Il y a 100 ans ....
Le procès Pétain
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DÉPOSITION DE M. LOUSTAUNEAU-LACAU

 

 

M. Loustauneau-Lacau est cité pair le président, à la demande de plusieurs tirés. Récemment rentré de Mathausen, où il avait été déporté, il marche péniblement appuyé sur une canne, et accepte de s'asseoir, comme le lui offre M. Mongibeaux.

Pour protester contre une " campagne de presse insidieuse ", il tient à rappeler que, sorti de Saint-Cyr, trois fois blesse et sept fois-cité en 1914-1918, breveté d'état-major dans la même promotion que le générai de Gaulle... et le général Bridons, il a appartenu à divers états-majors et commandé un bataillon de chasseurs alpins. Il est entré en 1934 dans l'état-major du maréchal. Il l'a quitté en 1988, après avoir été frappé par M. Daladier, mais a conservé des relations avec le maréchal. Il a été grièvement blessé on juin 1940, s'est évadé rie l'hôpital de Chalons-sur-Marne et a été de ceux qui ont formé la Légion française des combattants dont il a été délégué général, tandis qu'il créait le réseau " Navarre ", réseau de renseignements et d'action militaire, qui devait perdre 303 fusillés et 520 déportés. Le maréchal était au courant de cette activité, dont s'émut Darlan. Arrêté en Afrique en mal 1941 sur l'ordre de Weygand, il s'évade, est repris, condamné, fait quinze mois de cellule à Clermont-Ferrand est livré a la Gestapo, passe six mois dans un caveau a Vichy, subit cinquante-quatre interrogatoires, cet condamné à mort et déporté. Il ne doit donc rien au maréchal, mais " cela ne l'empêche pas d'être écœuré par le spectacle de ceux qui, dans cette salle, essaient de refiler a un vieillard presque centenaire l'ardoise de toutes leurs erreurs ".

La Cagoule

M. Loustauneau-Lacau. - J'en viens à ta Cagoule. Le maréchal Pétain n'a jamais fait partie de la Cagoule, sous une forme quelconque, à un titre quelconque, car s'il on avait été ainsi je l'aurais su. Moi non plus, je n'ai pas fait partie de la Cagoule.

Ayant pu m'assurer, lorsque j'étais au cabinet du ministre, qu'une entreprise de démoralisation systématique était menée par le parti communiste ?? vue de ruiner la confiance des soldats dans leurs chefs - les communistes n'avaient pas encore découvert de patrie dans la défaite - tandis que les bataillons de Hitler s'entraînaient, que nos généraux ne songeaient qu'à éviter les - bûches " politiques et que le ministre, M. Daladier, ne défendait pas les officiers, nous avens, quelques camarades et moi, entrepris de dissoudre les cellules communistes, au su des grands chefs - le général Georges m'exprima sa satisfaction - et même de M. Daladier Celle activité, couronnée de succès, dura dix-huit mois et n'eut rien à voir avec la Cagoule. Si c'est un crime, je suis prêt à le recommencer.

Mais nous avions, en même temps, découvert un réseau puissant, paraissant être une dissidence de l'Action française. En décembre 1936, le maréchal m'envoya chez le général Duseigneur pour " voir ce qui s'y passait ". Le général ne m'a rien caché. J'en ai rendu compte au maréchal en ajoutant : " Il y a des armes. " Le maréchal m'A répondu :

" C'est bien dommage, car, lorsqu'on a des armes, on éprouve le besoin de s'en servir. "

Mais, du moment que l'armée restait fidèle, et que les communistes étaient armés, comme les putschistes, nous avons considéré que cela n'irait pas bien loin, ce qui Tut.

En mars 1937 le maréchal Franchet d'Espèrey, que je voyais souvent au sujet de ses mémoires, me fit connaître Deloncle, me dit qu'il voulait renverser l'Etat, " seule façon de sauver les débrie de la victoire de 1918 ", et me demanda de travailler avec lui. Je refusai, la guerre prochaine, voulue par Hitler, m'enlevant toute envie de participer à un putsch. Je me bornai a accepter les renseignements de Deloncle sur l'action communiste dans les casernes et, en échange, lui demandai la liste des officiers inscrits chez lui et de les délier de leur serment. Sauf un, j'ai retiré mes camarades de la Cagoule. Quant à Franchet d'Espèrey, je suis sûr de l'avoir persuadé d'en rester là de ses relations avec la Cagoule.

" De tout cela, qu'a su le maréchal Pétain ? Rien. Pourquoi l'aurai t-on mis au courant de notre activité clandestine dans les casernes ? Manque de confiance? Non. Crainte surtout qu'il ne se trompât de dossier ou que son absence de mémoire parfois totale ne se traduisit quelque Jour par une gaffe énorme.

Par conséquent, lorsqu'on dit que le maréchal Pétain est un cagoulard ou a pris part à je ne sais quel complot, avant guerre, contre la sûreté de l'Etat, vons me permettrez, a moi qui ai connu les dessous de toutes les affaires, d'éclater de rire. J'ai l'impression très nette qu'on a voulu par là masquer les véritables responsabilités de la défaite, qu'il porte avec d'autres, mais qu'il n'est pas seul à porter.

En ce qui me concerne, le procès de la Cagoule s'est déroulé sans que le juge d'instruction ait jugé devoir m'entendre.

Pétain-Laval

• Quant aux rapports entre le maréchal Pétain et Laval, ils se basent, pour l'avant-guerre, sur une phrase. Un jour, dans une réception au quai d'Orsay, en 1994, M. Doumergue avait dit au maréchal Pétain, en lui montrant Laval, qui était dans l'embrasure d'une fenêtre :

" La République est pourrie; ils n'ont plus personne, mais il y a encore celui-là. " Le maréchal m'a souvent répété cette phrase, avec cette obstination des vieillards qui tourne au réflexe. Certes Laval pensait " se servir un jour d'un képi glorieux pour coiffer une combinaison politique ", mais le maréchal ne voyait en lui qu'un conseiller pour certaines heures. Cela n'est Jamais allé plus loin. C'est ainsi qu'à Saint-Sébastien, à la fin d'août 1939, le maréchal me dit : " Vous allez à Paris ? Voyez ce que Laval pense de la situation. Je manque d'informations à un moment tragique. " J'allai trouver Laval, qui me déclara : " C'est bien simple, il faut se séparer de Daladier " - ce qui n'était pas une vue originale. "

Le témoin rapporte ta conversation qui s'engagea alors. Il cite les termes dont Laval usa à l'égard de MM. Daladier, Herriot et Chautemps, termes d'une telle grossièreté que le président intervient. Laval aurait ajouté que M. Daladier se serait opposé à ce qu'il allât à Rome - il se faisait fort d'empêcher les Italiens d'entrer dans la guerre - parce qu'il craignait qu'il n'en revint " comme l'Autre revint d'Egypte ". (Rires.) le président. - Vous n'avez pas tout à fait le sens de la mesure.

M. Loustauneau-Lacau. - J'écrivis done au maréchal ce que m'avait dit Laval : qu'il fallait renverser M. Daladier et former un gouvernement dans lequel " on le débarrasserait du tout-venant ". Il s'agissait non pas de commettre un crime, mais de décharger le maréchal des affaires courantes s'il acceptait de former un gouvernement, ce dont il n'était pas autrement question. C'est tout. M. Lamarie qui vous a parlé de cela, " est venu ici faire un tour de piste ". Le maréchal s'est trompé en lui remettant cotte lettre a la place d'un dossier économique.

C'est moi que l'on traite d'idiot. Je veux bien.

M. Poupon, Juré. - Parlant des cagoulards, vous avez dit que les communistes étaient armés eux aussi. Ils ne l'ont été que contre lee Boches, pendant l'ocoupation.

M. Loustauneau-Lacau. - Vous n'avez rien compris à cette affaire, monsieur. H ne s'agissait pas de l'armement des communistes, maïs de leurs cellules dans les casernes.

M. Poupon. - Vous avez parlé des communistes armés...

W. Loustauneau-Lacau. - Je vous demanderai alors ce que faisaient les 200 caisses de grenades qui se trouvaient à Montreuil-sous-Bois et qui ont été ame-aées en Espagne par des autobus, et raille choses de ce genre, si vous voulez reprendre toute la discussion depuis l'origine.

Ht. Poupon. - Ce n'est pas le procès Pétain,

. Pierre Block demande au témoin de dire les conditions dans lesquelles il a quitté la Légion des combattants.

M. Loustauneau-Lacau explique que la Légion des combattants devait être, d'accord avec le maréchal et le général Hunlziger, le " tremplin " de la future armée et un organisme de mobilisation ; qu'il y trouva des sympathies unanimes, à l'exception de Xavier Vallat, qui était en rapports avec Laval, lequel voulait " torpiller " le mouvement. Il déplore que l'an assimile maintenant aux S.D.L. et miliciens la masse des légionnaires qui sont victimes " d'une demi-terreur contre laquelle le gouvernement devrait prendre ses précautions s'il ne veut pas avoir une triste vieillesse ".

Le " document espagnol "

Le procureur général. - Dane quelles conditions avez-vous remis, en 1936, au général Gérodias, nn écrit, dit " document espagnol ", concernant un putsch communiste préparé dans les casernes ?

1). Lonstauneau-Lacau. - Un visiteur du maréchal Pétain, dont il ne nous a pas dit le nom, lui a remis un document sur tes conditions dans lesquelles pourrait se faire un tel putsch. Le maréchal m'a chargé de prévenir le 2e bureau. C'était le règlement. Un officier est venu et l'a remis avec le courrier au général Gérodias, aide-major général

Le lendemain ce document qui avait été ronéoté était envoyé à toute l'armée, non pas du fait du général Gérodias, mais, sans doute, d'une erreur d'ampliation commise par un bureau.

Le procureur général. - Un visiteur inconnu... tes conditions dans lesquelles...

Loustauneau-Lacau. - Il y avait notamment cette phrase : " Le plus sûr moyen pour que les officiers d'activé ne s'opposent pas à une révolution est de les tuer d'abord. "

Le procureur général. - Et le maréchal vous a dit : " Communiquez ce document au 2e bureau " ?

M. Loustauneau-Lacau. - Il l'a remis lui-même fi l'officier du 2e bureau venu le chercher. C'était le règlement.

M. Perney, juré. - L'accusé a-t-il su que vous étiez enfermé à Evaux et a-t-il tenté d'éviter que vous ne soyez livré à la Gestapo ?

M. Loustauneau-Lacau. - Je n'en sais rien. Je lui ai écrit. J'ignore s'il a reçu ma lettre.

Le président. - Le maréchal a-t-il quelque chose à dire ?

Le maréchal. - Je ne connais pas ces histoires-là.

M. Loustauneau-Lacau. - Je tiens encore à dire que les nommes qui me suivent ne sont pas des conspirateurs et aussi que, bien que le maréchal m'ait odieusement laché, il y a assez, pour le malheur de la France, du sang de Marie-Antoinette et de celui du maréchal Ney. (Rires.)