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De cette histoire qui décidément ne passe pas …

Une ITV de Paxton, historien américain qui avait aux débuts des années 70 bouleversé l'historiographie du régime de Vichy avec la publication de son livre. Il est difficile aujourd'hui de retrouver les traces de ce que ce livre a secoué. Il ne faut pourtant pas oublier, prix à payer du coup gaullien de Londres en juin 40 qui a quand même consisté à faire passer la France du camp des collaborateurs avec l'Allemagne au camp de toutes les nations alliés combattant le nazisme et résistantes. Coup que je continue à croire génial tant par son audace que son côté insolite - à la fois psychologique, politique et moral - mais qui a eu l'indéniable inconvénient d'empêcher la France de l'après-guerre de se regarder en face.

A faire, comme on dit pompeusement aujourd'hui, son travail de résilience.

En arrivant à Paris fin Août 44, la première tâche de de Gaulle fut de déclarer nuls et non avenus les actes, lois et décrets pris entre le 17 juin 40 et Août 44. Juridiquement, le régime de Vichy n'avait jamais existé et il était donc logiquement inutile de proclamer la République sur les balcons de l'Hôtel de Ville - ce que de Gaulle se garda bien de faire.

On a nettoyé les écuries d'Augias comme on put, on épura, parfois maladroitement, souvent incomplètement ; et même odieusement dans certains cas. Mais il fallait exercer le pouvoir en toute légitimité. Empêcher les américains de considérer le territoire français comme un territoire occupé. Faire entrer dans le rang aussi vite que possible les résistants.

On se contenta de quelques traîtres ; de quelques têtes. Pétain ; Laval ; Brasillach ; Maurras et puis on s'empressa d'oublier avant de pardonner. La France eut vite d'autres chats à fouetter : l'Indochine ; l'Algérie.

Des écrivains bien plus coupables, ou pas pires en tout cas que Brasillach en réchappèrent : Céline notamment mais Rebatet aussi ; des politiques aux mains au moins aussi sales que Laval survécurent et parfois bien - Bousquet - ou prirent même du galon tel Papon …

Ce travail que dut bien faire l'Allemagne qui, non sans courage parfois ni sans ambiguïtés souvent, l'amena à se regarder en face et tenter d'assumer l'impardonnable et l'insoutenable, la France, quant à elle, ne put ou sut le faire. Ou le fit très lacunairement. Pour ce travail-là, le gaullisme qui politiquement fut salvateur en 44, fut un obstacle insurmontable dès les années 60. On y vit tout au plus une politique de traîtres et dans les années noires de l'Occupation quelque chose comme les ferments d'une guerre civile. On n'alla finalement pas beaucoup plus loin.

On n'a pas regardé le rôle si trouble de Vichy par rapport à la question incontournable du génocide : on a incroyablement contourné la question privilégiant le rôle des déportés politiques et le traitement qui leur fut infligé ; si on parlait à l'époque de camps c'était de camp de concentration, pas d'extermination. Cela viendra plus tard ; bien plus tard ; presque trop tard. On n'a pas alors regardé non plus la dimension sinon fasciste en tout cas résolument dictatoriale, tyrannique d'un régime qui retrouvait comme le retour du refoulé tous les canons idéologiques de l'Ancien Régime mal remis encore de 1789, la rancœur aux lèvres ; la vengeance en armes.

C'est tout cela que venait bouleverser le livre de Paxton. Vichy n'était plus seulement un régime de traîtres ou de lâches ; plus seulement un régime anti-national. Mais de honte ; de compromission ; de forfaiture. Dans un contexte différent mais avec la même désinvolture que l'Autriche, la France s'installa dans la posture de victime, mais de victime bientôt héroïque puisqu'elle résista. C'est ce conte de fée que brisa alors Paxton.

La France n'avait pas seulement avalé son chapeau. Mais toute honte bue.

Dans l'interview accordée à Médiapart, Paxton est interrogé sur la raison de la persistance de Vichy dans les débats politiques en France. Or, effectivement, point n'est besoin de remonter très loin : en 2012 la campagne rapidement tourna autour de l'influence délétère que Buisson exerçait sur Sarkozy. Dès 1974, on n'hésita pas à rappeler la francisque de Mitterrand etc … Il n'est qu'à rappeler le Suicide français de Zemmour, paru en 2004, qui non content de verser dans le déclinisme se piqua de trouver à la politique de Vichy un rôle positif dans le sauvetage des juifs français … et de s'en prendre à ce qu'il appela alors la doxa paxtonienne.

C'est donc bien que Vichy joue encore le rôle de filtre, de critère ou de grille de lecture de la société française, quatre-vingt ans après.

C'est ceci d'abord qui m'intéressa dans cet interview : son apparent étonnement avant de se raviser et de rappeler que la guerre de Sécession, elle aussi, demeura longtemps un marqueur de la politique américaine.

Ces grands marqueurs finalement sont presque toujours des périodes de divisions internes voire de guerre civile bien plus que de guerres classiques. La guerre de 14, certes, aura marqué un tournant à tous points de vue, mais ce fut d'abord pour avoir été la première guerre à la fois mondiale et de masse mettant des nations entières en armes. Elle fut même, au contraire, un pôle de rassemblement autant mémoriel, idéologique que politique … et le resta longtemps. Pas plus, finalement que la 2e guerre mondiale qui ne divisa pas en soi, mais pour la nature spécifique de l'adversaire et pour les conséquences politiques en France.

La France moderne s'est sans doute construite autour de la première grande rupture que constitua la Révolution de 89 à 93 et du coup de force à la fois idéologique, politique et institutionnel de Vichy - qui s'en voulut l'exact antidote. Maurras, même s'il ne fut pas toujours en odeur de sainteté à Vichy en est l’expression parfaite lui, l'homme de la divine surprise en 40 et de c'est la revanche de Dreyfus à la fin de son procès.

En réalité ce qui se cache, aussi, derrière cette référence sempiternelle à Pétain, c'est la montée de l'extrême-droite et la crainte qu'elle ne parvienne demain au pouvoir qui s'accompagne par ses thuriféraires de propos de plus en plus explicitement assumés qu'autrefois on eût cachés. Ce qui se cache là-dessous c'est cette victoire dans la guerre des mots qui fait s'avouer désormais propos racistes, ségrégationnistes etc… d'autant, on le sait, que le passage à l'acte dépend en partie de ce passage préalable aux mots.

 

Ce qui se cache dès lors la dessous c'est l'autre question évoquée dans cet ITV : le retour du fascisme ou l'apparition d'un néo-fascisme que représenteraient ces victoires ici ou là de l'extrême-droite parfois retraduite en illibéralisme qui ne trompe pas grand monde.

Je fais partie de cette génération qui traitait de fasciste tout ce qui ressemblait de près ou de loin au système institutionnel et ses partisans … et ceci commençait dès les centristes. Le fascisme fonctionnait comme une injure au moins autant que comme un moyen d'exclure et de stigmatiser. J'entends encore les slogans des manifestations à propos de la guerre du Viet-Nam - Nixon fasciste assassin : les termes fonctionnant en réalité comme synonymes voire pléonasme.

Toute la question, en réalité, en politique, est de ne pas se tromper ni de cible, ni d'analyse ; de ne pas systématiquement lire le présent avec les grilles d'analyse du passé. De ne pas donc voir des fascistes partout, de ne pas considérer donc comme résurgence d'un passé sulfureux ce qui serait certes tout aussi dangereux que le fascisme d'autrefois, mais autre, mieux adapté aux sociétés contemporaines ; jouant toujours sur les peurs mais d'autres peurs dont même les craintes environnementales ; de ne pas tout confondre en une même soupe odieuse mais simplificatrice comme le terme populisme qui n'aide décidément pas à penser tant peuvent être différents Orban, Kaczyński, Salvini … peuvent présenter des façades différentes.

C'est sagesse de la part de Paxton de ne pas tomber dans le piège consistant à ranger hâtivement Trump dans la catégorie des fascistes. - Je pense que l’on ne doit pas décocher cette appellation à tout bout de champ - d'autant que si raciste, autoritaire et aisément brouillon il demeure, il s'en distingue notamment par sa politique économique. On pourrait presque dire la même chose de B Johnson sauf à considérer que ce dernier paraît plus un sulfureux opportuniste prompt à tous les compromis pour les joies supposées du pouvoir.

Il demeure assez évident que le paysage politique éclaté depuis 2017 au bénéfice de Macron - plus que de son fait d'ailleurs - incite d'ores et déjà à anticiper un face à face avec Le Pen que droite et gauche traditionnelles aussi exsangues et divisées l'une que l'autre - mais aussi sottes - ne pourront pas empêcher ; que toute la politique de Macron, quitte à jouer avec le feu et donc à rendre légitime une M Le Pen qui ne l'est pas, à donner de la voix à un Zemmour qui n'est quand même pas le prince de la finesse, voire à accorder entretien à un journal souvent bien sulfureux et revoir en l'aggravant les politiques à l'égard des immigrés - ce qui est quand même sous-entendre que l'immigration serait au centre de nos problèmes.

On voit bien son jeu : il est si cruellement évident. Gare cependant au risque qu'il ne se retourne contre lui ! Un dégagisme aussi simpliste que violent pourrait tout remettre à l'envers.

Ce qui ressort de son analyse est bien en tout cas que le ferment de ces démarches d'extrême-droite demeure la peur - que ce soit de l'autre, de la décadence, de l'avenir ou de la pauvreté. Son fonds de commerce c'est la peur. Son moteur la haine.

Je n'ignore pas que sur fond de peur tout est possible … jusqu'au pire.

Il sera bien un moment, ici comme ailleurs, où hurler au danger ne sera plus une excuse ; où le moment sera d'agir. Sur le climat ceci commence ; sur le social, arrivera bien un moment où, à force de régressions successives travestie en réformes de modernité, le peuple finira par s'ébrouer ; sur le politique … rien n'est moins sûr.

 


Quelques liens

 

 

J'ai, à plusieurs reprises évoqué Vichy et Pétain :

autour de la bataille des mots lors de l'élection de Trump

 

sur le pétainisme

sur Maurras

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Biblio autour de Maurras

Biblio autour de l'extrême-droite

Textes de Maurras

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Chanson : Maréchal …

Actes Constitutionnels

Montoire

Laval

Ordre nouveau

Statut des juifs

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les discours de Pétain

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Blum sur Pétain

Blum sur Laval

De Gaulle sur Laval

De Gaullle sur Pétain

De Gaulle sur le procès Pétain

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G Hervé C'est Pétain qu'il nous faut

Céline sur Sigmaringen

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Textes de Paxton :

ITV Paxton 2015

Paxton : des fascismes

fascisme : au delà des stéréotypes

 

documentaire sur duel Blum/Pétain

documentaire sur procès pétain

Minutes du procès

extraits documentaire sur P Buisson


« Face à Marine Le Pen, Emmanuel Macron joue avec le feu »

Dans sa chronique, Françoise Fressoz, éditorialiste au « Monde », analyse la stratégie du chef de l’Etat consistant à installer dans l’opinion son face-à-face avec la présidente du Rassemblement national.

 

Malaise, fin octobre, à la lecture de Valeurs actuelles qui met en scène, sur douze pages, un « tête-à-tête avec Macron » sur les trois questions du moment censées tarauder les Français : l’immigration, le communautarisme et le voile. A supposer que cela soit le cas, une expression publique du chef de l’Etat devant l’ensemble de la nation française aurait été bienvenue pour tenter de mettre le holà à ce qui pourrit le climat actuel : la haine anti-musulmans propagée ouvertement par certains essayistes ; les amalgames entre immigration et islamisme ; la suspicion envers la communauté musulmane, touchée au cœur par l’attaque, lundi 28 octobre, contre la mosquée de Bayonne, qui a fait deux blessés. Acte odieux, commis par un ancien candidat du Front national, admirateur d’Eric Zemmour et adepte des théories complotistes, au discernement partiellement altéré.

Tout plaidait pour une adresse au pays calme et digne. Au lieu de quoi paraît ce long échange recueilli quelques jours plus tôt dans l’avion présidentiel par l’organe de presse, qui se fait fort d’être la tête de pont entre la droite et l’extrême droite.

Le journaliste qui sert d’intermédiaire n’en revient pas d’avoir ferré un si gros poisson. Il enfle la mise en scène, s’accorde une importance considérable dans la supposée prise de conscience du chef de l’Etat. « Pour la première fois dans ce quinquennat jusqu’alors bien timide sur les questions identitaires, le président a parlé. »

En réalité, Emmanuel Macron ne dit rien de nouveau sur la question du voile et de l’immigration. Il renvoie dos à dos « les droits- de-l’hommistes » qui se sont mobilisés contre les circulaires Collomb et Marine Le Pen, dont il dénonce le jeu consistant à amalgamer « la peur de l’autre, de l’étranger » et « la peur du religieux ». Mais il se trouve malgré tout embarqué dans ce qu’il conviendrait justement qu’il fuie : la dramatisation et la polarisation. Piégé, le chef de l’Etat, mais la faute à qui ?

Match serré

Les sondages de mi-mandat, qui vont tous dans la même direction, fournissent une clé de compréhension de ce qui a poussé Emmanuel Macron à jouer ainsi avec le feu : deux ans et demi après la présidentielle de 2017, son face-à-face avec Marine Le Pen se confirme et se structure. Selon Elabe et IFOP-Fiducial, les deux candidats feraient à peu près jeu égal au premier tour de l’élection présidentielle si celle-ci avait lieu aujourd’hui. Les scores ne sont en rien prédictifs, mais ils donnent une indication sur l’ambiance actuelle : crédités l’un et l’autre de 27 % à 29 % des suffrages, ils améliorent leur score par rapport à 2017 et laissent loin derrière eux les autres concurrents, au premier rang desquels Jean-Luc Mélenchon, qui plafonne un peu au-dessus de 11 %.

Leur électorat est très typé : Emmanuel Macron réalise ses plus gros scores chez les personnes âgées, les cadres et les professions supérieures. Marine Le Pen séduit les employés et les ouvriers, deux catégories où elle apparaît majoritaire. Au second tour, le match se resserre (55 %- 45 %, selon l’IFOP), ne laissant que 10 points d’avance au président sortant qui en bénéficiait de 32 il y a deux ans et demi.

Dans ce match serré, l’électorat stratégique est celui de François Fillon, dont une partie significative a rallié Emmanuel Macron, alors que l’autre est tentée de voter Marine Le Pen ou Nicolas Dupont-Aignan. Selon Elabe, sur 100 électeurs fillonistes du premier tour de 2017, entre 30 et 42 voteraient Emmanuel Macron dès le premier tour, tandis que de 14 à 18 choisiraient Marine Le Pen et 11 ou 12 Nicolas Dupont-Aignan. C’est à ces électeurs-là que le président envoie des signaux appuyés depuis qu’à la mi-octobre, il a considéré devant les élus de son mouvement que la bataille face au Rassemblement national passerait par un discours plus musclé sur l’immigration et une lutte accrue contre les communautarismes.

La droite attaquée par les deux bouts

« Je vois la France comme un pays archipel », confie Emmanuel Macron au journaliste de Valeurs actuelles. L’Archipel français est le titre du dernier ouvrage de Jérôme Fourquet (Seuil, 384 pages, 22 euros), analyste politique et directeur du département opinion à l’IFOP. L’auteur y décrit la déstructuration profonde de la nation France, qui se projetait naguère comme une et indivisible, et qui, aujourd’hui, apparaît si fragmentée qu’elle parvient difficilement à faire société. Dans ce contexte, la gageure électorale consiste non plus à dégager des majorités d’idées, mais à tenter de bloquer la progression de l’adversaire en jouant à la marge, sur la partie de l’électorat la plus sensible à ses thèses.

Le jeu n’est cependant pas sans risque, car, sous couvert de les combattre, la triangulation ainsi opérée peut, au contraire, aboutir à les valoriser. Du point de vue idéologique, Marine Le Pen n’a pas à se plaindre de la période : ses interventions médiatiques se sont raréfiées, mais les thèmes qu’elle porte depuis des années, la question sociale et la crise identitaire étroitement amalgamées, saturent le débat sans que le président ait trouvé la martingale pour lestraiter.

La cristallisation du débat ainsi opérée laisse sur les marges les autres formations politiques, qui ne savent plus quelle entrée choisir pour revenir dans le jeu. « Le Pen est une valise vide, vous mettez ce que vous voulez dedans », fulmine Jean-Luc Mélenchon, qui tente en vain, depuis le début du quinquennat, d’arracher à la présidente du Rassemblement national une partie de l’électorat populaire. Attaquée par les deux bouts, la droite se raccroche aux élections municipales de mars prochain pour tenter un retour qui n’est en rien garanti. Seul face à Le Pen, Emmanuel Macron porte l’écrasante responsabilité d’incarner un progressisme devenu si nébuleux qu’il peine à faire barrage.