Bloc-Notes 2016
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Pour une majorité de Français, la démocratie fonctionne de moins en moins bien

LE MONDE du 07.11.2016
Par Jean-Baptiste de Montvalon

Un tiers des Français estiment que la démocratie n’est pas forcément le meilleur des systèmes, selon une enquête Ipsos-Sopra Steria pour « Le Monde ».



Abstention massive et récurrente, rejet des structures partisanes et institutionnelles, profonde défiance vis-à-vis des responsables politiques en général et de l’exécutif en particulier… Le malaise, sinon la crise démocratique qui touche la France (comme d’autres pays comparables) n’est pas chose nouvelle. Les derniers résultats d’une enquête Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde, l’Institut Montaigne et Sciences Po, en révèlent l’ampleur. Elle est considérable.

Intitulé « Les Français, la démocratie et ses alternatives », ce sondage a été réalisé par Internet, du 21 au 25 octobre, auprès de 1 002 personnes. Une enquête similaire avait été publiée en février 2014, ce qui permet de mesurer l’évolution de l’opinion à ce sujet. Et de constater à quel point l’insatisfaction des Français sur le fonctionnement de notre système démocratique est non seulement massive, mais croissante.

Ainsi, 57 % des personnes interrogées – et jusqu’à 78 % des sympathisants du Front national (FN) et 66 % de ceux du Front de gauche – estiment que la démocratie fonctionne mal. Pire encore : plus des trois quarts des sondés (77 %) pensent que ce système démocratique fonctionne « de moins en moins bien ». Soit 14 points de plus qu’en 2014.

« D’autres systèmes peuvent être aussi bons »

Seul un Français sur cinq (20 %, −13 points) juge que « cela ne change pas vraiment ». Une infime minorité, 3 % (−1), considère que le système démocratique fonctionne « de mieux en mieux ». Les plus pessimistes sont, là encore, les sympathisants du Front de gauche et du FN (86 % dans les deux cas). Mais leur avis est partagé par 77 % des sympathisants du parti Les Républicains (LR), et il est devenu nettement majoritaire (57 %, contre 42 % en 2014) parmi les proches du Parti socialiste (PS).

Fort logiquement, ce diagnostic s’accompagne d’un moindre attachement au régime démocratique : 68 % (− 8 points par rapport à 2014) estiment qu’il est « irremplaçable ». Désormais, quasiment un tiers des sondés (32 %, + 8) sont d’un avis contraire, trouvant que « d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie ». La forte progression de cet avis, depuis un peu moins de trois ans, est particulièrement sensible chez les cadres (31 %, + 14) et les employés (40 %, + 13).


On peut déduire de cette insatisfaction croissante qu’à tout le moins, aucune réponse satisfaisante n’a été apportée dans l’intervalle aux yeux des Français. Au contraire. Il y a à cela des explications conjoncturelles : l’emprise grandissante du sentiment d’insécurité – avec les attentats terroristes –, le débat sans fin sur la déchéance de nationalité, les conflits sur la loi travail, n’ont certes pas contribué à les réconcilier avec les conditions dans lesquelles les décisions sont prises et appliquées.

« Il y a des élections, mais ça ne change rien »

Pour autant, si le degré d’insatisfaction est de plus en plus important, sa nature est plus difficile à cerner. Cette enquête montre en effet que les Français, indépendamment de la conjoncture politique, n’ont pas tous la même conception de la démocratie, ni les mêmes attentes.

Pour Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos, cette « diversité de points de vue » est l’un des enseignements majeurs de ce sondage. De manière générale, la corruption des élus et l’impression que le processus électoral est artificiel – « Il y a des élections, mais ça ne change rien » – arrivent en tête des raisons citées par ceux qui estiment que la démocratie fonctionne mal.

Au-delà de ce constat assez largement partagé, les sympathisants du Front de gauche et, dans une nettement moindre mesure, ceux du PS, donnent une dimension sociale à leur appréciation. « Il y a trop d’inégalités » est la première raison citée au Front de gauche, où l’on évoque également la question de la pauvreté. Rien de tel à droite où, pour expliquer les dysfonctionnements de la démocratie, on cite en premier lieu la raison suivante : « Il y a trop d’insécurité, de zones de non-droit. »

Un autre clivage partisan apparaît sur la perception du rôle des acteurs du système démocratique. En moyenne, pour l’ensemble de l’échantillon, les partis politiques, les syndicats et les médias forment – dans cet ordre – le trio de tête des acteurs qui constituent « un frein à l’amélioration de la situation en France ».


A gauche, les chefs d’entreprise sont fréquemment cités, alors qu’à droite, ce sont les syndicats et les associations. Les sympathisants du FN manifestent une aversion particulière pour les médias et les intellectuels. Si la conception de la démocratie n’est pas la même, et si le rôle de ses acteurs est perçu différemment, sans doute est-il difficile d’apporter une seule et même réponse à ce désenchantement.

Trois scénarios alternatifs ont été proposés aux personnes interrogées : un gouvernement « technocratique », sans élus ni hommes politiques, par lequel des « experts » mettraient en œuvre une politique « dictée par les citoyens » ; un gouvernement « autoritaire », où « un chef élu par le peuple » prendrait « toutes les décisions avec une équipe restreinte », « rapidement et sans intermédiaires » ; enfin, un gouvernement « participatif », où des « groupes de citoyens » décideraient de programmes politiques dont ils vérifieraient a posteriori l’application.

C’est ce dernier scénario qui a recueilli, et de loin, le plus d’avis favorables (67 %). On en retiendra l’idée qu’au-delà de leurs divergences, les Français ont une aspiration commune : être (bien) davantage entendus qu’ils ne le sont aujourd’hui.