Chronique du quinquennat

Ministre !

Si jolie petite histoire que celle de ce gouvernement dont l'annonce fut repoussée après le JT ! Axelle Lemaire nouvelle élue avait été pressentie pour le ministère des Français de l'étranger. Las, celle-ci restait d'autant plus injoignable qu'à ce moment-là elle participait au Grand Journal de Canal +. Il fallut attendre ... Jointe enfin, pendant la diffusion du Grand Zapping, elle déclina. Il fallut donc trouver en catastrophe quelqu'un d'autre. C'est ainsi que le maroquin échut in extremis à la sénatrice Hélène Conway.

le maroquin d'A Briand On peut donc refuser un maroquin ?

Que de petites - et grandes - bassesses, de fâcheries importunes, de manigances tortues et de subterfuges éhontés ne sont-ils pas l'objet de la part de ces politiques qui ne rêvent que de cela ! faut-il être novice, pur ou bonasse pour repousser ainsi d'une moue hautaine l'occasion qui ne se représentera pas de sitôt.

Portefeuille ou maroquin, c'est ainsi que l'on désigne la fonction par figure de style, qui s'accompagnait de l'attribution de cet élégant portefeuille en cuir.

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J'aime ces rituels obligés qu'on n'évite jamais en dépit qu'on en eût ! En font partie la photo de famille autant que les déplacements répétés du chef de gouvernement à l'Elysée les supputations des journalistes dans la cour de l'Elysée, les rumeurs et les fuites, ou les retards à l'annonce tant les dosages, les nuances finissent toujours par rencontrer leur pierre d'achoppement. Et puis, enfin, le micro posé sur le perron et l'annonce par le Secrétaire général .... avant, le lendemain, que n'aient lieu les passassions de pouvoir. 1

Je regrette même ces joutes, envolées et diatribes qui surent animer la vie parlementaire tant que l'essentiel du politique se joua dans l'hémicycle : depuis 1958, depuis que le centre de gravité du régime s'est déplacé à l'Elysée, depuis que ministres et députés débitent des discours écrits par d'autres la vie parlementaire a pris l'allure sinistre et compassée d'un conseil d'administration. La stabilité de l'exécutif y a gagné ; mais ni la démocratie ni la gloire ! Preuve s'il en est que Sarkozy n'est pas responsable de tout : la déchéance de la fonction parlementaire avait commencé avant lui ; celle de parlementaire aussi !

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Il faut chercher loin, du côté de la IIIe ou de la IVe pour retrouver l'écho lointain du verbe, la puissance de la conviction et ces scènes aussi jubilatoires que terrifiantes où il aura fallu faire intervenir la troupe pour séparer les députés s'étripant à l'occasion de l'Affaire Dreyfus.

Il faut chercher loin dans l'histoire de la Ve pour retrouver la trace de grands discours qui laissèrent quelque trace : la chronique retint Giscard pour savoir parler économie durant des heures sans notes - mais fut-ce rhétorique ou seulement habileté ? Elle retint aussi Mitterrand dans ses années d'opposition à Pompidou ; Séguin dans son refus en 92 au Traité de Maastricht ... et bien entendu Badinter dans son discours de 81 sur l'abolition de la peine de mort.

Bien sûr ce sont toujours les grandes causes qui font les grands discours : les cinquante dernières années n'en manquèrent pas mais il demeure révélateur que ces discours prirent presque toujours place en dehors des enceintes parlementaires.

 

Et pourtant !

Ministère n'est jamais que l'exact antonyme de magistère. Le long de la ligne qui sépare les puissants des faibles, les maîtres des esclaves ... le pouvoir du peuple, toujours, aux deux extrémités, s'opposant comme eau et feu, mais se ressemblant tellement à force de s'opposer, ces deux grands rivaux dont tous les autres ne sont en fin de compte que de pâles hypostases : savoir et pouvoir.

A l'une des extrémités, le soleil qui aveugle tout ; à l'autre la nuit ou l'ombre. Mais c'est l'ombre du puits où il tomba qui permit à Thalès de tout comprendre. Alexandre d'un côté, Diogène de l'autre qui brave le premier d'un tonitruant Ecarte-toi de mon soleil qui résonne encore ; Créon, l'infâme, prompt à tout sacrifier à la raison d'Etat, et Antigone, de l'autre qui succombe non sans une malédiction qui jette aujourd'hui encore l'opprobre sur le politique ....

Qui est le plus violent dans l'affaire ? Alexandre qui rend hommage ou Diogène qui accepte la confrontation avec le pouvoir en préfigurant à sa façon un Mon royaume n'est pas de ce monde qu'on n'oubliera pas de sitôt ? Thalès qui magnifie à jamais le savoir et renvoie sa malhabileté féconde à la figure des vaines puissances du monde ? ou Antigone dont la vertu bafouée prolonge à l'infini la cautèle coupable du politique ?

La pensée se sera toujours déjà ménagé un promontoire d'où censurer et condamner avec une morgue qui n'aura jamais eu d'égal que son humilité feinte. Le vainqueur n'est jamais où l'on croit (2) parce que les belligérants se ressemblent au moins en ceci qu'ils auront accepté préalablement la logique du combat. G DoréMais quand le vainqueur est malin, il se cache.

Le puissant se fait mini : il n'y a décidément jamais que l'homme de savoir qui se gonfle d'importance : lui se dit magister quand l'autre, seulement ministre. Se dit Diogène !

La puissance n'est jamais où l'on croit : en tout cas elle se cache. Elle n'est pas dans l'acte, mais dans la représentation de l'acte. Je la vois plus en Mazarin ou Richelieu ; en Machiavel ou Buisson. La puissance est toujours du côté de ces âmes noires, qui n'ont l'air de rien. Toujours à l'intersection, prompt à bloquer le canal, à parasiter la relation. Messager, démon, qu'importe : ceci revient au même. M Serres a raison : celui qui a le pouvoir c'est au fond celui qui change de registre, ou d'espace, joue sur tous les tableaux à la fois. Celui qui ne joue pas le jeu du réel mais celui du Verbe : primo erat verbum !

Décidément ces deux-là se valent : entre le politique et le philosophe il n'est pas plus de différence qu'entre Romulus et Rémus.

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Ils veulent la même chose et si celui-ci est moins mortifère que le second ce n'est le plus souvent que par crainte de la mort. Et, finalement l'hostilité boudeuse et joliment méprisante que le philosophe nourrit à l'égard du politique n'est jamais que l'aveu du désir de l'emporter à tout coup, celui d'une hégémonie plus forte encore. Comme si l'on ne refusait jamais un pouvoir que pour une puissance plus ample encore ou qu'on n'échappât jamais à sa malédiction. J'aime assez les anarchistes pour se défier absolument du pouvoir et nous avoir suffisamment alerté de l'hyperbolique prétention, de l'insupportable bouffissure, de l'inéluctable bastille où il nous entraînait. 3

Mais l'empiètement ne commence-t-il pas au premier souffle de qui ne pourra jamais faire la grève de l'être !

Peut-être n'est-ce pas même de la paresse dont il nous faudrait faire l'éloge, mais de la stérilité !

Comment être sans immédiatement devenir importun ?


1) qui toutes suivent le même protocole n'ayant d'autre objectif que de narrer la continuité de l'Etat à travers les deux corps

2) cf Blum :

Vous êtes déjà vainqueurs en ceci: vous avez fini par communiquer à l'univers entier votre haine et votre cruauté. En ce moment même votre résistance sans espoir, dans laquelle on devrait reconnaître de l'héroïsme, n'apparaît plus que comme la marque extrême d'une férocité sadique, comme le besoin de pousser jusqu'au bout le saccage et le carnage. Et nous répondons en menant la guerre comme vous avec une rage exaspérée: de part et d'autre elle prend la figure des exterminations bibliques.

Je tremble que vous ne soyez encore vainqueurs en ceci: vous aurez insufflé de vous une terreur telle, que pour vous maîtrisez, pour prévenir les retours de votre fureur, nous ne verrons plus d'autre moyen que de façonner le monde à votre image, selon vos lois, selon le Droit de la Force. Ce serait votre victoire véritable. Dans une guerre d'idées, le parti qui triomphe est celui qui a inspiré la paix.

3) J de La Fontaine, Les Fables Choisies (1668) Livre I - Fable 3

Une grenouille vit un bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille
Pour égaler l'animal en grosseur ;
Disant : Regardez bien, ma sœur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ?
Nenni. - M'y voici donc ? - Point du tout. - M'y voilà ? -
Vous n'en approchez point. La chétive pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.

Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.


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