Friedrich NIETZSCHE (1844-1900) Le gai savoir, 354
La
conscience n'est qu'un réseau de communications entre hommes ; c'est en
cette seule qualité qu'elle a été forcée de se développer : l'homme qui
vivait solitaire, en bête de proie, aurait pu s'en passer. Si nos actions,
pensées, sentiments et mouvements parviennent — du moins en partie — à la
surface de notre conscience, c'est le résultat d'une terrible nécessité qui
a longtemps dominé l'homme, le plus menacé des animaux : il avait besoin de
secours et de protection, il avait besoin de son semblable, il était obligé
de savoir dire ce besoin, de savoir se rendre intelligible ; et pour tout
cela, en premier lieu, il fallait qu'il eût une « conscience », qu'il
« sût » lui-même ce qui lui manquait, qu'il « sût » ce qu'il sentait, qu'il
« sût » ce qu'il pensait. Car comme toute créature vivante, l'homme pense
constamment, mais il l'ignore. La pensée qui devient consciente ne
représente que la partie la plus infime, disons la plus superficielle, la
plus mauvaise, de tout ce qu'il pense : car il n'y a que cette pensée qui
s'exprime en paroles, c'est-à-dire en signes d'échanges , ce qui révèle
l'origine même de la conscience.