Histoire du quinquennat

Emmanuelle Mignon, la revanche de la tradi revêche
GRÉGOIRE BISEAU
Libé 16 février 2012


A la manœuvre en 2007, la tempétueuse énarque s’était mal intégrée à l’Elysée. Elle revient en sauveuse, poisson-pilote aux convictions très libérales.

«C’est la seule bonne nouvelle depuis longtemps», confie un proche du chef de l’Etat, catastrophé par l’état d’improvisation de la campagne. A l’Elysée, le retour d’Emmanuelle Mignon, 43 ans, est salué dans un mélange de soulagement et de crainte. La tête chercheuse du Sarkozy de 2007 est à la fois admirée pour sa puissance de travail et redoutée pour la brutalité de ses coups de gueule. A partir de demain, elle ira s’installer au QG de campagne du président candidat, au 18, rue de la Convention, à Paris.

Avec le directeur de campagne, Guillaume Lambert, l’actuel chef de cabinet de l’Elysée, elle va piloter la campagne. A lui, les cuisines de la grande organisation. A elle, les idées, le programme, les argumentaires… Elle adore ça. Elle l’a déjà fait en 2007. «Mais pour elle, la grande rupture qu’elle souhaitait pour le quinquennat n’a pas été au rendez-vous», assure un proche. Aujourd’hui, elle revient avec une petite envie de revanche.

Jusqu’à la mi-janvier, elle était encore secrétaire générale d’EuropaCorp, la société de cinéma de Luc Besson. «Elle s’emmerdait, rapporte un ami, elle avait fini sa mission. Et comme il lui faut beaucoup de matière pour occuper son cerveau, elle a décidé de partir.» Emmanuelle Mignon avait revu Nicolas Sarkozy pendant les vacances de Noël. Un mois et demi plus tard, elle participait aux premières réunions à l’Elysée. «Elle a un côté sacrificiel. Elle a besoin de mettre sa vie au service d’intérêts supérieurs, religieux ou politiques. Et le fait que Sarkozy ne soit pas favori lui va très bien», poursuit cet ami. Elle revient d’abord pour lui : «le patron», comme elle l’appelle.

Farouchement libérale, catholique fervente, conservatrice assumée, Emmanuelle Mignon, diplômée de l’Essec et major de l’ENA, n’a pas été changée par ses deux années passées dans le privé. Au contraire. «Chez EuropaCorp, elle a fait des travaux pratiques et découvert les rigidités du droit du travail, confie un proche. Elle revient avec la conviction que rien n’a été vraiment fait.» Mignon n’est pas seulement une redoutable intelligence froide et sûre d’elle-même. Elle sait être drôle bien que totalement dénuée d’autodérision. Elle aime la part de tactique et de coups bas dans la politique. «Elle assume très bien le côté trash du combat politique», soutient un proche. Son candidat va en avoir besoin.

Randonnée.

C’est en 2002 qu’elle croise pour la première fois la route de Sarkozy. Elle est nommée conseillère au ministère de l’Intérieur, chargée des questions juridiques. Puis elle le suit à Bercy avant de prendre, en novembre 2004, la direction des études de l’UMP. Pendant deux ans, elle va renouveler le corpus idéologique de la droite en lui insufflant une grosse dose de libéralisme. Pour cela, elle s’appuie sur une bande de jeunes technos corvéables à merci. Il y a là Sébastien Proto, qui deviendra directeur de cabinet d’Eric Woerth au Budget, avant de rempiler auprès de Valérie Pécresse. Mais aussi Sébastien Veil (petit-fils de Simone Veil), futur conseiller social à l’Elysée ; et Julien Vaulpré, qui héritera du suivi de l’opinion au Château, avant d’aller créer le cabinet de conseil Taddeo avec Raymond Soubie.

Au printemps 2006, l’ex des Scouts unitaires de France (droite traditionnelle) emmène sa petite bande faire une randonnée à Chamonix, avec nuit en refuge. Lampe frontale et grosses godasses, elle dégoûtera la majorité du groupe. Ils ne seront que deux à la suivre au sommet. Entre septembre et décembre 2006, elle est l’unique porte d’entrée pour le programme du futur candidat. Les ministres font le pied de grue pour vendre leurs idées. Elle trie, compile et vérifie tout. Comme une machine. «Elle passe tout à la moulinette, se souvient un proche. Pour elle, une idée n’est pas bonne tant qu’elle n’a pas été moulinée dans tous les sens.» Bourreau de travail, elle est d’une exigence obsessionnelle. «On ne l’a fait pas changer d’avis facilement, assure un ami. Et tant qu’elle n’est pas au clair sur une question, elle préfère se tenir à l’écart des débats.» Les dix derniers jours avant la présentation du programme, en décembre 2006, elle passera toutes ses nuits à l’UMP. Avec le même jean.

Mignon vivra très mal l’entrée en campagne de Sarkozy. Henri Guaino a pris la main sur l’écriture des discours et infléchit le programme. Son programme à elle. Le candidat Sarkozy devient le futur président du pouvoir d’achat. Elle s’arrache les cheveux. Sa conviction est que l’économie française n’a pas besoin d’une politique de la demande, mais de restaurer sa compétitivité et de réduire ses déficits. Sa révolution libérale, à elle, repose sur un contrat de travail unique, le bouclier fiscal, des heures supplémentaires. Du dur. En mars, elle découvre au dernier moment la proposition de la création d’un ministère de l’Identité nationale. «Sur le fond, cela lui allait très bien, mais elle ne supportait pas le côté improvisé de la sortie», relate un proche. Après avoir longtemps boudé, les réunions du matin au QG de campagne du candidat Sarkozy, elle se résout à s’y rendre. Ses relations avec Claude Guéant, alors directeur de campagne, sont déjà difficiles. Elles vont très vite se dégrader.

Elle boude, gueule.

Son installation à l’Elysée commence comme un cauchemar. Pendant qu’elle accompagne Nicolas Sarkozy à Berlin pour son premier voyage officiel, Henri Guaino en profite pour lui piquer son bureau du rez-de-chaussée. «Je n’ai pas fait tout cela pour finir sous la soupente», aurait lâché le conseiller spécial du chef de l’Etat. C’est Emmanuelle Mignon qui ira donc dans les combles, avec le titre de directrice de cabinet. Loin, très loin du programme. «Depuis ce jour-là, elle considère alors qu’elle n’a pas été bien traitée. En tout cas pas à la hauteur de son investissement», se rappelle un conseiller.

«Emmanuelle est très mauvaise tacticienne pour elle-même. C’en est même troublant pour son niveau intellectuel», explique un proche. Elle boude, gueule, claque les portes, s’isole. Elle se désespère devant le phénomène de cour qui entoure Sarkozy. «On ment au Président, on ment au Président», répète-t-elle à l’envie. Une interview dans VSD en février 2008, où elle déclare que les sectes en France «sont un non-problème», lui fera beaucoup de mal. Très vite, elle laisse dire qu’elle va quitter l’Elysée. Sarkozy tentera de la rattraper à plusieurs reprises. Pour gagner du temps, il lui confiera l’organisation des états généraux de la presse. Elle quitte l’Elysée le 5 décembre 2009. Aujourd’hui, la machine Mignon est de retour. Plus déterminée que jamais.