Elysées 2012

Du populisme*

Du peuple

Le populisme désigne un type de discours et de courants politiques, critiquant les élites et prônant le recours au peuple (d’où son nom), s’incarnant dans une figure charismatique et soutenu par un parti acquis à ce corpus idéologique1. Il suppose l'existence d'une démocratie représentative qu’il critique. C'est pourquoi ses manifestations ont réapparu avec l'émergence des démocraties modernes, après avoir connu selon certains historiens une première existence sous la République romaine.

1) Du populisme 2) Du peuple 3) crise de confiance 4) Cartographie

Crise de confiance

C'est un fait, nous l'avons dit, et il est troublant. La droite domine politiquement l'Europe, l'extrême droite populiste voit partout son influence grandir et ceci au moment même où crises financière succédant à crise économique, le prix social à payer est exorbitant. La logique voudrait que les couches populaires, les premières atteintes, et les couches moyennes, désormais en première ligne, s'insurgent devant ces évolutions qui leur échappent et tentent de trouver dans les opposition de gauche, porte parole de leurs revendications et espérance d'alternance politique.

Or, il n'en est rien et c'est même tout le contraire.

Un signe : le vote des français

Tout à l'air de se passer comme si la machine démocratique, obérée d'entropie, n'était plus capable d'assurer le lien entre l'action de l'élu, le projet qu'il sert et celui qui le légitime : le peuple. Quand il y a, ainsi rupture entre le pays légal et le pays réel, il y a crise qui à l'extrême peut aller jusqu'à la guerre civile, prend souvent la forme douce de l'indifférence que traduit une forte abstention aux élections, mais peut également prendre la forme de votes protestataires en faveur soit de l'extrême gauche soit de l'extrême droite.

Quand on regarde notamment le résultat du 1e tour de 2002, deux faits sont à remarquer très éclairantes de ce point de vue, qui ont été masqué par l'éviction de Jospin :

- les deux candidats principaux totalisent moins de 40 % : Chirac (19,88 %) et Jospin (16,18 %) ce qui est quand même dramatiquement peu pour des Président et Premier Ministre sortants

- le total des voix exotiques s'étant portées sur des partis protestataires ( Lutte ouvrière, Ligue communiste, Parti des travailleurs mais aussi le FN et sa dissidence Mégret plus Chasse, pêche...) s'élève à ... 33,87 % et égale ainsi presque celui des deux gros candidats.

Ce qui signifie qu'un tiers de l'électorat a pris le risque, pour marquer sa désapprobation, de voter pour des partis non démocratiques - évidemment sans compter les 28,40 % d'abstentions. Que l'excellente campagne de 2007 eut permis à Sarkozy de siphoner les voix d'extrême-droite mais aussi de contribuer à mobiliser l'électorat ne fait qu'illustrer que le corps électoral ne se désintéresse pas en soi du politique ( il paraît même plutôt en être friand) mais qu'il s'écarte de son vote traditionnel - voire s'éloigne des urnes - sitôt qu'il perçoit que l'offre politique ne correspond pas à ses attentes. (2)

Cette solution de continuité entre électorat et classe politique peut s'appréhender de part et d'autre : du côté du peuple comme du côté de la classe politique.

Un marqueur : le vocabulaire

C'est à peu près autour de l'élection présidentielle que l'on vit des concepts a priori économiques intégrer le discours politique : politique de l'offre ; politique de la demande. Ce qui ne saurait être anodin.

On se souvient que économie de l'offre renvoie à un courant de pensée libéral pour qui obtenir de la croissance passe par l'aide aux entreprises afin qu'elles puissent produire plus de biens et services et ceci en réduisant voire levant les freins réglementaires, législatifs ou fiscaux. Elle s'oppose à l'économie de la demande d'inspiration keynésienne pour qui la croissance s'obtient par la dépense publique qui augmentant la production permet de développer en même temps la demande, la consommation.

Qu'est ce que ceci suppose ?

Non pas que, comme classiquement en démocratie, on chercherait à satisfaire les attentes de l'électorat via son écoute, l'élaboration, avec lui ou ses relais - les militants, les associations ... - d'un programme qu'on lui soumettrait avant de le réaliser, mais au contraire que l'on définisse son programme de l'extérieur, dans les institutions ad hoc - partis politiques, agences de communication - à partir de ce que l'on estime qu'attendrait l'électorat. Ces attentes étant par ailleurs cernées par de véritables études de marché.

Dès lors la politique n'est plus une oeuvre commune, construite ensemble, même si malaisément via les partis, les élus, mais au contraire un simple jeu d'offre et de demande ; une simple consommation.

Au moins autant que via la médiatisation de la vie politique et ce que l'on a appelé l'Etat Spectacle (4), cette politique de l'offre vise à exclure le citoyen du jeu : il n'est plus que spectateur d'un jeu qui se met en scène devant lui, mais hors de lui, et qu'il n'a plus qu'à consommer. La politique semble passer incontinent d'un processus commun qui s'élabore dans la concertation à un marché qui se contente seulement de faire se rejoindre une offre et une demande.

Il y a, dès lors, tout lieu de supposer que la montée du populisme soit une réponse à cette confiscation du politique par une classe fermée sur elle-même, par des techniciens de la communication et/ou des spécialistes du marketing.

Une double réponse : une seule alternative

Cette réponse il faut tenter de la comprendre des deux côtés : à la fois celui du peuple et celui de la classe politique. Car ramenée à sa plus simple expression, cette solution de continuité ne peut s'entendre que de deux manières :

- ou bien le peuple est légitimé à maugréer parce que les élus l'auraient trahi ;

- ou bien au contraire c'est la classe politique qui aurait raison de s'éloigner du peuple, soit parce que les circonstances économiques ou politiques seraient tellement graves qu'il fût impossible de le satisfaire, soit encore que ces dernières fussent tellement complexes que le peuple ne fût pas en état de comprendre ; soit enfin, que les aspirations du peuple fussent à ce point moralement, idéologiquement et politiquement intolérables que ce fut l'honneur des élus de s'en écarter.

Du côté du peuple

C'est ici la constante des discours populistes : considérer les politiques comme une classe fermée, une caste, un groupement d'intérêts particuliers : Le Pen aura ainsi utilisé au fil des années les terme de système, établissement voire establishment, ou encore UMPS. Variante du tous pourris que l'on retrouve dans toutes les crises ( voir le boulangisme dès les années 1886 en France). Par voie de conséquence, faire appel à des leaders qui sachent parler au peuple, susciter l'admiration ou l'envie de les imiter, qui soient surtout au contact avec le peuple et donnent l'impression de lui ressembler - leit-motive du populisme qui scande chacun des moments de la vie publique : les bains de foule, les grands discours en plein air, les exemples personnels pris qui rapprochent l'élu du peuple - il est comme nous, il nous comprend.

Seconde constante : la crainte de l'autre. Selon les époques, il peut être différent mais le populisme s'invente toujours un Autre : les immigrés, les jeunes de banlieue, les islamistes (aisément confondus avec les jeunes et les immigrés, d'ailleurs) remplissent aisément les fonctions autrefois attribués aux juifs ; mais on trouve aussi, utilisés par une droite plus classique, les Tsiganes, la finance internationale, les spéculateurs et/ou les banquiers etc.

Du côté des politiques

Conséquence directe de la méfiance à l'égard du politique, l'appel systématique au bon sens, à l'évidence, et le court-circuitage de toutes les instances démocratiques traditionnelles. L'appel au peuple dont on va chercher à parler le langage (5) , l'anti-intellectualisme aussi. (6)

Le populisme, volontiers hableur, flirtant avec la trivialité quand ce n'est pas avec la vulgarité, se veut une réponse à une frustration, à une angoisse, à une impatience.

Cartographie du populisme


1) une assez bonne bibliographie sur les analyses de ce scrutin sur le site de Sciences Po

2) les meilleurs scores de participation ont toujours été obtenus dans des périodes présumées cruciales :

- 1965 : 15,25 % d'abstention (1e élection au SU direct)

- 1974 : 15, 77% d'abstention

- 1981 : 18,91% d'abstention

- 2007 : 16,23 % d'abstention

3) on trouvera par exemple un blog de publicitaire décryptant l'offre politiquen'hésitant pas à parler par exemple du marché écologique ou de la marque Le Pen voire de green branding (image de marque)à propos de Hulot.

4) Spectacle dont la peopolisation et le bling bling ne sont que des épiphénomènes relire ce que nous en écrivions en 2007

5) Le populiste sait aussi qu'il doit renvoyer au peuple ses propres humeurs, ses lieux communs et ses préjugés. Ainsi le peuple a l'impression, efficace sur le plan électoral, que c'est vraiment lui qui crée ces idées, vu que ce que le leader fait, déclare et pense, c'est précisément ce que lui, le peuple, fait, déclare et pense ! Ce renvoi permanent (qu'il soit sincère ou hypocrite) se présente sous différentes formes. Berlusconi exploite sans vergogne certaines moeurs "populaires" classiques : produire plein de blagues de très mauvais goût, réduire des thèmes politiques compliqués à des formules banales et même vulgaires, diaboliser grossièrement l'adversaire, recourir de manière effrontée à des mensonges et à des chiffres inventés. En Hongrie, Orban conduit une campagne (dénoncée par Agnes Heller) pour discréditer les intellectuels qui rappelle tristement les débuts du nazisme… Même le langage du peuple peut être utile : le fameux terme "racaille" de Sarkozy en est un exemple, de même que le "föra di ball" ("à la porte par la peau des couilles") que Umberto Bossi, ministre de la République, a récemment suggéré comme… solution au problème de l'immigration. De cette façon, le peuple a l'impression que le leader est comme lui, qu'il parle comme lui, qu'il pense comme lui.

Raffaele Simone Le Monde

6) Faut-il rappeler que Sarkozy lors d'une ITV télévisée de 2007 avait précisément affirmé Je ne suis pas un intellectuel ?


Références

Chêne Janine et al., La tentation populiste au coeur de l'Europe, Paris, La Découverte « Recherches », 2003, 320 pages.
une série d'articles concernant la question. accessible sur CAIRN

Voir aussi de Michel Winock sur Persee.fr un article plus ancien (1997 ) mais qui demeure pertinent

Monde diplomatique (nov 2003)