Il y a 100 ans ....
Le procès Pétain
1 2 3 4 5 6 7 8
9 10 11 12 13 14 15  

Le général Weygand se défend et défend l'armistice. - Nouvelle intervention de M. Paul Reynaud. LA HUITIÈME AUDIENCE Suite de la déposition du général Weygand

 

Après avoir, dans la première partie de sa déposition - que nous avons relatée hier aux Dernières nouvelles, - rappelé les débuts de l'offensive allemande de Juin 1940 sur la Somme et l'Aisne, le général Weygand Indique que c'est le 11 Juin, à Briare, que, la basse Seine étant traversée et les panzer faisant de grands progrès en Champagne, il décida de déclarer ville ouverte Paris qui risquait d'être tourné et dont la position de défense avancée ne pouvait tenir, en raison de l'extrême fatigue des troupes. Il en rendit compte aussitôt à M. Paul Reynaud et au maréchal.

Le général Weygand. - Puis c'est le conseil suprême en présence de M. Churchill. J'expose la situation. Je me rappelle que je dis : " Nous sommes sur la lame du couteau. " Après M. Churchill, M. Paul Reynaud, note le procès-verbal, " tient à rendre hommage au général Weygand et à l'attitude de ces troupes ". Pensait-il alors à me relever de mon commandement, comme il l'a dit ici ?

Bien que le mot d'armistice n'ait pas été prononcé, M. Churchill, avant de s'en aller, demande qu'aucune décision ne soit prise sans que M. Reynaud lui ait demandé une nouvelle entrevue.

" Le dispositif Basse-Seine - position avancée de Parie - Marne-ligne Maginot ayant été perdu, il nous faut reculer, sur un terrain qui s'élargit de plus en plus.

" Je donne l'ordre de marcher sur huit direct tons particulières, vers une ligne Caen-Clamecy-Tours-Dôle. Mais il s'avère bientôt que toute défense coordonnée du territoire est impossible.

" Je suis toujours le général Weygand ! "

" Pour toutes ces raisons purement militaires, je décide d'inciter le gouvernement à demander un armistice. Où voit-on, là-dedans, une collusion avec le maréchal, qui, pendant toute cette période, vivait, pour ainsi dire, avec le président du conseil ?

" Comment 1 Jusqu'alors, j'aurais été un chef remarquable par sa vitalité et par son patriotisme, et je serais devenu un mauvais chef à partir de ce moment, parce que l'armée française était battue ? An ! cela, Je ne l'accepte pas. Je suis toujours le généra! Weygand; Je suis toujours le même chef !

Le 12, à Cangé, je déclare donc : Demandez l'armistice maintenant .où il est temps encore, où nos troupes ont encore une certaine cohésion. Et il ne 8'agit pas seulement de l'ordre dans nos troupes : il s'agit de l'ordre dans les populations. Nous avons cinq ou six mil-Ions de population qui déferient vers le sud dans un désordre épouvantable, commençant à se mélanger a l'armée, " On a abusé de ce mol " ordre ". Le président du conseil et la plupart des ministres repoussent l'armistice, au nom de l'honneur. Pas une question ne m'est posée. Mais aucune décision ne doit être prise avant d'avoir consulté M. Churchill.

Le 13, nouveau conseil des ministres. A la surprise générale, M. Reynaud annonce qu'il a dit au Premier britannique que le gouvernement avait pris la décision de continuer la lutte. Je rends compte de la situation, qui s'est encore aggravée, et conseille de faire sortir la flotte de nos porte avant toute demande d'armistice.

Le complot

Les Allemands arrivaient dans la région de Vesoul ; les populations refluaient dans nos armées et l'on arrivait à ce désordre militaire que J'avais redouté. On a isolé mes paroles concernant l'ordre pour prouver le " complot ", l'origine politique de l'armistice. On y a ajouté que J'avais prétendu que les Allemands étaient à Aubervilliers et M. Tho-rez à l'Élysée, La vérité, la voici : pendant le conseil, le reçus d'un officier de la présidence de la République un message de mon quartier général annonçant que les Allemands approchaient d'Aubervilllers, et un second message pour le gouvernement, émanant d'un agent du ministère de la marine, selon lequel un coup de main communiste avait eu lieu à Paris. J'appelle au téléphone le général Dentz, qui dément. Même démenti obtenu par M. Mande, de la part de MM. Magre et Langeron. Par contre, il est confirmé que les Allemands ne sont pas loin de Paris. Cet incident a duré cinq minutes.

C'est en réunissant ces deux choses : l'ordre - compris d'une certaine façon - et la crainte d'un putsch communiste, c'est pour cela que J'ai demandé l'armistice! C'est une manœuvre Indigne, montrant la perversité des hommes qui l'ont combinée !

Le 15, à Bordeaux, M. Reynaud me confie son désir d'imiter l'attitude de la reine de Hollande : les troupes capitulent et le gouvernement part. Je me refuse à couvrir le drapeau de cette honte. Puis à lieu un conseil des ministres auquel Je n'assiste pas, et à l'Issue duquel M. Reynaud vient me trouver et me dit : " Général, ainsi que nous en sommes convenus tout à l'heure, vous allez demander la capitulation de l'armée, "

J'ai eu un véritable sursaut d'indignation. Je me suis reculé de trois pas, de façon que tous les témoins m entendent. J'ai été obligé de donner au président du conseil un démenti retentissant. J'ai affirmé de nouveau qu'il n'y avait pas de force humaine qui me fasse signer la capitulation d'une armée qui venait de se battre comme elle l'avait fait.

Beaucoup d'obscurités

Les 16 et 17 juin, c'est l'histoire des télégrammes anglais remis, retirés et remis de nouveau. Il y a, dans ces journées, comme dans celle du 13, beaucoup d'obscurités.

" A propos de l'accord du 28 mars, M. Albert Lebrun lui-même a déclare récemment qu'il y avait alors une tendance à penser qu'il y avait eu des circonstances telles que cet accord n'était plus en vigueur.

" C'est le gouvernement qui était seul qualifié pour prendre la décision. Il n'y a pas eu lutte entre te pouvoir civil et le pouvoir, militaire. Il n'y a pas de pouvoir militaire. Il y a le gouvernement. Or, M. Reynaud a dit avoir voulu, à plusieurs reprises, me destituer : il ne l'a pas fait.

" A la fin de cette journée du 16 juin, Il a démissionné; il a demandé au président de la République que ce soit le maréchal Pétain qui prenne le gouvernement; en demandant cela, il savait que le gouvernement qui allait prendre l'autorité en France était un gouvernement qui allait demander l'armistice. Alors, messieurs, je ne comprends plus... Je vois là une très grande faiblesse...

" Croyez qu'il me fut plus pénible qu'à tout autre de demander un armistice, moi qui avais lu aux Allemands les conditions d'armistice de Rethondes...

Capitulation ou armistice

" Il me reste un dernier point à traiter, celui des deux solutions qui étaient présentées : capitulation et armistice.

" On parlait d'honneur, et on demandait la capitulation ! La capitulation est une action déshonorante, pour l'armée, pour une nation qui a les fastes militaires de la France ; on ne s'en relève pas. Notre code de justice militaire punit de mort le chef qui capitule en rase campagne.

" On a parlé d'une autorisation qui m'aurait été donnée. On a parlé même d'une tentative qu'aurait faite le maréchal Pétain auprès de moi pour me décider. Cette tentative n'a pas eu lieu, cette autorisation ne m'a pas été donnée. Mais le maréchal Pétain aurait-il fait cette tentative, cette autorisation écrite et signée m'aurait-elle été donnée, j'aurais refusé. Quand les Alliés ont défini l'appatissement qu'il fallait imposer à l'Allemagne, qu'ont-ils dit ? " Capitulation sans conditions. "

Capituler, c'était d'ailleurs livrer d'un seul coup à l'ennemi te territoire français ; un gaulelter, ou un Français qui n'eût pas mieux valu; une administration allemande; plus l'armée, donc plus de possibilité de conserver de cadres, do camoufler du matériel; toutes les ressources humaines et économiques aux mains de l'ennemi, tout de suite; le sort de la Pologne ou celui de la Hollande.

" On prétend qu'on aurait trouvé dans l'Afrique un bastion de la défense et un tremplin pour la victoire future. Or, il n'y avait presque pas de D.C.A., pas de canons lourds; un escadron de chars; des troupes Incomplètement armées. Faire venir des renforts de France ? Mobiliser deux classes ? Il n'y avait aucun moyen d'habiller ni d'armer ces 500.000 hommes. Il faut huit jours pour transporter une division et il n'y avait pas de bateaux. Quant à des troupes britanniques, il n'y fallait pas songer, L'Afrique était livrée à ses propres moyens, face à toutes les forces allemandes qui auraient pu disposer de nos côtes, passer par l'Italie, et peut-être par l'Espagne, et organiser de grands débarquements aériens. Certes les flottes et aviations franco-britanniques leur auraient infligé des pertes, mats elles auraient passé quand même. Or, il ne s'agissait pas d'une défense d'un moment, mais d'une défense de plusieurs années, pour donner aux Anglais et aux Américains le temps d'être prêts. Enfin, l'Afrique n'avait pas d'Industrie de guerre, ni de carburants. Elle ne disposait plus de celle source de cadres militaires qu'est la France, De toute façon, ce n'était pas en quinze jours-l'idée ayant été émise le 29 mai - qu'on pouvait organiser quelque chose. Alors, ce n'était qu'un jeu de l'esprit, et la guerre est une affaire de force.

" L'armistice, ou contraire - étant entendu qu'il no livrait ni la flotte ni l'empire, - réservait une zone libre; un gouvernement et une administration français; une armée de 100.000 hommes grâce à la présence, de laquelle nous avons pu cacher du matériel, conserver des gradés, placer dans l'administration civile tous les services de recherche, de recrutement, de préparation à la mobilisation en vue des événements futurs; 30.000 hommes en Syrie; 120.000 hommes en Afrique du Nord; 30.000 hommes en A.O.F. Lors de leur débarquement, les Alliés ont trouvé une Afrique libre et une armée africaine qui devait combattre jusqu'au Danube, Les Allemands ont bien essayé ensuite de mettre la main sur l'Afrique du Nord; le gouvernement a pu résister en s'appuyant sur l'armistice; le maréchal a refusé de signer le protocole Darian de mai 1941 qui livrait certaines bases et que j'avais déclaré, étant alors délégué général du gouvernement, ne pas vouloir appliquer.

Le général de Gaulle a dit le 16 juin : " Que l'on s'imagine ce qu'eût été le développement du conflit si la force allemande avait pu disposer des possessions françaises d'Afrique; au contraire, quelle fut leur importance comme base de départ pour la libération de l'Europe. "

Messieurs, je voudrais vous avoir convaincus que les décisions qui ont été prises ne l'ont été que pour des causes militaires et seulement dans l'intérêt supérieur, le plus noblement pensé, de la patrie. "