Chronique du quinquennat

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Lecture anthropologique ?

De ces conflits, mais aussi de ce déni du réel souvent observable à l'occasion d'élections, on peut toujours s'amuser à faire une lecture anthropologique. Le jeu est facile et vous place sans encombre sur un promontoire de lucidité parfaitement imprenable :

Caillois

Et penser l'élection comme une fête.

On comprend que la fête, représentant un tel paroxysme de vie et tranchant si violemment sur les menus soucis de l'existence quotidienne, apparaisse à l'individu comme un autre monde, où il se sent soutenu et transformé par des forces qui le dépassent. Son activité journalière, cueillette, chasse, pêche ou élevage, ne font qu'occuper son temps et pourvoir à ses besoins immédiats. Il y apporte sans doute de l'attention, de la patience, de l'habileté, mais plus profondément, il vit dans le souvenir d'une fête, et dans l'attente d'une autre, car la fête figure pour lui, pour sa mémoire et pour son désir, le temps des émotions intenses et de la métamorphose de son être.

Elections, comme révolution d'ailleurs, sont ces spasmes, ces interstices que toute société se donne pour survivre et dépsser ses crises. Fonctionnant exactement comme envers du quotidien, la fête a pour fonction de rendre le réel supportable en le niant provisoirement. Thérapeutique de la sublimation, ou de l'expurgation, la fête soulage. Ce qui correspond exactement à la définition du mot exutoire.

A bien y regarder, c'est exactement ce à quoi servent les élections qui peuvent être pensées comme la grande fête de la démocratie. Fête du peuple qui est objet de toutes les convoitises, grands rassemblements où l'on s'exclame, hurle et brandit des totems, où l'on fait mine d'y croire aussi, à ces lendemains qui chantent, ou simplement auront la délicatesse de ne pas trop ressembler aux aujourd'huis ... C'est vrai, on y parle peu des problèmes réels ... on fait rêver ; parfois même on satisfait en dernière minute une petite promesse pas trop chère, ou l'on en fera une qui s'oubliera demain sans que ceci gêne personne, parce que personne n'est dupe ; ârce que tout le monde sait que ces élections sont seulement la fête que la Nation se donne à elle-même, pour célébrer sa grandeur, son histoire ou juste son envie de vicre.

Girard

Mais on peut aussi reprendre la théorie mimétique de Girard et se dire qu'après tous les protagonistes se ressemblent tellement à force de se combattre. Qu'en réalité la crise sociale est tellement forte qu'il n'est plus d'autre solution que de mimer rituellement le combat. La mise à mort est symbolique : elle est politique ; c'est tellement moins douloureux.

La nation se rassemble autour du cadavre de qui elle vient d'immoler et se retrouve pour quelque temps, si peu de temps, dans un état sinon de grâce en tout cas d'apaisement.

Ce qu'il y a d'incontestablement gênant dans cette lecture est qu'elle gomme toutes les différences entre les protagonistes ce qui reviendrait à dire qu'entre gauche et droite ceci reviendrait au même - la thématique du FN précisément. Pour autant, le fait de courir après le même objectif fait inéluctablement que ce sont les mêmes ruses, les mêmes langues de bois, envolées lyriques, menaces ou promesses et, finalement les mêmes stratégies.

Ne pas se tromper

Pour autant, ne pas déprécier le processus. Ne pas tomber dans le piège d'un fait de vérité ou d'authenticité. Il n'y a rien de plus précieux, rien de plus engageant ni de plus structurant qu'un rite : il n'est pas de société qui vaille, qui tienne sans rituel. Il faut bien ça et là que la masse se fasse foule et la foule, nation.

Et pour ceci il est nécessaire qu'un objet blanc circule, un joker. C'est cela qu'il faut considérer : ce moment où la société prend corps dans ce moment si particulier de notre histoire où elles éprouvent tant de difficulté à se resouder, à faire groupe.

Où je vois d'emblée la grande différence entre une lecture de gauche et de droite du politique :

- la gauche ne mésestime jamais le politique où elle voit la possibilité même de l'autonomie de l'individu en même temps que la réalisation du corps social

- la gauche, quand elle sait être fidèle à ses principes, ne considère pas le peuple comme une masse apeurée qu'il faudrait protéger voire endormir mais comme un groupe à l'intelligence de quoi on peut faire appel, on doit faire appel.

Entre le réel, économique qui plombe, et le rêve politique qui tourne souvent au cynisme, il doit bien y avoir un chemin étroit ....

Non ?


voir ce que nous en écrivions :

- du bon usage des campagnes électorales

- et la série sur l'argent


 

 

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