Chronique du quinquennat

Droitisation

Il y a un fait : la déroute de la Droite Populaire qui a perdu sensiblement la moitié de ses députés. Ne demeurent que 19 élus sur 43.

Il y a l'interprétation qu'on en peut donner. Celle-ci va évidemment dépendre, pour beaucoup, des luttes intestines pour le leadership de l'UMP mais aussi (déjà) des ambitions présidentielles pour 2017.

D'un côté - et ils ont commencé à parler dès dimanche soir - ceux qui regrettent cette droitisation, estiment qu'on est allé trop loin et qu'il faut revenir aux fondamentaux. En pointe l'ancien Premier Ministre de Chirac, JP Raffarin, mais aussi François Baroin.

De l'autre, ceux qui estiment au contraire que la stratégie de droitisation n'est pour rien dans la défaite du 6 mai et que, bien au contraire, ce serait bien plutôt de n'être pas allé assez loin qui aura provoqué la chute. On y trouve évidemment les rescapés de la Droite Populaire dont Th Mariani.

On pourrait imaginer que derrière ce procès en sorcellerie qu'intenteraient les humanistes de l'UMP se cache la lutte pour la direction de l'UMP, avec d'un côté les droitistes emmenés par Copé, et de l'autre les humanistes emmenés par Fillon : ce serait trop simple. En vérité quand on regarde qui soutient qui on s'aperçoit assez rapidement qu'un Raffarin est dans le même camp que Mariani. Copé, manifestement tente de déplacer la question : il sait qu'elle est plus que dangereuse pour l'unité de l'UMP.

Argumentaires

Deux arguments méritent néanmoins d'être retenus :

- celui de Baroin qui rappelle que la création de l'UMP avait précisément été justifiée par un Le Pen au second tour en 2002. Conçue pour appuyer l'assise d'une droite en danger et renforcer la digne qui la séparait du FN. 1 L'argument n'est pas tout à fait faux même si c'est négliger ici le côté tambouille électorale très en-deçà de la gravité de la situation ; il le devient un peu plus quand on se rappelle que la démarche de Sarkozy dès 2007 aura été de baguenauder sur les thèmes et terres du FN pour mieux en récupérer les voix. L'opération avait été saluée comme une réussite tant le score du FN avait été faible mais un peu trop vite : on ne commerce décidément pas avec le diable sans finir par avoir les mains sales. L'ambivalence de certains thèmes de 2007 purent faire illusion ; en 2012 le doute n'était plus permis que l'invraisemblable campagne de l'entre deux tours dissipa définitivement. On voit bien ici la différence avec Raffarin : celui-ci peut en appeler aux centristes ; celui-là en vieux gaulliste issu du RPR ne le fait pas. Pas plus d'ailleurs que Bachelot qui tacle joliment Bayrou au passage. A tout le moins souligne-t-il l'erreur que représenta le fait de mener campagne sur ces thèmes-là plutôt que sur la crise ce qui contribua largement à masquer le vrai enjeu de ces élections.

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- celui de Mariani : qui ne peut pas ne pas me faire penser à ce que disait Arendt à propos de ces intellectuels piégés par leur propre théorie. C'est qu'au fond, ce qu'on peut attendre au minimum d'une théorie c'est qu'elle soit capable de rendre compte de ses réussites - mais aussi de ses échecs. Or c'est exactement ce que fait Lionnel Luca : la défaite de Sarkozy ne viendrait pas de la stratégie Buisson mais bien au contraire de ce qu'on ne l'ai pas suivie jusqu'à son terme logique :

Ce n'est pas la droitisation du discours qui fait perdre l'UMP, c'est le manque de droitisation des actes. Sous le gouvernement sortant, les moyens et les résultats étaient insuffisants. Les gens attendaient le 'Kärcher', ils ne l'ont pas eu... Du coup, on a le vote FN *

Cette surenchère argumentative est à la fois logique et terrifiante. Pour la comprendre il faut sans doute revenir à Buisson lui-même. L'interview qu'il accorda au Monde en Mars est éclairante à plus d'un titre :

Ce concept de "droitisation" est le plus sûr indice de la confusion mentale qui s'est emparée de certains esprits. Si la "droitisation" consiste à prendre en compte la souffrance sociale des Français les plus exposés et les plus vulnérables, c'est que les anciennes catégories politiques n'ont plus guère de sens… et que le PS est devenu – ce qui me paraît une évidence – l'expression des nouvelles classes dominantes.

La spécificité historique du vote Sarkozy en 2007, c'est d'être parvenu à amalgamer, comme de Gaulle en 1958, un vote populaire avec un vote de droite traditionnel. Transgression idéologique, désenclavement sociologique et victoire électorale ont fait système. 2

Un propos stupéfiant au moins en ceci qu'il révélait l'enfermement dans une logique argumentative refusant de se confronter au réel.

Une forme d'autisme ?

Une première lecture politique

Tactique, plutôt !

Celle que permet aussi le très récent ouvrage de Roselyne Bachelot, relayée ce matin sur France Inter, soulignant avec regret l'enfermement de Sarkozy autour de ses âmes noires : Guéant, Mignot et Buisson.

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Ce que l'on avait déjà repéré effectivement c'est combien Sarkozy a fait sa campagne sans s'appuyer ni sur l'UMP ni sur les élus locaux - contrairement à Hollande - dans une logique commando qui l'aura sans doute empêché de saisir les attentes de l'électorat, la détestation dont il faisait l'objet, la volonté d'apaisement du pays après ces cinq années où on l'aura beaucoup - et intentionnellement - bousculé. Il y a bien eu un choix, tactique puis donc idéologique, qui illustre sa volonté, annoncée très tôt, d'une campagne épicée, qui s'appuie, plutôt que sur un bilan et des perspectives économiques et sociales, sur un paysage idéologique très marqué à droite et supposé séduire l'électorat de droite. Mais cet enfermement autour d'une équipe étroite qui exclut jusqu'à NKM sa directrice de campagne, demeure quand même révélateur d'une forme d'isolement, de coupure. En 2012, manifestement, Sarkozy ne sent plus le pays ; et s'isole dans et de son propre camp.

Une seconde lecture idéologique *

Buisson n'a pas tort quand il évoque la confusion idéologique : nous l'avons déjà repérée mais c'est oublier un peu trop qu'elle est entretenue par Buisson lui-même. On l'avait déjà repérée en avril 2007 dans le discours de Toulouse où il avait affirmé la trahison de la gauche. Repérée plus récemment, fin octobre, avec Fillon :

trois camps vont s'affronter en 2012 : "celui du conservatisme désormais incarné par la gauche", "le camp du populisme" et "la majorité présidentielle, progressiste, fière de ses valeurs nationales et européennes, fière de défendre le travail, le mérite, l'ordre républicain, la justice sociale 3

C'est un peu toujours ce même aspect qui dérange dans la démarche intellectuelle de Buisson : des concepts pris à rebours, à quoi on fait dire ce qu'on veut et qui peuvent d'autant mieux fonctionner que les repères idéologiques sont plus flous ; mais aussi une méthode stupéfiante où on a toujours un peu l'impression qu'il s'y agit de faire rentrer le réel de force dans des concepts a priori.

Ainsi du peuple

Catégorie jamais vraiment définie , concept pas véritablement analysé dont on ne connaît ni l'extension ni la compréhension, dont on suppose que nulle observation n'a présidé à la formulation mais qui permet, pour peu que l'on parle en son nom, pour lui ou à sa place, d'affirmer qu'on a pris le relais de la gauche.

Ce pourquoi la référence plus haut à Arendt n'est en rien anodine : on aura remarqué effectivement combien elle souligne que les intellectuels auront été beaucoup plus sensibles à la mise au pas nazie que les couches populaires comme si les constructions théoriques avaient été leur pire ennemie ou que, postulat politique délicieux mais incontournable, le peuple restât cette entité pure parce que source ultime de toute légitimité. On y peut voir de la démagogie ; il s'agit bien plutôt de la prise en compte de la puissance fondatrice du peuple. Il n'est qu'à se souvenir de l'attitude adoptée par la Convention lors des émeutes de septembre :

Soyons terribles pour dispenser le peuple de l'être 4
Danton le 10 mars 93

Peuple principe, en tant que tel hors jeu : il marque la bordure sacrée du politique.

Mais précisément : Buisson, en bon maurrassien qu'il n'a sans doute jamais cessé d'être, ne considère pas le peuple comme une source souveraine de légitimité mais bien plutôt comme une entité indistincte qui sanctifie celui qui s'adresse à lui. Buisson rêve de cette grande alliance entre le peuple et les élites, même si, évidemment, le peuple, restant à sa place, doit oeuvrer en tant que peuple sous la direction des élites. Mais Buisson prend en réalité tout à rebours : parler au peuple c'est immédiatement se revêtir de l'onction populaire, certes, mais c'est avant tout créer le peuple comme réalité politique.

Or cette réalité, globale, compacte, ne se peut définir que par rapport à un extérieur, à ce qui n'est pas lui : d'où le thème des frontières

Le projet que porte Nicolas Sarkozy s'adresse à tout l'électorat populaire. Il est clairement le candidat d'une Europe des frontières. C'est en cela qu'il est le candidat du peuple qui souffre de l'absence de frontières et de ses conséquences en chaîne : libre-échangisme sans limites, concurrence déloyale, dumping social, délocalisation de l'emploi, déferlante migratoire.

Les frontières, c'est la préoccupation des Français les plus vulnérables. Les frontières, c'est ce qui protège les plus pauvres. Les privilégiés, eux, ne comptent pas sur l'Etat pour construire des frontières. Ils n'ont eu besoin de personne pour se les acheter. Frontières spatiales et sécuritaires : ils habitent les beaux quartiers. Frontières scolaires : leurs enfants fréquentent les meilleurs établissements. Frontières sociales : leur position les met à l'abri de tous les désordres de la mondialisation et en situation d'en recueillir tous les bénéfices. 2

Stratégie de repli, de refuge, de protection qui autorise en même temps à s'opposer aux élites assez puissantes pour supporter l'ouverture que suscite la mondialisation et contrefaire encore mieux la posture populaire.

C'est en réalité ici que réside le marqueur de la droite : le peuple n'est pas celui qui a d'emblée raison ; il est celui qui, faible, a besoin de protection. Celui qui souffre ; qui est vulnérable. La mission du politique est celle, paternelle, de l'ordre et de la protection où il n'est pas si difficile que cela de retrouver les accents pétainistes de juin 40.

Alors oui : l'argument de Lucas a un sens qui déroule simplement les postulats de départ :

- le peuple souffre

- le politique doit le protéger

- donc si le peuple se détourne du politique c'est qu'on l'a trop peu protégé

Stratégie de l'UMP

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Il n'est pas faux de dire que la réponse de l'UMP entre les deux tours, celle du ni-ni, est sans gloire mais sans doute la seule réponse à l'impasse où elle se trouve et dont il lui faudra bien sortir. L'UMP cela aura toujours été la fusion entre le centrisme de l'ex-UDF et cette droite plus franche, plus autoritaire, moins libérale d'ailleurs que représentait le RPR, héritier du gaullisme historique. Une fusion que Bayrou avait refusée : il est désormais balayé. Mais il n'est pas faux de dire que l'UMP consacre bien la conversion idéologique des gaullistes au libéralisme, politique comme économique, qui avait été plutôt le fait du centrisme.

Depuis le début de son histoire, depuis Dreux en 82, le FN est une épine dans le pied de la droite : qu'on soupçonne Mitterrand de l'avoir machiavéliquement ourdi pour se sortir du guêpier d'une défaite annoncée ou qu'on l'en absolve, il n'empêche que, oui, le FN pose évidemment plus problème électoral à la droite qu'à la gauche, ce que les élections de 97 avaient amplement démontré.

Lecture cynique

La question des valeurs me semble toujours une façon curieusement biaisée à droite pour résoudre un problème bien plus cynique qui est celui de l'avenir électoral et politique de la droite. Sarkozy a enfoncé le clou en parlant FN plutôt qu'en étant FN : la seule question qui vaille reste néanmoins de savoir demain qui va avaler l'autre. Le FN y croit en misant sur l'éclatement de la droite et espérant récupérer l'aile Droite Populaire de l'UMP. A l'inverse, cette dernière, misant sur l'incohérence du programme économique du FN, mais aussi sur sa banalisation, tant il est vrai qu'un parti fasciste ne peut proliférer que dans des périodes d'exception, escompte bien demain pouvoir accueillir les plus fréquentables parmi les frontistes.

On aimerait pouvoir écrire que la question idéologique est centrale et que ce qui se joue est l'aggiornamento politique de l'UMP : il pourrait bien n'être question que d'un leadership politique pour une droite libérale qui se vante de pragmatisme plutôt que d'idéologie. Par ailleurs force est de reconnaître que la posture morale adoptée pour combattre le FN n'a jamais donné grand chose : on ne combat pas un courant politique en dénigrant voire en méprisant les électeurs qui le portent. 5 Au fond l'idéal politique de l'UMP aura toujours été de récupérer les voix de l'extrême-droite tant en poursuivant sa politique libérale quitte à contrefaire, le temps des élections, la vulgate frontiste.

Son problème aujourd'hui demeure que si les élus sont à peu près clairs sur la question, les militants beaucoup moins ; les électeurs encore moins qui n'hésitent pas à revendiquer des alliances avec le FN. Qu'emporter demain la direction du parti reviendra à faire des concessions au moins verbales à ces militants. Derechef, ce sera un jeu de dupes et c'est bien pour cela que dans les soutiens de Copé on trouve à la fois ces humanistes qui viennent de monter au créneau mais aussi la Droite Populaire.

On le comprend mieux à écouter l'inénarrable Zemmour flagorner les auto-proclamés humanistes en reprenant d'ailleurs les mêmes arguments que ceux de Mariani : politiques pas très courageux qui évitent le suffrage universel direct ou se font parachuter sur des terres plus aimables. Mais Zemmour dans sa posture si droitière de polémiste cynique plante bien le couteau dans la plaie, là où cela fait le plus mal.

Et il le fait deux fois :

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En relevant que les pouvoirs politiques se réduisent désormais à peau de chagrin via l'Europe, la mondialisation etc, il reproduit une analyse souverainiste, aisément traduisible en frontisme de base, d'un politique qui aurait abdiqué en rase campagne, d'une Nation gouvernée de l'extérieur par ce qu'il nomme l'Empire soit l'Europe, soit les technocrates voire ce que Maurras appelait les États confédérés. Dès lors le politique n'est plus qu'une farce, les politiciens des illusionnistes d'un mauvais music-hall, les acteurs d'un piètre spectacle où tout se vaut. Ce tout se vaut sur quoi prolifère précisément la hargne revancharde du frontisme. Mais qui permet en même temps de frapper à gauche comme à droite en s'offrant les apparences d'une clairvoyance qu'il imagine inédite.

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En relevant que l'électorat populaire se sera fortement abstenu aux législatives et notamment au second tour, il suggère que cet électorat peu dupe des effets de discours, aura refusé de se porter au secours même des plus droitiers de l'UMP, et se sera cyniquement détourné de l'illusion politique. Zemmour se trompe en pendant que l'électorat, désillusionné, aurait déserté la sphère politique : l'abstention est l'effet de quatre consultations successives ; surtout. Mais il révèle ce qu'est finalement l'essence même d'une analyse droitière : le politique a disparu au profit de la technocratie internationale. Du coup ne restent que le cynisme d'une stratégie électorale où tous les coups seraient permis ; ou bien la revendication nationale d'une souveraineté reconquise.

Zemmour n'est dupe de rien sinon de lui-même, de ses rancoeurs et de sa virilité qu'il croit bafouée.

Mais il dit l'essentiel cynique du discours de droite


1) relire ce que Chirac en écrivit dans ses Mémoires
(note4)

2) ITV de P Buisson Le Monde du 13/03

3) lire : les mots ne font plus sens

4) lire extrait

sur la justice révolutionnaire

5) voir ce que nous en écrivions

même s'il reste une troisième lecture possible :

Lecture anthropologique ?


 

 

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