Il y a 100 ans ....
Le procès Pétain
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Incidents entre le général Weygand et M. Paul Reynaud

 

L'audience est ouverte à 13 h. 20. On remarque dans l'assistance M. Félix Gouin, président de l'Assemblée consultative.

Le président Mongibeaux. - Depuis deux jours et presque depuis le début do ce procès, nous assistons à une recherche des conditions dans lesquelles a été demandé et accepté l'armistice, les témoins civils et militaires cherchant à rejeter les uns sur les autres les responsabilités de cet acte. J'estime que nous sommes amplement éclairés sur cette question et qu'il y a lieu de passer à une autre partie du procès, savoir : qu'a fait le maréchal, après le 10 Juillet, des pouvoirs qui lui avaient été confiés? Nous pourrions donc nous mettre d'accord pour l'audition des témoins suivants, afin d'éviter des redites.

Le bâtonnier Fernand Payen. - Je veux bien être d'accord, mais faut qu'il soit bien entendu que rien n'est retenu du " complot ", sinon nous avons encore des témoins à produire.

Le procureur général Mornet. - Je suis d'accord, moi aussi. Il n'y a pas que l'armistice dans ce procès, mais aussi le 10 Juillet 1940. L'armistice ne constitue pas un des griefs de l'accusation...

Me Payen. - Comment?

Le procureur général Mornet.- ...mais la préface de l'accusation. Le procès de trahison commence à partir du 11 Juillet 1940. Abandonner la complot ? Je n'abandonne pas l'attentat contre la République. Peu importe s'il a été précédé d'un complot sur lequel je reconnais que je manque d'éléments permettant de préciser le rôle des différents acteurs. La trahison, je l'établirai bien plus avec des documente qu'à, l'aide de témoins. Faisons en sorte que rien d'Inutile ne surcharge et ne ralentisse plus le procès.

Le bâtonnier Payen. - J'exprime la satisfaction de la défense. Ainsi, vous abandonnez le complot, c'est-à-dire une partie de votre acte d'accusation. Mais, à côté des faits, il y a la préméditation, et la-dessus tous vos témoins ont été entendus. Nous ne pouvons pas renoncer à faire entendre les nôtres.

Le procureur général Nornet. - Vous confondez complot et préméditation. Je n'abandonne pas la préméditation.

Le bâtonnier Payen, - Entendez les témoins de la défense, après quoi je discuterai l'extraordinaire théorie juridique du procureur général. Le président Monglbeaux. - Nous allons donc reprendre l'audition du général Weygand.

Le procureur général. - Est-ce bien utile ?

Le président. - Je ne le pense pas. bâtonnier Payen. - La défense n'insisle pas.

Le président. - Renonçons donc au général Weygand.

Le bâtonnier Payen. - Et à M. Paul Reynaud. (Rires.)

Le président. - Bien entendu. (Rires.) Alors, nous allons entendre M. Duenayla.

Audition de M. Duchajla

M. Duchayla ministre de France à Luxembourg, est donc le premier témoin d'aujourd'hui.

Le bâtonnier Payen. - M. Duehayla a été conseiller d'ambassade à Madrid du mois de mars 1939 au mois de mal 1940.

M. Duehayia. - Je peux, en effet, dire ce que j'ai vu. ou plutôt ce que je n'ai pas vu. Le maréchal a rencontré deux ou trois fuis le général Franco dans des réceptions officielles. Le maréchal ne parlait pas l'espagnol et le général ne connaît pas le français. On a parlé d'un prétendu défaitisme du maréchal au début de la guerre. Je puis vous assurer que le maréchal nous a dit, à M. Gazel et a moi-même; de repousser à l'avance l'emploi qui pourrait être fait de son nom à cette époque. Je me rappelle aussi que, peu après la réélection de M. Albert Lebrun, le maréchal m'a dit que certaine de ses amis avaient pensé à sa candidature et qu'il leur avait répondu : " J'ai 83 ans, pouvez-vous me garantir sept ans de vie ?... Je repousse dono toute candidature. "

Me Jean Lemaire. - Le maréchal a-t-il fait des interventions en faveur de François ?

Si. Duchayla. - Oui, pour des prisonniers politiques, des membres des brigades internationales. L'ambassade faisait les démarches et l'ambassadeur les couvrait de son autorité.

Le bâtonnier Payen annonce alors que le maréchal Pétain a reçu une lettre de l'amiral Leahy. Elle est écrite en anglais et il faut la faire traduire officiellement. M. Duchayla connaît ta langue anglaise, il est prié de lire cette lettre.

Nouvelle controverse général Weygand-Paul Reynaud

Me Isorni. - Le général Weygand demande à faire une brève déclaration.

Le président. - Soit

M. Perney, juré. - Alors, il faut entendre aussi et en même temps M. Pau) Reynaud.

Le procureur général. - Je ne suis pas de cet avis.

Le président. - II faut tout faire pour faire la lumière.

Le procureur général. - Ou l'obscurité I...

M. Paul Reynaud. - Je ne tiens pas du tout à entamer une polémique.

Le général Weygand. - Je veux seulement répondre quelques mots à M. Paul Reynaud, mais, quoi qu'il dise par la suite, je ne dirai plus rien. Je maintiens ce que j'ai dit sur l'armistice et Je remarque que M. Paul Reynaud m'a attaqué et injurié à la fois non seulement ici, mais dans la presse française et étrangère. La Cour jugera.

M. Paul Reynaud. - Vous ai-je insulté ?.

Le général Weygand. - Oui, en disant que j'avais fait passer mon patriotisme après mes ambitions et rancunes politiques.

M. Paul Reynaud. - Et si j'en apporte la preuve Le bâtonnier Payen a dit hier que je voulais démontrer que la France avait failli à sa parole, manqué à l'honneur I Qui donc, dans le monde, confond la France avec Vichy ? Et s'il y a eu tache, elle a été lavée par le sang de nos soldais et des martyrs de la Résistance. Je dis maintenant qu'eu acceptant de mes mains le commandement en chef de l'armée, le général Weygand avait pensé à une opération politique. Dans notre prison, le général Gamelin m'a raconté, ainsi qu'à M. Michel Clemenceau, présent à celle audience, que le lendemain de sa nomination, le 0 mai 1940, il était allé voir son prédécesseur et lui avait dit, à propos de la gravité de la situation : " J'ai le secret de Foch. " (Le général Weygand ne peut s'empêcher d'éclater de rire) Puis : " Sur le plan politique, il va falloir en finir avec tous ces hommes politiques. Ils ne valent pas mieux les uns que les autres ! " (Hilarité.) De telles préoccupations sont-elles compatibles avec les sentiments que devait avoir le commandant en chef au moment où l'Invasion de la France avait commencé % Le général Gamelin peut vous répéter ce que je vous dis, et aussi que le général Weygand avait réintroduit dans l'armée l'atmosphère politique qui en avait disparu. C'est en raison de ces intentions que le général Weygand a demandé au gouvernement de ne pas quitter Parle. Les Allemands nous auraient alors faits prisonniers et vous voyez ce qui s'en serait en suivi.

Le général eygand. - C'est fini ? M. Paul Reynaud. - Ah ! non. A l'issue du conseil de Gange, vous avez dit : " Ils sont fous. Il va falloir les faire arrêter. " Ils, c'était nous, le gouvernement.

Le procureur général. - Mais voyons, ce n'est pas le procès du général Weygand que nous faisons Ici. Tout cela devrait être dit dans le cabinet du Juge d'instruction chargé de l'affaire Weygand.

M. Paul Reynaud. - Le sénateur Relbel a dit qu'après avoir vu le général Weygand il était allé voir les ministres, insistant de telle façon pour l'armistice que certains ministres y virent des menaces de mort.

Le président. - Nous sommes en plein procès Weygand. Nous allons encore en avoir pour trois semaines ou un mois.

Le général Weygand. - Dans ce qui est mon procès, je demande toute la lumière. Je ne renie pas mes écrits. Mais Je conteste formellement les paroles du général Gamelin, que je n'aurais tout de même pas pris comme confident I Avide d'autorité. M. Paul Reynaud ne s'est pas montré avide de responsabilité. Me désapprouvant, il ne m'a pas destitué. Opposé a l'armistice, il a démissionné. Il n'a pas voulu voter à l'Assemblée nationale; il a accepté du maréchal de le représenter a Washington. Et c'est ce monsieur qui vient accuser des hommes comme nous ! (Bruit.)

Maintenant M. Paul Reynaud peut dire tout ce qu'il veut, Je ne répondrai plus, du moins ici.

M. Paul Reynaud. - Messieurs...

Mais le président clôt énérgiquement cet incident :

Le président. - L'Incident est clos.

M. Paul Reynaud. - Il faut pourtant qu'il soit dit... (Bruit.)

Le président. - Non ! En voilà assez !