Il y a 100 ans ....
Le procès Pétain
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LE GENERAL WEYGAND RÉPOND AUX QUESTIONS

Le président. - Lors de l'armistice, n'avez-vous pas dit : " L'Angleterre aura le cou tordu comme un poulet " ?

Le général Weygand. - Jamais je n'ai dit cela, mais je n'ai pas non plus affirmé, comme certains prétendent l'avoir fait en juin 1940, que la victoire anglaise était certaine.

Le président. - La capitulation, nous avez-vous dit, eût été déshonorante et aurait entraîné l'occupation de tout le territoire. Quand, le 11 novembre 1942. les Allemands ont franchi la ligne de démarcation, comment expliquez-vous que le maréchal se soit borné à écrire à Hitler : " Je prends acte. Je m'incline devant votre décision " ?

Le maréchal. - Je n'ai pas dit : Je m'incline.

Me Isorni. - Monsieur le président, vous faites allusion à une réponse à une lettre de Hitler. Or, il y a eu une protestation à la radio.

Le général Weygand. - J'étais à Cannes depuis un -an, ayant été relevé de mes fonctions en Afrique du Nord à la demande des Allemands. Convoqué par le maréchal, je lui ai conseillé de protester, ce qui fut fait, mais Laval, le mauvais génie du maréchal, revenant de Berchtesgaden, a arrêté la radiodiffusion du message.

J'ai demandé ensuite que cessât le combat contre les Américains. Cet ordre avait déjà été donné à l'amiral Darlan avec qui le maréchal correspondait par code secret. Les hostilités paraissaient continuer, pour faire illusion aux Allemands.

J'ai encore demandé que la flotte prit la mer. Je n'ai pas été suivi; Je ne sais pourquoi.

Enfin, J'ai recommandé d'envoyer nos garnisons dans des endroits difficilement accessibles, après quoi on aurait taché de se débrouiller. Il y a eu un commencement d'exécution; mais le secrétaire d'État à la police a fait des objections et les ordres ont été rapportés. "

Le " mauvais génie "

Le président. - Il y avait des ordres secrets, dites-vous ? Mais le maréchal, de façon non secrète, a désigné, notamment à l'amiral Esteva, les Alliés comme des agresseurs.

Le général Weygand. - Je crois que les ordres envoyés à l'amiral Esteva l'ont été par Laval, à l'insu du maréchal.

Le président. - Ce " mauvais génie ", le maréchal l'avait fait arrêter. Pourquoi l'a-t-il repris et a-t-il proclamé son accord avec lui ?

Le général Weygand. - Je ne suis resté au gouvernement que pendant neuf semaines; Je ne peux vous donner aucune explication.

Le président - Et le télégramme du 28 décembre 1942, signé : Philippe Pétain, dénonçant les chefs indignes qui ont livré l'Afrique aux Américains ?

Le général Weygand. - J'étais prisonnier des Allemands depuis le 12 novembre.

M. Delattre, Juré. - En novembre 1942, le maréchal a-t-il eu l'intention de partir ?

Le général Weygand. - Il ne me l'a jamais manifestée.

AT. Pierre Bloch, Juré. - Quelle suite avez-vous donnée à une lettre que M. Churchill vous a fait parvenir eu Algérie pendant l'hiver 1940-1941 ?

Le général Weygand. - S'agissant d'un gouvernement étranger, je ne peux répondre.

M. Pierre Bloch, -, Et une lettre du colonel Dewavrin, chef des services secrets du général de Gaulle ?

Le général Weygand. - Je n'en ai jamais reçu de lui.

M. Pierre Bloch. - Avez-vous reçu une lettre du général de Gaulle ?

Le général Weygand. - Oui.

M. Pierre Bloch, - Qu'en avez-vous fait ?

Le général Weygand. - Je l'ai gardée. (Rires.) Elle se terminait par ces mots : " Je vous envoie mes respects, si " votre réponse est oui. " Eh bien, non ! on ne m'écrit pas comme cela ! (Bruit.)

M, Pierre Bloch. - Pourquoi n'avez-vous pas tenu compte d'un télégramme dans lequel le général Noguès, à la date du 26 mai 1940, se disait prêt à se mettre à la tête des forces considérables dont la France disposait outre-mer ? Le général Weygand. - Je lui al fait connaître les raisons de l'attitude du gouvernement et lui al envoyé le général Kœllz pour savoir ses moyens de défense, Le général Noguès a du reconnaître que cette défense était impossible.

A la demande de M. Chassaing, Juré, le témoin raconte comment, le 11 novembre 1942, après avoir quitté le maréchal et vu MM. Laval et Bousquet qui lui avaient donné une garde de trjis inspecteurs, il a été arrête par des S.S. à quelques lieues de Vichy et emmené immédiatement en Allemagne.

Un coup d'Etat

M. Rous, juré. - Savez-vous qu'au moment de la réunion de l'Assemblée nationale, à Vichy, Laval faisait dire : " Il y a, dans les environs, un homme dangereux avec ses troupes. Parlementaires, votez pour mol, c'est vous délivrer de lui. "

Le général Weygand. - J'étais à Clermont et suis resté en dehors de l'affaire du 10 Juillet. M. Bium a fait, l'autre jour, allusion au général de Lattre de Tassigny, qui commandait les troupes à Clermont, mais il a ajouté qu'il était incapable de faire un coup d'Etat. Alors, mol qui n'avais pas de troupes, J'aurais fait un coup d'Etat! Mais Je n'en avals la possibilité qu'avec de Lattre, qui, lui, avait les troupee, mais en était incapable. Ce sont là des propos qui ne tiennent pas dèbout.

M. Seignon, Juré. - Vous dites avoir été relevé de vos fonctions en Afrique sur l'ordre des Allemande. Tous nos chefs civils et militaires devaient-ils être agréés par l'ennemi ?

Le général Weygand. - Non. Ma nomination avait été considérée par les Allemands comme un acte d'hostilité a leur égard. Abetz a essayé une première fois de me faire limoger. La seconde fois, il y a eu une sorte d'ultimatum et je crois que c'est l'amiral Darlan qui a cédé.

M. Seignon. - Votre successeur a été agréé par l'ennemi ?

Le général Weygand. - Mon poste a été supprimé.

M. Seignon. - Il y a bien eu ensuite quelqu'un qui commandait en Afrique du Nord ? Qui était commandant en chef ?

Le général Weygand. - Le général Juin. (Rires.)

M. Lescuyer, Juré. - Pensez-vous que, comme l'a dit le maréchal, les volontaires de la L.V.F. défendaient l'honneur militaire de la France ?

Le général Weygand. - Ah : non : Ceux qui ont porté l'uniforme allemand se sont déshonorés définitivement.

M. Perney, Juré. - Le maréchal a-t-il fait des démarches particulières pour obtenir des Allemands qu'ils vous libèrent ?

Le général Weygand. - Il a écrit a Hitler ou à von Ribbentrop. Il lui a été répondu que le général Giraud s'était sauvé, que les officiers français n'avaient pas de parole et qu'on ne me lâcherait pas, parce que j'étais un ennemi de marque.

M. Perney. - N'avez-vous pas pensé que ceux qui vous avaient appelé a Vichy savaient que voue seriez arrêté ?

Le général Weygand. - Non. Pas même M. Laval.

Le commandant Lévêque. - Que pensez-vous de l'effroyable trahison du maréchal, qui a donné l'ordre de combattre notre alliée en Syrie, puis en Afrique du Nord ? Parce que c'est tout le procès.

Le général Weygand. - Tout le procès, c’est : armistice ou capitulation. En tout cas, vous ne me ferez pas dire que le maréchal est un traître. Ma conscience s'y refuse.

Intervention du maréchal

Le maréchal Pétain. Je n'ai jamais regretté autant qu'aujourd'hui d'être dur d'oreille. J'entends quelquefois prononcer mon nom. J'entends des morceaux de réponse, mais je ne peux pas complètement lier la conversation. Aussi, Je ne puis pas y prendre part. Et cependant, dans ce que j'ai suivi en particulier du général Weygand parce que J'étais le plus près de lui. Il m'a semblé qu'il suivait complètement ma doctrine. Par conséquent, j'aurais pu le soutenir si j'avais pu prendre la parole. Je regrette beaucoup de ne pas l'avoir fait.

" Le général Weygand est un esprit sûr, en lequel on peut avoir confiance. Il traite ces questions militaires avec beaucoup d'opportunité et de précision. Pour tout ce que J'ai entendu, le peu que J'ai entendu, parce que je n’ai pas tout pu voir, je lui donne mon affirmation complète.

M. Bergeron, Juré. - Le général Weygand n'est-il pas ? l'origine de la demande de déchéance de la nationalité française déposée contre le général de Gaulle en novembre 1940 ?

Le général Weygand. - Les plus hautes personnalités considéraient comme régulier le gouvernement dont J'ai fait partie. Elles sont venues vous dire qu'elles s'étalent trompées. Mais enfin, à ce moment-là, elles l'ont reconnu. Ce gouvernement, qui avait à défendre la France, a considéré comme coupables ceux qui se sont alors soustraits à son obédience.

M. Destouches, Juré, ayant évoqué la mise en défense de l'A.O.F. contre l'Angleterre et l'organisation d'actions militaires contre le Tchad, le général Weygand explique que celle mise en défense était indispensable du moment qu'on voulait éviter l'Intervention des Allemands, Quant à un plan d'opérations. Il était destiné à donner aux Allemands " quelque chose à manger " ; il était absurde, inexécutable, et aucune action n'a été tentée.

Répondant à M. Perney, il déclare qu'il n'a Jamais fait de politique, qu'il a toujours obéi au gouvernement de la République et qu'il a considéré comme régulier un gouvernement issu d'un vote de l'Assemblée nationale. Quant aux déportations, aux fusillades et au S.T.O., il les déplore, mais est Incapable de dire la part qu'y a eue le maréchal, ayant été prisonnier en Allemagne pendant deux ans et demi.

Au bâtonnier Payen, il indique qu'il a si bien su que le professeur Rougier était chargé d'une mission à Londres par te maréchal que c'est lui-même qui lui a fait donner ses laissez-passer. Mais il n'a pas su le résultat de celle mission. Puis il s'explique sur les accords qu'il a conclus avec M. Murphy et qui ont été très utiles au ravitaillement de l'Afrique, notamment en essence.

Me Isorni. - Vous avez bien dit que les premiers propos tenus sur l'armistice au comité de guerre ne l'ont été ni par vous ni par le maréchal, mais par M. Albert Lebrun et M. Paul Heynaud ?

Le général Weygand. - C'est exact.

M. Paul Reynaud réplique

Cela amène, une fois de plus, à la barre M. Paul Reynaud, qui, très longuement, reprend le récit de ces faits déjà si copieusement évoqués depuis l'ouverture du procès.

Il rappelle que c'est pour ne pas ébranler le moral de l'armée et de la nation qu'il n'a pas relevé le témoin de ses fonctions. Puis il revient sur l'accord du 28 mars : nous en étions moralement libérés parce que l'Angleterre n'avait pas tenu ses engagements ? Mais son effort de guerre n'a pas été moindre que celui qu'elle nous avait promis après entente entre les états-majors.

Il revient aussi sur les Journées des 13 et 15 juin, qu'il trouve " limpides ", et sur ses discussions avec le général Weygand à propos de la capitulation. Il affirme que, le 15, le maréchal était d'accord avec le gouvernement pour estimer que le " cessez le feu " n était en rien contraire à l'honneur de l'armée et qu'il avait en vain tenté d'en convaincre le général Weygand.

Le maréchal Pétain. - Il y a une question que je voudrais poser au général. Quand je suis allé le trouver dans la pièce à coté, est-ce que je me suis trouvé d'accord avec lui pour le cessez le feu " ? Nous avons eu une petite discussion, Je ne suis pas sûr que nous, ayons été d'accord sur le " cessez le, feu ". Je ne me rappelle plus rien du tout.

Le général Weygand. - Moi non plus, ni que M. Reynaud m'ait donné un papier pour me couvrir ou même m'en ait proposé un.

M. Paul Reynaud. - Je vous en ?i proposé un.

Le sort de la flotte

Là-dessus s'engage entre l'ancien généralissime et l'ancien président du conseil une controverse sur la différence qui peut exister, comme le soutient le général Weygand, entre le " cessez le feu " et la capitulation. Cette controverse s'étend brusquement aux clauses navales de l'armistice. Le général Weygand rappelle qu'il avait demandé, le 13 Juin, de faire partir la flotte. M. Paul Reynaud lui demande pourquoi il a alors accepté que la flotte fût désarmée sous le contrôle de l'Axe.

La défense, le président, le procureur général Mornet interviennent dans le débat Ce dernier constate que finalement la flotte n'est pas partie.

Me Isorni. - La suggestion du général Weygand de faire partir la flotte est du la juin. Le maréchal n'est arrivé au pouvoir que le 17. Qui était chef dû gouvernement entre le 13 et le 17 7

M. Paul Reynaud. - C'est le 16 au soir, quand le gouvernement du maréchal Pétain a demandé l'armistice, qu'il fallait faire partir la flotte. Ce conseil qu'il avait donné à mon gouvernement, le général Weygand a oublié de le donner au gouvernement dont il faisait partie. Et la flotte a été perdue pour le camp aillé. Mais ce qui dépasse tout, c'est que ce gouvernement a, en demandant l'armistice, violé la convention du 28 mars. Cela, c'est une tache.

Le maréchal Pétain. - Est-ce que M. Churchill ne vous a pas dit : " Nous n'en voulons pas aux Français de demander l'armistice. Nous ne voulons ??? qu'un paye ami se trouve dans cette situation ", ou quelque chose comme cela ? Je ne me rappelle pas bien.

M. Paul Reynaud. - Il n'a Jamais autorisé l'armistice.

Le bâtonnier Payen donne alors lecture de la déclaration suivante faite, le 28 septembre 1944, aux Communes, par Me Churchill :

" On se souviendra que nous avons déclaré au gouvernement français que nous ne lui adresserions aucun reproche s'il venait à négocier une paix séparée dans les tristes circonstances de juin 1940, à condition qu'il mette sa flotte hors d'atteinte des Allemands. "

Et la discussion reprend de plus belle. Le bâtonnier Payen, rappelant les ordres secrets de sabordage donnés par Darlao, affirme que la flotte a été mise hors de l'atteinte des Allemands, et s'écrie : " Je suis désolé qu'on cherche les occasions de démontrer que la France a failli à l'honneur. "

Le président. - Personne n'a dit cela, mais que le conseil des ministres avait été mis en garde contre une décision qui pouvait donner l'Impression que la France pourrait manquer à l'honneur.

M. Paul Reynaud. - Il y a eu après l'armistice un communiqué officiel du gouvernement britannique déclarant que l'armistice avait été conclu au mépris de rengagement du 28 mars. Connaissez-vous cette pièce ?

Le bâtonnier Payen. - Je la connais et J'en connais beaucoup d'autres.

A ce moment, un des jurés étant souffrant, le président lève l'audience.