Bloc-Notes 2016
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Un tiers des Français enclins à essayer un système politique alternatif à la démocratie
Pascal Perrineau


40 % des personnes interrogées dans l’enquête « Les Français, la démocratie et ses alternatives » plébiscitent la participation de tous les citoyens, 20 % un régime autoritaire.

LE MONDE du 07.11.2016


Après la vague de régimes autoritaires qui recouvrit l’Europe dans les années 1930 et pendant la seconde guerre mondiale, la démocratie revint avec la paix à partir de 1945. La France retrouva alors la République, le parlementarisme et le pluralisme politique. Pourtant, soixante-dix ans plus tard, une grande fatigue démocratique semble saisir des pans entiers de la société française. Cette apparente lassitude se nourrit d’un constat que la démocratie ne fonctionne plus bien aujourd’hui.


57 % des Français interrogés fin octobre considèrent que la démocratie fonctionne mal en France. En termes de dynamique, le constat est encore plus préoccupant puisque 77 % des personnes interrogées pensent que « le système démocratique fonctionne en France de moins en moins bien ».

Ce constat est partagé par tous les électorats quels que soient l’âge, le milieu social, le niveau d’études ou l’orientation politique. La dégradation est particulièrement sensible dans les électorats de gauche où la crise de la majorité et du pouvoir en place est aussi perçue comme une véritable crise du régime démocratique.
« Ah que la République était belle sous l’Empire » déclarait le républicain déçu Alphonse Aulard en 1885. La démocratie était « belle », elle aussi, sous les régimes autoritaires ou dans leur immédiat souvenir. Aujourd’hui, alors que les derniers vrais régimes autoritaires d’Europe ont disparu depuis 1989, la démocratie peut devenir de moins en moins désirable. En effet, 32 % des Français pensent que « de manière générale, d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie ». Ils sont 37 % à penser de même chez les moins de 35 ans, 40 % chez les employés, 38 % chez les ouvriers ou encore 40 % chez ceux qui ont un diplôme inférieur au baccalauréat. Cette contestation de la valeur du régime démocratique est présente dans l’électorat « très à gauche » (31 %) mais surtout dans l’électorat « très à droite » (61 %).

Système participatif

L’autoritarisme n’est décidément pas une valeur morte en matière politique. Il ne se nourrit pas seulement de nostalgies de dictatures défuntes mais surtout de déceptions vis-à-vis du fonctionnement de la démocratie politique. 43 % de ceux qui considèrent que « la démocratie ne fonctionne pas bien », pensent que « d’autres systèmes sont aussi bons que la démocratie » soit 11 points de plus que la moyenne.

Bien sûr, cette recherche d’alternatives à la démocratie est complexe et ambiguë. Pour certains, l’alternative est de s’en remettre à un gouvernement de technocrates : 29 % des personnes interrogées pensent qu’un tel régime serait préférable à la démocratie. Pour d’autres, l’alternative a des allures d’un système participatif, horizontal, proche du conseillisme qui avait hanté le mouvement révolutionnaire au début du XXe siècle : 40 % préféreraient cette solution à la démocratie actuelle.


Mais, pour environ un Français sur cinq l’alternative est vraiment un régime autoritaire de « césarisme démocratique » où un chef élu n’aurait pas à s’embarrasser de contre-pouvoirs parlementaires, partisans ou syndicaux : 18 % des Français interrogés préféreraient un tel système à la démocratie. Ils sont 19 % chez les 18-24 ans, 21 % chez les ouvriers, 20 % chez les employés, 24 % chez les artisans, commerçants et chefs d’entreprise, 21 % chez ceux qui se situent en bas de la hiérarchie des diplômes, 29 % chez les sympathisants LR et 25 % chez les frontistes.


Chez ceux qui considèrent que « les citoyens ont, en démocratie, trop de droits et pas assez de devoirs », 30 % pensent qu’un gouvernement autoritaire serait le bienvenu. Cinq siècles après qu’Etienne de La Boétie ait mis au jour les mécanismes mystérieux de la « servitude volontaire », nous redécouvrons ceux-ci enfouis au cœur de notre démocratie fatiguée.


Pascal Perrineau (professeur des universités, responsable du programme Vie politique à Sciences Po)