartialité qui doit être celle de tout magistrat, ainsi que le montrent certaines déclarations faites à la presse, etc. Me Lemaire succède à Me Isorni :

- Dans un procès comme celui que vous avez aujourd'hui à juger, déclare-t-il, il est une chose, n'est-il pas vrai, sur laquelle nous serons tous d'accord : c'est que la passion ne doit pas entrer dans ce prétoire. Sinon, si la passion entrait dans ce prétoire, les droits les plus imprescriptibles des citoyens seraient mis on péril. Les juges doivent rester des juges, que ne soient, messieurs, dos magistrats de carrière ou que ce soient des magistrats d'exception.

Mais cependant la passion, nous l'avons, comme on vient de vous le dire, retrouvée sous nos pas dès l'orée de cette instruction, et la passion était peut-être et surtout du cote du siège occupé par l'accusateur public, M. le procureur général Mornet.

M. le procureur général Mornet, s'adressant à la presse trois mois avant cette audience, c'est-à-dire le 58 avril 1945, faisait connaître son opinion.

Tumultueux incidents

Le procureur général Mornet. - Puisque je suis mis en cause personnellement, j'ai le droit de répondre. J'ai fait connaître mon opinion sur le caractère des faits qui étaient reprochés au maréchal Pétain et j'ai dit que si ces faits étaient établis, comme je le croyais, ces faits ne comportaient pas d'autre peine que la peine la plus élevée. Mais cela ne veut pas dire que j'ai dit à la presse (murmures) que je réclamerais la peine de mort. (Nouveaux murmures.)

Le premier président. - l'adresse un dernier avertissement.

Le procureur général Mornet. - Il y a en vérité trop d'Allemands dans cette salle. (Nombreuses protestations dans le public ; applaudissements et bruits divers.)

Le premier président. - Je vais faire évacuer la salle.

Le premier perturbateur qui sera pris sur le fait sera amené devant la Cour et je lui appliquerai les sanctions prévues par la loi.

Me Isorni. - Si vous le permettez, avant que vous continuiez, vous allez certainement retirer ce que vous venez de dire.

Le procureur général. - Comment ! (Protestations.)

Me Isorni - Vous avez dit : Il y a trop d'Allemands dans la salle.

Le procureur général. - Je ne fais pas de différence entre les Allemands et ceux qui soutiennent la politique allemande. (Professions.)

Le premier président. - Je demande à la police si ça continue de faire évacuer la salle. Qu'on amène le premier perturbateur.