Il y a 100 ans ....
Le procès Pétain
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Plaidoirie de Me Isorni

Après une suspension d'audience - de 15 heures 30 à 16 heures 20 - le président donne la parole à Me Isorni.

Pour celui-ci, la politique du maréchal était de défendre, de rechercher des avantages matériels, parfois au prix de concessions morales - alors que la Résistance avait une conception inverse, - parce que les concessions morales, qui étaient de nature à porter atteinte à l'honneur du chef, ce chef seul les ressentait, tandis que les avantages matériels étaient pour le peuple. Quand M. Léon Blum a prétendu que la magistrature aurait dû refuser de prêter serment, le procureur général s'est écrié : " Que serait-il alors advenu ? " Et il a établi que la magistrature avait sauvé quantité de vies françaises. On peut en dire autant de la police et des administrations. Mais tout cela, c'était le régime à la tête duquel se trouvait le maréchal!

Les humiliations

Le procureur général a parlé des humiliations que ce régime avait values à la France. D'abord la cour de Riom. Il est Inexact de dire qu'elle est née d'une exigence allemande. Elle est née de l'indignation du pays - exprimée notamment par le Parlement, par M. Herriot devant la Chambre, le 9 juillet 1940, et par M.François Billoux dans une lettre, adressée au maréchal le 19 décembre 1940 - au spectacle de notre défaite. Le maréchal et la cour de Riom n'ont pas voulu que fût fait le procès de la responsabilité de la France dans là guerre et s'il institue ensuite le conseil de justice politique - faute due à de mauvais conseillers - ce fut pour donner satisfaction à l'opinion publique; le procès ayant été suspendu maigre la protestation de Hitler.

Les sections spéciales ? Me Isorni fait un magnifique éloge des militants communistes dont l'activité du début - les attentats isolés contre les soldats allemands - lui paraît cependant une erreur de tactique, condamnée d'ailleurs par le général de Gaulle et M. Cachin, comme par le maréchal, et d'abord réprimée en vertu des textes de 1939 dus au cabinet de M. Daladier. Le défenseur exprime sa haine pour les institutions d'exception - dont toutes ne sont pas mortes - et explique que les sections spéciales ont eu pour, origine le souci, de substituer aux otages des responsables avec l'espoir que la justice éviterait le pire. " Soyons indulgents ! s'écrie-t-il. De deux horreurs, on a choisi la moindre. Je me refuse à voir ici un crime. " -

Le droit de grâce ? Son exercice était limité par la ligne de démarcation et aussi la très belle attitude de nombreux condamnés. Chaque fois qu'on a demandé sa signature au maréchal, il a gracié, niais il est arrivé qu'on lui soumit des décrets déjà rédigés dans le sens du refus.

L'aide à l'Allemagne

Après les humiliations, l'aide à l'Allemagne. D'organisme privé, la L.V.F. est devenue, sous la contrainte, un organisme d'État, mais, elle ne fut jamais qu'un squelette à côté des légions wallonne ou hollandaise,- parce qu'en France la propagande allemande se trouvait quand même limitée du fait de l'existence d'un gouvernement. Il y a eu, c'est vrai, une page triste : la lettre du maréchal au colonel Labonne; elle lui fut arrachée. N'a-t-il pas dit que l'occupation l'obligeait, contre son gré, à certains gestes " dont il souffrait plus que nous"?

Le S.T.O. On pouvait ou refuser brutalement, et les Allemands se servaient comme ils voulaient, ou feindre d'entrer dans leur jeu et freiner leurs efforts. Du 5 juin 1942 au 1er août 1944, les Allemands ont demandé plus de 2 millions d'hommes : il en est parti 641.000, contre le retour de 110.000 prisonniers et la transformation de 250.000 prisonniers en travailleurs libres. Aucune femme n'est partie, grâce à l'intervention personnelle du maréchal. En Belgique, 80 0/0 de la classe ouvrière; en France, 16 0/0.

Les persécutions

Les persécutions ? Le maréchal a signé la loi sur les juifs, mais c'est lui qui a imposé l'article prévoyant des exceptions et qui a essayé d'élever une sorte d'écran entre les exigences de l'ennemi et ceux qu'elles visaient. Confondre les mesures qu'il a prises avec celles qu'ont prises les Allemands, c'est " la grande iniquité " Si c'était à refaire, les juifs préféreraient-ils qu'il n'y eût pas de zone libre où s'appliquât le statut du maréchal? On a, dit-on, livré les juifs en donnant leurs noms et leurs adresses." Mais dans tous les pays occupés il existait une police qui recueillait les déclarations, et, de toute façon, le recensement se serait fait par l'entremise des Allemands. La loi n'a-t-elle pas été invoquée pur les magistrats pour soustraire les israélites aux Allemands ? Croit-on que les souffrances si grandes des juifs aient été comparables en France a celles, des juifs de Pologne dont 3.400.000 sur 5 millions et demi furent massacrés ?

Quant à la question de la Résistance et du maquis, il faut comprendre que le maréchal, ce soldat, eut une préférence naturelle pour l'armée secrète et se rappeler que lorsque la Résistance a passé à l'activité combattante il ne gouvernait plus. Il a d'ailleurs été trompé sur la réalité de cette action.

- Peut-on dire qu'il ait jamais donné des ordres à la police - qui aurait existé même s'il n'y avait pas eu de gouvernement du maréchal et dont une partie travaillait avec la crainte des Allemands? Si un chef d'État était rendu responsable des brutalités policières, il n'y en aurait plus un seul qui fût à l'abri! Quant à la milice, institué par Laval, elle dépendait de celui-ci. En prenant- Darnand - dont le maréchal ne connaissait que le passé de soldat - on n'a pas fait d'un assassin un ministre, mais un ministre qui est devenu un assassin. Quand le maréchal a - appris l'affreuse action de la milice, il a invité Darnand à faire procéder dans ses rangs à des exécutions capitales. Il n'assistait plus aux conseils des ministres quand fut adoptée la loi sur les cours martiales. Et enfin il écrivit à Laval pour protester contre " les faits inadmissibles et odieux " qui lui étaient signalés et l'inviter a prendre d'urgence des mesures pour enrayer le drame qu'il prévoyait.

" Vous portez dans vos mains le destin de la France "

Me Isorni. - L'un de vous, messieurs, à une précédente audience, s'est écrié : " Et nos morts !"

" Ces, morts, croyez-moi, nous les pleurons ensemble. Mais il y a d'autres Français qui, eux aussi, sont morts sous les balles allemandes et qui, au moment de mourir, ont crié : " Vive le maréchal ! "

" Ne croyez-vous pas qu'ils ont mené le même combat que vous ?

" Vous avez fait parler les morts. Vous avez appelé à votre barre le témoignage, de ceux qui ont été persécutés. Vous avez amené le souvenir des captifs. Ah ! qu'à mon tour j'appelle a votre barre les vivants, ceux qui ont été libérés, ceux qui ont été protégés. Vous avez fait, parler les hommes qui sont partis ; laissez-moi faire parler les femmes qui sont restées.- Qu'ils viennent tous aujourd'hui, qu'ils forment cortège au maréchal et qu'à leur tour ils protègent-celui qui-les avait protégés.

" Si c'est la mort que vous prononcez contre le maréchal Pétain, nous l'y conduirons. Mais, où que vous vous trouviez à cet instant, vous serez tous présents. Vous Serez présents, messieurs les magistrats, vêtus de vos robes rouges, de vos hermines et de vos serments. Vous serez présents, messieurs les parlementaires, au moment où la délégation que le peuple vous aura, donnée viendra de se terminer. Vous serez présents, messieurs les délégués de la Résistance, au moment où le peuple n'aura pas encore consacré vos titres à être des juges.

- " Et vous verrez, au fond de vos âmes bouleversées, comment sait mourir le maréchal de France, que vous aurez condamné. Et le grand visage blême ne vous quittera plus.

" Il ne fout pas vous abriter derrière la clémence d'un autre. Si la clémence est dans la justice, elle est d'abord dans vos mains.

- " Songez seulement au visage que donnerait à la France à travers le monde une telle horreur. Et songez que le peuple se frapperait la poitrine.

" Oh! ma patrie; victorieuse et au bord des abîmes, quand cessera-t-il de couler, ce sang plus précieux depuis que nous savons qu'il n'y a plus que des frères pour le répandre? Quand cessera-t-elle, la discorde de la nation? "Messieurs, au moment, même où la paix enfin s'étend au monde entier, quand le bruit" des armes s'est tu; quand les mères commencent à respirer, que la paix, la nôtre, la paix civile, évite à notre terre sacrée de se meurtrir encore!

" Magistrats de la Haute Cour, écoutez-moi, entendez mon appel. Vous n'êtes que des juges, je le sais, vous ne jugez qu'un homme, je le sais, Mais je sais aussi que vous portez dans vos mains le destin de la France. "