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Robert Paxton :
"Face aux montées de haine actuelles, la réaction des autorités publiques est rassurante"
Propos recueillis par Aurélie Godefroy - publié le 05/11/2015 Le Monde des religions


Dans la nouvelle édition de Vichy et les juifs (Calmann-Lévy, 2015), les historiens Robert Paxton et Michaël Marrus démontrent avec précision le rôle de la France de Vichy pendant le nazisme. Cette version actualisée vient contredire l'idée, répandue depuis quelques temps, selon laquelle Pétain aurait protégé des juifs français. Grâce à de nouvelles archives, les deux auteurs analysent le rôle déterminant du régime dans les mesures d’exclusion mises en œuvre dès l'été 1940, et son aide indispensable aux déportations en 1942-1944 qui ont fait 75 000 victimes. Rencontre avec Robert Paxton, autour de ce remarquable document devenu un véritable ouvrage de référence.

Robert Paxton : "Face aux montées de haine actuelles, la réaction des autorités publiques est rassurante"


Pouvez-vous nous dire ce qui a changé entre la première édition de ce livre en 1981 et sa réédition aujourd’hui ?

Cette dernière est beaucoup plus longue : cent-cinquante pages de plus que la première édition, car il y a eu, depuis, un nombre important de recherches sur Vichy et sur le sort des juifs sous l’occupation allemande. Un accès plus facile aux archives nous a également permis d’aller plus loin. Nos principales conclusions sont les mêmes, mais nous avons pu les approfondir, les préciser et les nuancer. Nous supposions, par exemple, que les lois antijuives étaient appliquées avec une certaine réticence de la part des fonctionnaires français. Mais on sait désormais que ce n’était pas le cas, et qu’ils étaient sans doute influencés, entre autres, par l’idée qui se répandait depuis les années 30 que la France avait un « problème juif ».

Il existait effectivement, depuis de nombreuses années, des foyers de violente hostilité vis-à-vis des juifs… Quelles en sont les raisons ?

Cette méfiance a toujours existé, mais avec des hauts et des bas. Dans les années 20 par exemple, l’antisémitisme n’était pas très fort en France. Puis, il y a eu la crise des années 30, avec la dépression, le chômage, et l’arrivée de nombreux réfugiés juifs que l’on voyait faire concurrence aux ouvriers français. Les élections législatives de 1936 et l’accession au pouvoir de Léon Blum n’ont rien arrangé : ce Premier ministre juif et socialiste était jugé illégitime par la moitié de la population française car il cristallisait beaucoup de préjugés et de haines. Quand on lit la presse de l’époque (et pas uniquement celle d’extrême-droite), on trouve l’idée que les juifs sont mauvais pour la France.

Comment l’Église a-t-elle accueilli les mesures contre les juifs mises en place par le régime de Vichy ?

Lorsque, le 18 octobre 1940, le « statut des juifs » est publié, l’Église ne s’exprime pas. Ce sujet controversé est tout de même abordé en 1941, par l’assemblée annuelle des cardinaux et archevêques. Il en ressort une déclaration privée, assez vague, que monseigneur Chappoulie – représentant de l’épiscopat à Vichy –, livre personnellement au maréchal Pétain. Elle sera rendue publique beaucoup plus tard. À la fin de la même année, Pétain demande à son représentant au Vatican, Léon Bérard, ce que le Saint Siège pense de sa législation antijuive. Bérard lui répond dans un rapport détaillé qu’il ne se préoccupe que des juifs convertis au christianisme et qu’il ne voit pas de problème si un État cherche à se protéger contre une « minorité agitante et dangereuse ».

Peut-on dire qu’un changement d’opinion est intervenu deux ans plus tard, en 1942, après la rafle du Vel’ d’hiv ?

Tout à fait. Certains membres du clergé décident alors d’héberger les enfants juifs à travers notamment deux organisations : Amitié chrétienne et Témoignage chrétien, dont le premier numéro du journal était intitulé : « France, prends garde à ton âme ». Une division commence à apparaître alors dans l’Église, mais la majorité des évêques continue à se taire : cinq seulement se manifestent – sur quatre-vingts. Parmi eux, on peut noter la prise de position courageuse de Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, qui rédigea une lettre destinée à être lue dans toutes les paroisses de son diocèse. Ce fut la parole la plus claire qui ait été entendue en France sur la persécution des juifs.

L'Église de France, a depuis, fait acte de repentance pour son silence initial…

Oui, mais il aurait fallu dénoncer ces mesures antisémites dès le début, comme l’ont fait certains pasteurs protestants. Les actes de rébellion venaient surtout de la part des individus, et non de l’institution catholique elle-même.

De quelle manière, en tant qu’historien américain, percevez-vous les événements récents qui ont secoué en France, avec notamment la montée des actes islamophobes et antisémites ?

Nous passons de nouveau dans une période de difficultés économiques. On ne peut pas vraiment parler de crise comme dans les années 30, mais il y a un taux de chômage important, un sens du déclin très fort, et une préoccupation concernant l’immigration. On ne peut pas nier que les problèmes se ressemblent. La réaction des autorités publiques et des intellectuels paraît, en revanche, plutôt rassurante, ne validant généralement pas cette expression de haine.