Justice révolutionnaire

La justice révolutionnaire

Elle pose le problème, en lui-même insoluble, de la justice politique ! Et donc de la responsabilité de l'élu ! Celle-ci ne saurait être imputable qu'à partir du moment où l'élu avait une obligation de résultats, ce qui ne saurait être le cas lui, qui n'a tout au plus qu'une obligation de moyens. Sa responsabilité n'est aisément concevable et imputable qu'en cas de haute trahison. Or que signifie trahison3 ici sinon de ne pas exprimer la volonté générale, en l'espèce, la volonté de la souveraineté nationale.

C'est bien parce que le Roi tente de fuir à l'étranger et que l'Assemblée reste incapable de le juger, que donc le peuple se sent trahi par une assemblée et le monarque, qu'il intervient directement !

Mettre en place des tribunaux révolutionnaires peut alors s'entendre de deux manières :

►la confusion insupportable en soi entre droit et politique, entre responsabilité politique et responsabilité pénale

►la tentative malaisée assurément de conférer quelque rigueur à cette insurrection populaire en lui ôtant tout ce qu'il était possible d'arbitraire.

Quoi, citoyens, vous pourriez vous séparer sans prendre les grandes mesures qu'exige le salut de la chose publique? Je sens à quel point il est important de prendre des mesures judiciaires qui punissent les contre-révolutionnaires car c'est pour eux que ce tribunal doit suppléer au tribunal de la vengeance du peuple. (...) Ici le salut du peuple exige de grands moyens et des mesures terribles. Je ne vois pas de milieu entre les formes ordinaires et un tribunal extraordinaire 4

Loin de n'être qu'un effet de la décision politique de Robespierre, le tribunal révolutionnaire est bien conçu, même par un Danton qui n'était pas le plus enragé de tous, comme un moyen de suppléer, comme un pis-aller, comme l'antidote de la vengeance populaire, c'est-à-dire, comme une manière institutionnelle, de canaliser la violence publique, ce qui est, après tout, le rôle de toute institution politique.

On voit bien ce qui dérange dans cette justice révolutionnaire : au delà de la question de la violence, mais encore une fois le nombre de condamnés ne fut pas si énorme que cela, au delà même de la question de l'arbitraire, n'est-ce pas précisément l'articulation entre la volonté populaire et la volonté politique mais surtout cette tentative, même douloureuse, sans doute maladroite, néanmoins efficace, de reprendre la main et de faire jouer à l'assemblée, le rôle qui est après tout le sien.

Quand un Julliard affirme, à propos de la Révolution de 89 :

J'admire son universalisme. Mais je sais bien que si son imaginaire est de gauche,
 dans beaucoup de ses actes elle fait le choix de la contrainte,
de la violence et pas de la démocratie

non seulement il va à l'encontre de la tradition de gauche qui veut que la révolution soit un bloc, mais, surtout, il fait de la violence un critère discriminant, ce qui est sot, l'antithèse de la démocratie, ce qui est singulièrement manquer de sagacité. Il n'est finalement plus si éloigné que cela de la droite si prompte à y voir une guerre idéologique : comme si, d'ailleurs l'idéologie était ce qu'il y avait de plus impur au monde! ou que, bien pire encore, la souveraineté populaire pût relever de l'idéologie ! C'est précisément confondre la temporalité ordinaire du politique avec cet interstice, ce suspens que représente la Révolution.

 Il y a, encore une fois quelque niaiserie à pouvoir imaginer que le passage d'un système politique à un autre, aussi contradictoires que purent l'être  monarchie absolue et  république, puisse se faire sans heurts, sans débordements, sans contradictions et trahison, mais ceci en dit long sur cette pensée bien affadie que la société moderne conçoit sur elle-même.

Il faut bien prendre la mesure de la suite de ce discours de Danton : si les institutions avaient été en place, si l'assemblée n'avait pas défailli, jamais le peuple n'aurait eu besoin d'intervenir. L'irruption du peuple n'est donc que la conséquence d'une défaillance du politique. D'une certaine manière on peut en tirer la conséquence que la révolution est à la fois le paroxysme et le contraire du politique.

Soyons terribles, pour dispenser le peuple de l'être
Danton, ibid

Le rôle du politique consiste ainsi à assurer la médiation entre les différents groupes sociaux en conflit, notamment en votant des lois permettant de les résoudre et de garantir la paix sociale. C'est, en sorte, la défaillance du politique qui tue le politique, ce n'est pas le peuple ! L'interstice est ouvert par le politique lui-même qui n'a que deux manières d'en sortir: renvoyer le peuple à ses foyers en supposant son intervention illégitime, mais c'est le trahir, ou bien prendre à son compte la volonté populaire quitte à en vouloir canaliser les expressions les plus extrêmes!

C'est bien ce que suppose Cambacérès : ce que l'on nomme la Terreur, c'est au fond l'invention, pour des temps troubles, d'un rôle inédit pour les élus. Certes ils se doivent de reconnaître la souveraineté populaire mais éviter aussi au peuple de se compromettre trop dans des actes extrêmes. La Terreur politique, avec son cortège de mesures, de lois d'exceptions et de tribunaux, c'est recréer la fonction régulatrice de l'Assemblée. La Terreur prend le relais de la souveraineté populaire, elle ne la supprime pas : elle tente de mettre un frein à la vengeance en lui donnant une forme publique et institutionnelle.


3) sa définition est assez claire quand il s'agit d'intelligence avec l'ennemi , ou manquement aux devoirs de sa charge; sa définition non politique est plutôt éclairante : Action de ne pas traduire fidèlement, de déformer, de dénaturer quelque chose, dit le TLF. Trahir est bien le contraire de traduire, c'est bien une affaire de parasite, d'intermédiaire qui joue son propre jeu en substituant sa propre volonté, ses propres desseins à ceux de son mandant, en jouant le diabole plutôt que le symbole.

4 Danton, Archives parlementaires, t 88, p 615

cambaceresà quoi répond Cambacérès :
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