Bloc-Notes 2016
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Élection de D Trump

Tout est en place pour le scénario du pire mais en histoire comme en politique, le pire, s'il est toujours probable, n'en est pas pour autant certain.

L'homme est effrayant, à tout point de vue mais nous avons tous appris à lire depuis Marx les causes entrelacées, bien au delà de la seule individualité fût elle exceptionnelle. L'homme n'est jamais seul à faire l'histoire qui, en boucle, le constitue tout autant. Le parti Républicain est divisé, d'autant plus qu'il est désormais triomphant : Trump qui demeure quand même un amateur, plus bateleur - pour ne pas écrire bonimenteur - que fin connaisseur des rapports de forces politiques, trouvera inévitablement, face à lui, des groupes sachant manœuvrer et qui finiront bien, ici ou là, par s'opposer à ses visées extrêmes ou en tout cas par chercher à les tempérer. Il est vrai néanmoins que sa victoire est une revanche incontestable des remugles déjà sensibles avec le Tea Party et les cercles d'influence déjà repérées autour de Bush. Mais il est vrai, en même temps, que du côté démocrate, l'émergence et les résultats impressionnants de B Sanders aux primaires, révélèrent la complexité d'une situation où, à la puissance politique du petit blanc en pleine capilotade sociale et économique répondent des aspirations humanistes et les plus à gauche depuis Roosevelt. Cette élection fut décidément celle des mal aimés : il n'est pas de système parfait de désignation des candidats, on le sait : celui-ci, ce coup-ci, aura ouvert la voie à deux septuagénaires controversés chacun dans son propre camp. Ce qui devrait interdire toute explication simpliste des résultats de cette élection.

Mais, au delà des analyses lues dans la presse qui ne manquent ni de confusion ni parfois de naïvetés - il faudrait être fin connaisseur de la vie politique américaine pour les décrypter - trois choses me frappent

Une analogie vite tirée

Si là Trump, pourquoi pas, ici, demain M Le Pen ? On voit bien comment les candidats aux primaires de la droite ont vite tiré la couverture à eux, au point, par exemple, de redonner quelque espoir au camp Sarkozy plutôt inquiet ! Il est vrai que l'heure n'est pas aux grands démocrates en Europe : d'Erdogan en Turquie à Orban en Hongrie, de l'insolente et apparemment irrésistible hégémonie de Poutine à la montée de l'extrême-droite en Allemagne, Hollande, Belgique et évidemment en France, on sent bien le vent mauvais de la peste brune ; qui n'a rien de rassurant. Autour de moi, même réaction, mais pas de réflexion : une émotion, une peur manifeste. Un peu de culture et d'analyse politique ne seraient pas de trop ; mais non, seulement une pulsion, la même qui avait fait écrire je suis Charlie ! la même qui avait fait descendre la jeunesse dans la rue dans l'entre deux tours 2002 sans que nulle suite politique ne pût être donnée ; et pour cause ! Cruelle absence de culture politique, de sens de l'histoire, étrange pour ma génération qui avait appris à penser avec le matérialisme historique, Durkheim ou Hegel : il y a bien quelque chose de ceci que nous n'avons pas su transmettre et nous payons très cher aujourd'hui les billevesées de ces pseudo-philosophes qui, sous prétexte de dénoncer les totalitarismes auront vite jeté l'enfant avec l'eau du bain, et dénoncé les idéologies comme ferments du totalitarisme. Le résultat est affligeant : si Trump rebute ici la jeunesse, c'est assurément pour sa personnalité douteuse et sa campagne répugnante mais certainement pas pour les idées qu'il véhicule, encore moins pour les forces politiques qu'il représente. Faut-il s'étonner alors d'entendre, ici ou là, on a tout essayé depuis trente ans, alors pourquoi pas Le Pen ?

Je vois bien que je devrais biffer ce que j'écrivais ci dessus : l'arbre cache désormais la forêt et on ne voit plus que l'individu ! Ce qui, en France notamment, aggrave la situation est l'inculture de la presse elle-même, supposée pourtant nous proposer des grilles de lecture. D'où, symptôme effrayant de cette confusion idéologique, ce florilège de pseudo-concepts tels populisme [1], système [2], élite etc… qui n'aide ni à penser ni à comprendre.

La bataille des mots

Qui accompagne cette inculture ou si l'on préfère qui prolonge une véritable offensive idéologique, l'apparition de nouveaux mots, tels ceux énoncés à quoi s'ajoutent l'identité, communauté etc . Il faut écouter ce qui se dit en cette fin du documentaire sur Buisson ( ici un montage plus détaillé) et qui est révélateur :

 

il est indéniable qu'en un peu plus de dix ans, les mots de la politique ont changé et que, de ce point de vue, la droite extrême a emporté une bataille décisive, avec, notamment, la complicité active de Sarkozy. Il faut rapprocher ce qui se dit ici avec ce que disait Mélenchon en 2012

on a construit une bataille culturelle (…) j'ai bâti un univers de mots ...

 

on le comprend bien, il s'agit effectivement d'une bataille idéologique décisive, où les protagonistes avancent souvent masqués se protégeant sous l'aune de l'évidence mais où règne une invraisemblable confusion mais qui traduit une droitisation extrême, accompagnée du silence des intellectuels, de la cécité de la presse et de la désinvolture de certains politiques qui, sous l'aune du storytelling auront fini par avaliser l'idée qu'une campagne électorale ne serait jamais qu'une aimable histoire qu'on se raconte, une démarche sordidement démagogique où - politique de l'offre oblige, c'est-à-dire politique entendue comme une simple stratégie marketing - on donne à entendre au peuple ce qu'on lui suppose vouloir entendre, sans rapport aucun ni avec le réel ni d'ailleurs avec les mesures que l'on prendrait sitôt élu ! C'est ce que l'on appelle démagogie, non ? terme à coup sûr moins ambigu que populisme !

Signe, s'il en était nécessaire, qu'il n'est pas de politique sans contrefort idéologique ; qu'est désastreuse, insidieuse, délétère et surtout invariablement marquée à droite cette prestidigitation visant à nous faire accroire que serait dangereuse l'existence même de toute idéologie hâtivement rebaptisée pensée unique. La droite a toujours préféré le pragmatisme à la pensée, la dureté du fait, le diktat du réel ; celle, extrême, a toujours haï la pensée : il serait temps de s'en souvenir. Et confère à cette démarche de bien douloureuses résonances :

Ce restera, pour la France, la responsabilité politique de Sarkozy d'avoir laissé s'effacer les frontières qui séparaient droite classique et extrême et que ce fut par inconscience, arrivisme ou cynisme n'a finalement que peu d'importance. Mais que l'on laisse des Zemmour et autres Onfray, lui si souvent ambigu, fanfaronner sur les tréteaux médiatiques et distiller leur venin, en dit long sur le désarroi des uns, l'incompétence des autres, la lâcheté ou trahison des clercs. Il y a pourtant un combat à mener ; d'urgence ! et plus grand monde pour le mener.

 

Démocratie : le grand désamour

Il faut lire cette enquête IPSOS parue dans le Monde : elle révèle tout ou presque de ce confusionnisme ambiant. Qu'un tiers de l'électorat ait des doutes sur le bon fonctionnement de la démocratie peut s'entendre : il n'est pas faux, nous l'avons écrit déjà, que les réformes constitutionnelles successives, ont privé la Ve de tout contre-pouvoir autre que la presse, désormais défaillante, et que cette monarchie constitutionnelle est d'autant plus désastreuse que la mondialisation et l'Europe, ont largement rogné les ailes de nos dirigeants qui ne peuvent dès lors plus apparaître que comme impuissants, corrompus ou, au mieux, incapables !

Ce qu'il y a de meilleur dans un ensemble composé d'êtres ou de choses; produit d'une élection qui, d'un ensemble d'êtres ou de choses, ne retient que les meilleurs sujets.
Minorité d'individus auxquels s'attache, dans une société donnée, à un moment donné, un prestige dû à des qualités naturelles (race, sang) ou à des qualités acquises (culture, mérites)
Classe minoritaire composée de gens qui, du fait de leur naissance et de leurs mérites, de leur culture et de leur capacité sont reconnus (ou se reconnaissent) comme les plus aptes soit à occuper les premières places de la société à laquelle ils appartiennent, soit à donner le ton à leur milieu.
Milieux restreints d'une société dont les membres s'arrogent le droit de juger des choses de l'esprit, de faire et de défaire les réputations
CNRTL

La traduction de ceci se retrouve dans les mots : on ne parle plus de classe politique mais d'élite et c'est tout dire ! Même si le terme est une substanvivation de élire et que ce terme désigne étymologiquement la recherche du meilleur, sa signification a de quoi faire frémir : loin, très loin de la notion de représentation, élite laisse à penser une caste, à part, défendant ses intérêts propres loin de tout autre soin que de maintenir sa position et ses prérogatives et donc nécessairement félone, égoïste, corrompue. Voici reproduite la dualité patricien/plébéien. Que le cumul des mandats ait contribué à donner à ceci une apparence de réalité est probable mais le contre-exemple américain illustre que ce ne saurait être la seule raison. Je ne sais quel tour de passe passe aura fait, ici comme là, que les puissants et riches du moment revêtissent les oripeaux de défenseurs des faibles au moment même où ils eurent déclaré falloir défendre les riches contre les pauvres de demeurer les seuls, dans leur immense bonté à pouvoir les sauver en leur octroyant quelque emploi - flexible bien sûr - et surtout en leur redonnant le sens et le goût du travail. Je ne sais quelle magie aura fait la classe des démunis les croire : elle réside en ceci la puissance de la bataille des mots !

Mais qu'il s'en trouve un bon tiers pour souhaiter un régime autoritaire laisse songeur.

Voici une suite logique finalement de 2002 où l'éviction de Jospin du 2e tour avait éclipsé la seule donnée qui pourtant méritait d'être analysée : qu'un seul tiers des votants se reconnût dans les candidats classiques suggérait pourtant déjà combien la classe politique était déconnectée. L'incapacité de Chirac à transformer cette crise en un sursaut ni à lui donner un sens politique ; les manœuvres sarkozistes sans réelle colonne vertébrale idéologique ajoutée à l'impuissance de Hollande à marquer son mandat suffisent à rendre presque évidente la présence de Le Pen au 2e tour - à défaut de pouvoir encore l'emporter - mais surtout presque assurée la disparition de la gauche des radars pour un bon moment.

Voici surtout une raison supplémentaire de repenser nos fondamentaux républicains. Ici, comme ailleurs, fascinés par le pragmatisme anglo-saxon, minés par le libéralisme triomphant, secoués par les assauts d'une mondialisation et surtout d'une financiarisation de l'économie, nous avons fini par croire que démocratie et République étaient synonymes. Ce qui, je le maintiens, n'est pas vrai. Il y a, assurément, dans le projet républicain, quelque chose qui ne satisfait pas de la seule liberté politique du vote et de l'illusoire égalité des citoyens qui n'est réelle que le seul jour du vote. (voir Rousseau et Castoriadis) ; quelque chose qui lie étroitement égalité et liberté et s'interdit de tolérer plus avant une règle privée, un privilège. Nous voici dans une nasse qui n'est pas sans ressembler aux années vingt : une crise politique, économique, une protection sociale inexistante ou de plus en plus insuffisante, l'absence de toute perspective qui fait prendre toute promesse pour un mensonge … oui décidément quand le peuple, rivé aux fers de sa misère, s'ébroue, il lui arrive de remettre son destin entre les mains du premier bonimenteur au verbe haut, de prendre toute transgression pour une révolution et de forger ainsi sa propre déréliction.

Qu'un milliardaire puisse adopter la posture de défenseur des pauvres et des déshérités comme Trump, qu'un Sarkozy puisse se proclamer candidat anti-système, comme il continue à le faire, au prix de mille et une contorsions, sans faire hurler de rire, en dit long sur la pensée politique du moment, sur le désarroi politique de l'électorat. Ce n'est pas la Patrie qui est en danger, mais bien la République.

 

 

Si je devais nourrir quelque amertume, ce serait bien à l'égard de la gauche - le PS surtout - qui sur ce terrain nous a abandonnés aux sirènes d'un fallacieux social-libéralisme et a oublié ses fondamentaux ; quelque honte plus que de rancœur d'ailleurs, ce serait bien à l'endroit des intellectuels étrangement absents, silencieux jusqu'à l'angoisse.

Voudrait-on pratiquer la politique du pire qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Trump a commencé ! A qui le tour ?

 

 

 

 

 

 

 


1) j'avais consacré lors de la campagne de 2012 quelques pages à la question :

j'avais en outre consacré quelques pages, plus récemment aux notion et représentation du peuple

 

2) idem sur système