Il y a 100 ans ....
Le procès Pétain
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LA SIXIÈME AUDIENCE
FIN DE L'AUDITION DU GÉNÉRAL DOYEN

 

 

Après avoir fait connaître - ainsi que nous l'avons relaté aux Dernières nouvelles - le dessein formé, dès janvier 1941, par les Allemands, s'annexer la zone interdite et l'absence de réaction de Vichy devant cette révélation, le général Doyen montre le gouvernement du maréchal attendant une occasion de reprendre avec l'Allemagne les relations interrompues depuis le renvoi de Laval.

Le général Doyen.- A la fin d'avril, au moment où l'offensive de Wavel menaçait la Tripolitaine, le général Vogel, qui avait remplacé von Stolpnagel à la commission d'armistice, me présenta la demande suivante du gouvernement allemand : mettre immédiatement à sa disposition toute notre artillerie lourde et nos munitions stockées en Algérie et en Tunisie, et les transporter immédiatement en Tripolitaine avec tous nos camions disponibles.

" Je prévins le gouvernement et partir pour Vieil y pour être présent aux délibérations. Arrivé à Paris, je reçus l'ordre de retourner immédiatement à Wiesbaden, où le trouverais un télégramme contenant les instructions nécessaires. J'obéis, le télégramme était là. Il disait : " informez le gouvernement allemand que le gouvernement français a décidé de lui donner satisfaction. Signé : Huntziger. " Cette décision, à un moment si critique pour les Allemands, était particulièrement grave.

" Mais je dois dire que ses effets furent annihilés par le général Weygand et tous nos fonctionnaires militaires ou civils en Algérie, car ils mirent tellement de mauvaise volonté à exécuter cet ordre que le premier camion arriva en Tripolitaine alors que les Allemands n en avaient plus besoin.

Berchtesgaden

" Le résultat de cette trahison ne se fil pas attendre.

" Quelques jours après, l'amiral Darlan partait pour Berchtesgaden, et les relations étaient renouées entre le gouvernement de Vichy et le gouvernement allemand. En outre, tout le contrôle de notre économie était livré au Reich. En effet, Darlan accorda ce que les Allemands demandaient depuis longtemps et qui leur avait toujours été refusé : un commissaire à la Banque de France, un commissaire aux devises, un commissaire au commerce extérieur.

" J'allai à Vichy et dis au maréchal tout ce que je pensais. Je dois avouer que je ne trouvai pas cette fois la réaction que j'avais trouvée lorsque je lui avais parlé de Laval. [A la veille du 13 décembre 1940, le maréchal avait dit de Laval : " Cet homme est un fumier. "]

" J'allai ensuite chez l'amiral Darlan : nous eûmes tous les deux un entretien tragique qui se termina par notre brouille. La cassure entre le gouvernement et moi fut complète.

" Ce fut alors le commencement de toutes les grandes trahisons, c'est-à-dire la mise à la disposition des Allemands de terrains d'aviation au Levant, puis port de Bizerte.

" Puis je fus convoqué à Vichy pour apprendre de la bouche du général Huntziger, entre deux portes, que Je devais quitter mon poste de Wiesbaden, sans autre explication.

" Avant de partir, j'ai tenu à faire de nouveau un effort auprès du gouvernement pour tenter encore de lui faire saisir tous les dangers qui résulteraient pour la France de la politique qu'il suivait; J'ai rédigé un mémoire d'une vingtaine de pages dans lequel j'ai exposé une dernière fois que la carte allemande était une carte qui perdrait la guerre, que cette carte ne devait pas être jouée et que, quoi qu'il advint, du coté de cette carte on trouverait toujours la ruine et le démembrement pour la France; Je le suppliais de se tourner vers le camp des Alliés, en particulier vers l'Amérique qui, à mon avis, devait être la grande gagnante de la guerre.

" Quand Je vins prendre congé du maréchal, il me dit : " J'ai lu votre note " avec beaucoup d'attention et je partage votre opinion. "

Vichy avait la voie libre

" J'ai terminé. Le point culminant de mon séjour à Wiesbaden s'est trouvé au lendemain du renvoi de M. Laval et de l'incident à Paris du retour des cendres du duo de Reichstädt,

" A ce moment le gouvernement de Vichy avait la voie libre puisque, en somme, tout était cassé entre lui et le gouvernement allemand. Montoire n'existait plus. Le gouvernement de Vichy aurait pu prendre la route que lui indiquait la commission d'armistice de Wiesbaden, qui a mené un combat acharné contre les Allemands pour défendre tout ce qui pouvait être défendu. C'est, par conséquent, de son plein gré et sans aucune contrainte qu'il a choisi l'autre.

Le docteur Porche, juré. - Dans les accords relatifs au port de Bizerte, n'y avait-il pas un appendice où des opérations de guerre de la France contre l'Angleterre étaient envisagées ?

Le général Doyen. - Je n'ai pas vu la convention. Je croîs que, outre le port, elle leur accordait l'usage de la voie ferrée allant vers le Sud tunisien. Je ne crois pas qu'il y avait des stipulations relatives à des opérations françaises contre l'Angleterre.

Les clauses financières de l'armistice

Le commandant Lévêque, juré. - Pouvez-vous préciser les clauses financières de l'armistice ?

Le général Doyen. - Nous devions verser 400 millions par jour pour l'entretien de l'armée d'occupation : 200 étaient mis à la disposition des Allemands pour les achats nécessaires à cette armée et le reste bloqué à un compte spécial de la Banque de France. Nous nous sommes vainement efforcés de diminuer ces versements, d'autant plus énormes qu'à un moment les troupes d'occupation avaient été considérablement réduites.

" A Berchtesgaden, Darlan a négocié une modification des modalités des versements : ceux-ci ont été ramenés à 300 millions, mais 100 millions, au lieu d'être payés en papier, devaient l'être en or ou en devises. Il y avait donc une aggravation qui risquait de ruiner la France, et j'en ai entretenu le maréchal. Je crois que cet accord a été révisé après mon départ de Wiesbaden.

Le commandant Lévêque. - Quand vous lui avez remis votre mémoire d'adieu et qu'il s'est déclaré d'accord avec vous, pensez-vous que le maréchal jouait un double jeu ou était-ce bien sa pensée ?

Le général Doyen. - Je ne sais si Je nie suis très bien exprimé tout à l'heure. Le maréchal ne m'a pas dit : " Je suis d'accord avec vous. " Il m'a simplement dit : " J'en tiendrai compte. " Ce n'est pas la même chose.

Le bâtonnier Payen. - Je partage votre sentiment.

Le général Doyen. - C'est spontanément qu'il m'a fait cette déclaration, et je ne puis pas croire qu'il ne l'ait pas faite sincèrement.

Le bâtonnier Payen. - C'est d'autant plus certain qu'il y a donné suite : il a refusé d'approuver les accords de Berchtesgaden et ils n'ont jamais été exécutés.

Le procureur général. - C'est ce que nous verrons. (Rires.)

Le bâtonnier Payen. - Je l'espère Dieu. Et nous le verrons de près.

M. Stibbe, juré. - Au lendemain de Montoire, le maréchal avait annoncé une amélioration du sort des prisonniers; il avait même laissé entrevoir une libération massive. En a-t-il été question à Wiesbaden ?

Le général Doyen. - Cette question n'a jamais été posée à la commission d'armistice.

L'annexion de l'Alsace et de la Lorraine

Le procureur général. - Pouvez-vous donner des précisions sur l'annexion par l'Allemagne, au mépris des clauses de l'armistice, des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, annexion que vous nous avez dit avoir constatée à votre arrivée à Wiesbaden, c'est-à-dire dès septembre 1940 ?

Le général Doyen. - Les trois départements, dès le lendemain de la signature de l'armistice, ont été brutalement réannexés par le Reich d'une façon totale. Les bornes ont été replacées là où elles étaient autrefois; le cordon douanier a été replacé à l'ancienne frontière. Cela a été la séparation totale d'avec la France.

" Cet acte a fait l'objet d'une protestation solennelle à la date du 2 septembre 1940; le gouvernement français a protesté vigoureusement, dans les termes qu'il fallait. Mais, comme toutes nos protestations, elle est restée sans réponse.

Le procureur général Mornet. - Montoire a suivi. Je vous remercie.

M. PAUL REYNAUD A LA BARRE

Me Isorni ayant demandé si le maréchal n'a pas été à l'origine, en 1934, d'un vote de crédite supplémentaires de 1.200 millions pour les fortifications, à quoi le général Doyen déclare ne pouvoir répondre, M. Paul Reynaud, qui suit assidûment les débats, vient à la barre, et II s'ensuit, sur des points d'ailleurs déjà largement traités ou coure de précédentes audiences, une interminable discussion, parfois très vive, avec la défense, qui conteste, sinon les chiffres, les dates et les faits, du moins l'interprétation que leur donne l'ancien président du conseil.

Cette discussion une fois terminée, le général Doyen, qui y a assisté sans mot dire, se retire.

AUDITION DE M. CAOUS

M. Caous est Introduit. L'ancien président de la Cour de Riom a demandé à être entendu pour protester contre " les attaques dirigées la veille, par M. Léon Blum, contre les membres de la Cour suprême de Justice... "

Le président. - Vous pouvez dire : contre toute la magistrature.

Le serment de fidélité

M. Caous.- - M. Léon Blum a dit : " Ils ont accepté de juger des condamnés. S'ils étaient allés jusqu'au, bout, ils auraient condamné, pour respecter leur serment de fidélité. " La Cour a été installée à Riom le 8 août 1940 et les magistrale ont prêté serment, suivant l'ancienne formule " Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. " Lorsque, en août 1941, une loi a institué le serment de fidélité à la personne du chef de l'État, on ne leur a pas demandé de renouveler leur serment. Si bien qu'ils n'ont pas prêté serment au maréchal, sauf moi, parce qu'à ce moment J'étais procureur général à la Cour de cassation. Mais cela ne m'a pas gêné du tout pour aller, quelques mois après, présider la Cour suprême de justice. En quoi le serment de fidélité diminuait-il la portée du serment de magistrat : " Je Jure de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat "? La preuve en est qu'en ouvrant les débats j'ai dit aux accusés, dont certains avaient été condamnés par le maréchal : " Les décisions qui ont été prises à l'égard de certains d'entre vous et les motifs qui ont été publiés de ces décisions sont, pour la Cour, comme s'ils n'existaient pas de M. Léon Blum prétend que nous aurions condamné : qu'en sait-il ? Un magistrat maître de lui ne se forme pas d'opinion avant la fin des débats.

Pour répondre à une autre accusation de M. Léon Blum : " Ils ont altéré jusqu'à la falsification le texte qu'ils devaient appliquer ", M. Caous entreprend ensuite une étude et une interprétation minutieuses du décret qui avait saisi la Cour de Riom, texte dont un mot a été, lors de la rédaction de l'arrêt ordonnant la mise en jugement, omis par suite d'une erreur matérielle. C'est du moins ce qu'il affirme.

La responsabilité de la guerre

Mais M. Caous n'a pas terminé.

Il en vient au reproche qui est fait au maréchal d'avoir créé la Cour de Riom pour faire un procès voulu par les Allemands, et il indique qu'après la suspension des audiences en août 1942 il attira l'attention de l'accusé sur une campagne de presse incitant la Cour à étendre ses poursuites et lui dit :

Monsieur le maréchal, personne ne peut attendre du plus haut tribunal français qu'il vienne offrir, comme préliminaire au traité de paix, la déclaration que c'est la France qui est coupable de la guerre. " Le maréchal m'a répondu : " Mais, voyons ! Il faudrait être fou pour penser autrement. "

Le procureur général. - Ce que je sais, c'est que, sous sa signature, on avait demandé à la Cour de Riom de rechercher les responsabilités de la guerre. Je félicite les magistrats de Riom de ne pas s'être associés à cette trahison.

Me Isorni. - Je suis persuadé que vous profiterez de cette circonstance pour démentir la rumeur qui a couru tout Paris : que vous auriez sollicité de faire partie de cette Cour.

Le procureur général. - C'est une infamie !

M. Caous. - Je n'ai jamais entendu dire que M. Mornet, à ce moment président honoraire de la Cour de cassation, ait demandé à faire partie de la Cour. Je le lui ai offert en août 1940. Il a accepté, mais n'a pas été désigné.

Le procureur général.- J'ai reçu, en effet, une lettre de M. Caous. Je savais qu'il était question d'organiser une Cour suprême de justice et Je me disais : " Elle répond peut-être au vœu que de toute part nous entendons formuler." Tel était te cri qui sortait de toutes les poitrines : " Nous avons été trahis ". Et je me disais : " S'il s'agit de poursuivre ceux qui sont responsables d'un désastre qui ne peut s'expliquer que par une trahison, eh bien, J'en suis !

" Mais lorsque, à quelques jours de là, j'ai su quelle était la tâche que l'on attendait les magistrats de la Cour de Riom, oh ! alors. Je puis le dire, j'ai regretté la lettre que je vous avals écrite, disant que je me tennis à votre disposition, parce que je me disais alors qu'il s'agissait de poursuivre de véritables traîtres.

" Je serais peut-être allé à Riom : J'aurais été, le lendemain, dans un camp de concentration, si je n'avais pas été, le surlendemain, en Allemagne, parce que Je n'aurais pu m'empêche de protester.

M. Caous. - Vous n'auriez fait ni plus ni mieux que nous.

Sur cette réplique, M. Caous se retire. L'audience, est suspendue.

DÉPOSITION DE M. LAMARLE

L'audition des témoins à charge reprend.

M. Albert Lamarle, conseiller d'ambassade, qui fut, pour les questions économiques, le conseiller du maréchal au cours de son ambassade en Espagne, rapporté qu'en septembre 1939 celui-ci lui remit une lettre, qu'il dit être de le compétence du témoin et qui était, en réalité, une lettre du commandant Loustanneau-Lacau, disant en substance : " J'ai vu le président Laval. Il estime qu'on ne peut pas continuer comme cela. Il vous propose de former un gouvernement dans ieguel il vous débarrasserait du tout-venant. " M. Lamarie rendit cette lettre à l'accusé en lui faisant observer qu'il avait dû se tromper. Le maréchal lui dit, non sans vivacité : " Comment, je vous ai donné cette lettre, moi ! "

Passant à un autre sujet, le témoin signale qu'ayant, pour combattre la propagande allemande en Spagne, préparé un tract composé d'extraits de discours de Gœbbels contre l'Église catholique, le maréchal s'opposa à ce qu'il fût diffusé.

En février 1940, un séjour à Paris révéla à M. Lamarle la profondeur du mouvement " pacifiste " qui usait du nom du maréchal. Mme Pétain l'approuva de vouloir en informer son mari et ajouta : " Ces poignées de main en pleine guerre, non ! " Le maréchal répondit au témoin, quand celui-ci lui eut rendu compte : - Merci, vous faites bien de me dire cela ".

Autre fait: lors d'une cérémonie phalangiste à l'Escorial, en décembre 1939, les drapeaux de la section allemande du parti national-socialiste d'Espagne s'inclinèrent sur le passage de l'accusé et celui-ci répondit en faisant le salut militaire. Le comte d'Aurelles de Paladine lui ayant fait part du malaise qu'il en avait ressenti, le maréchal lui répondit : " Je serre la main de mon adversaire avant de me battre ".

A la demande de plusieurs jures, le président décide que la Cour entendra prochainement M. Loustaneau-Lacau, qui vient de rentrer d'Allemagne, où il avait été déporté.

DÉPOSITION DE M. WINCKLER

M. Paul Winckler, journaliste, domicilié à New-York, déclare qu'en septembre 1940, une personnalité espagnole, invitée par le maréchal à un dîner à Hendaye en novembre 1939, avait entendu l'accusé dire, devant le fila de Primo de Rivera : Vous ne devez pas avoir une trop bonne opinion de nous autres Français. Evidemment, vous nous voyez sous l'aspect du Front populaire. En effet, ce n'est pas très reluisant, mais attendez : au printemps prochain, nous aussi nous aurons notre révolution nationale, et a loin, tout va changer. "

Le témoin rapporte, d'autre part, qu'ayant fait, en 1939, comme président du syndicat des agences de presse à Paris, une enquête sur Prima-Presse, il découvrit que son directeur, Pierre Mouton, recevait des subsides d'une agence franquiste ; que son associé était Paul Ferdonnet, directeur des services de Prima-Presse à Berlin, et qu'un autre associé, Lucien Pemjean, publiait le Grand Occident qui réclamait le pouvoir pour Pétain. Il prévint M. Mandel, qui fit arrêter Pierre Mouton.

Au début de 1940, le témoin fit la connaissance du beau-frère de Deloncle; qui lui dit : - La Cagoule n'est pas une affaire fantaisiste. Deloncle agit par délégation et à la demande d'un groupe d'amis, d'un groupe du 2e Bureau, et il aura bientôt un rôle très important à jouer. "

Immédiatement après l'armistice, les premières instructions données aux Journaux de Bordeaux par les autorités allemandes furent : " Ne rien publier de défavorable sur le maréchal Pétain et son gouvernement. "

Le témoin, qui a lu les déclarations faites récemment à la presse américaine par le professeur Rougier et d'après lesquelles il aurait été renvoyé à Londres du maréchal, précise qu'il tient de la bouche même de l'intéressé qu'il était l'homme de M. Ernest Mercier, chef de trust de l'électricité, que c'est celui-ci qui, persuadé de la victoire alliée, désolé de l'évolution des choses, et misant sur Weygand, eut l'idée de sa mission à Londres; " pour y trouver des arguments de nature à convaincre le général de passer dans le camp des Alliés " et lui procura toutes facilitée pour aller à Vichy, puis en Angleterre. Il ne s'agissait nullement d'une mission confiée par Vichy, ni par le maréchal.

Le procureur général insiste sur la déclaration faite à Hendaye par l'accusé devant le fils de Primo de Rivera.

Me Lemaire. - Il est bon aussi de préciser que M. Winckler n'a pas lui-même entendu ces propos. M. Winckler n'est-il pas d'origine hongroise ?

M. Winckler. - D'origine tchèque, né en Hongrie et d'origine alsacienne.

Me Lemaire. - Pendant la guerre de 1914-1918...

M. Winckler. - J'étais dans un régiment tchèque, qui est passé aux Alliés.

Me Lemaire. - Un régiment qui dépendait de l'armée autrichienne. Dans ces conditions, monsieur le procureur général, permettez-moi de vous dire que, pour mettre en accusation un maréchal de France qui a été généralissime pendant la guerre de 1914-1918, votre accusation est bien faible de recourir à un homme qui pendant la guerre de 1914-1918 a porté les armes contre la Franc il

M. Winckler, - J'ai conscience d'avoir fait mon devoir, depuis, beaucoup mieux que le maréchal Pétain, mon devoir de Français, monsieur ! (Rires.)

Le procureur général. - D'origine tchèque et alsacienne, faisant partie d'un régiment autrichien, et nous savons que beaucoup de régiments autrichiens, qui étaient composée de Tchèques, ont fait...

Me Lemaire. - ... la guerre contre la France !

Le procureur général. - ... ce que les Saxons avaient fait à Leipzig.

Me Isorni. - Vous traitez le témoin de " Saxon " !

DÉPOSITION DE Mlle PETIT

Mlle Denise Petit, secrétaire d'état, major, déclare : - J'ai été de 1935 à 1941, la secrétaire de M. Globbe, directeur de l'Italie nouvelle, à Paris, en réalité l'agent officieux du palais Chigi et, ainsi qu'il l'avoua devant moi après l'armistice, " l'Abetz italien ". En Janvier 1939 il rencontra pour la première fois Lava], qui voulait le voir et qui lui proposa do travailler avec lui à une nautique comportant l'instauration d'une dictature et un renversement des alliances pouvant aller jusqu'à une action combinée de la France, de l'Espagne et de l'Italie contre la Grande-Bretagne, Laval se disait appuyé par une haute personnalité militaire, les neuf dixièmes de l'état-major et une importante fraction du Parlement. Il voulait faire élire M. Fernand Bouisson à la place de M. Lebrun et, avec sa complicité, renversée M. Daladier. Mais M. Lebrun fut réélu,

" Vint la guerre. Le nom du maréchal était souvent prononcé comme étant seul capable de parler à égalité avec les dictateurs. Il passait pour rejeter la responsabilité de la guerre sur le gouvernement de la République sur l'Angleterre.

" En mare 1940, Gringoire publie un portrait de Pétain. avec la légende :

Hier, grand chef de guerre. Aujourd'hui, grand ambassadeur. Demain... "

" M. Paul Heynaud arrive au pouvoir et c'est une explosion de rage parmi les conjurés à la suite de la signature de l'accord franco-britannique du 28 mars.

" À ce moment. J'ai exposé mes soupçons à Georges Mandel.

" Le 31 mai mon directeur me dit que le plus démoralisé des ministres était le maréchal, convaincu qu'avec un ministère Paul Reynaud la France était perdue. Or il en faisait partie depuis douze jours. Giobbe avait trouvé Laval effondré, " n'osant même pas, selon sa propre expression, tenter un coup d'État ".

" Le sénateur Lémery était, sans doute, du complot. Au lendemain de Munich, il avait accepté la présidence d'honneur de la succursale française du " Comité d'action pour l'universalité de Rome ", organisation do propagande fasciste, et le 15 novembre 1938, lors de la première réunion, au cercle interallié, avait présenté l'orateur : Philippe Henriot. A la veille de la guerre, M. Lémery, dont le groupement avait été rattaché au comité " France-Italie ", publia, dans le Petit Bleu, un article où il invitait M. Daladier à céder la place à Pétain. M. Lémery a été ministre du maréchal après l'armistice.

Me Lemaire. - N'avez-vous pas été, pendant la guerre, rédactrice à la Pariser Zeitung ?

Mlle Petit. - En effet, ainsi qu'à Interfrance et au groupement des journalistes étrangers, en 1940 et en 1941, pour les mêmes raisons qui m'ont fait demeurer à l'Italie nouvelle jusqu'en mars 1941.

Me Lemaire. - Ne peut-on pas considérer comme propagande proallemand vos articles de la Pariser Zeitung, tels que celui qui s'intitulait : " les Amitiés allemandes de Marie-Antoinette " ? J'ai l'impression que la déposition de la collaboratrice de la Pariser Zeitung ne peut avoir beaucoup de poids auprès du jury. Vous étiez même déléguée du personnel d'Interfrance.

Mlle Petit. - Exactement, parce que j'étais gaulliste !

Me Lemaire. - C'était le double Jeu.

Le président. - C'était une mission périlleuse, qui s'appelle l'espionnage. Cela peut présenter quelquefois quelque chose de douteux, mais cela peut-être parfaitement honorable.

Mlle Petit. - J'ai été renvoyée d'inter-france le 12 Juin 1940, par le fils d'un témoin cité par ces messieurs : le général Caldalrou, dont le fils était à Inter-france. Il y traitait les gaullistes. C'était sa spécialité. J'ai été renvoyée parce que ma présence était considérée comme une provocation au lendemain du débarquement, pour le motif suivant : opinions et propagande contraires à la politique suivie par la direction.

Me Lemaire. - Vous faisiez de la propagande gaulliste dans la Parizer Zeitung, et J'ai bien compris !

M. Pierre Bloch, Juré. - Avez-vous agi sur les ordres de la Résistance ou du contre-espionnage ?

Mlle Petit. - J'ai été en contact avec le chef du 2e bureau militaire du mouvement " Libération-Nord ", Hubert de Lagarde depuis 1939. Mes contacts de résistance avec lui remontent au mois d'août 1940. J'avais le numéro C. 39.

" J'ai été en relations avec le futur chef d'état-major du gouvernement militaire de Paris, dès son retour de captivité.

C'est, du reste, moi qui l'ai présenté au chef du 2e bureau " libération-Nord ".

Me Isorni - Si les Allemands avaient gagné la guerre, n'auriez-vous pas dit que vous faisiez partie des organisations de Résistance à la demande de la Parizer Zeintung?

Mlle Petit - Je n'ai jamais cru à la victoire allemande et je ne l'ai jamais souhaitée.

Le président. - C'est ce qu'on appelle, d'ailleurs, la politique double jeu.

Sur ce, M. Mongibeaux lève l'audience