Considérations morales
Préambule Livre 1 : Sur la ligne Livre II: Introduction Trois leçons Trois questions rapport au monde le monde perdu révolution scientifique révolution technique

Technique vs science : mais la science ne pense pas plus ...

Affirmation péremptoire et volontiers provocatrice de Heidegger dans Qu’appelle-t-on penser 1 mais que l’on retrouve notamment dans  Essais et Conférences qui signifie avant tout que si l’esprit scientifique tente de donner une représentation de la réalité, en revanche elle ne pense pas notre rapport à elle, où manifestement l’on peut voir aussi bien l’un des champs de la philosophie elle-même que ce qu’il nomme l’oubli de l’être.  

Ce qui caractérise les sciences c’est bien le primat de la méthode : l’esprit scientifique est une démarche, une méthode et cette méthode a dans règles. Que celles-ci soient pensées à partir de la pratique de recherche ne change rien à l’affaire et il est tout à fait révélateur de ce point de vue que le Discours de la méthode de Descartes soit en réalité le préambule d’un essai scientifique, lui même dépassé quand le discours reste d’actualité.

Ce primat de la méthode 2 si fécond par ailleurs, produit une véritable technicisation des sciences non pas tant en ce qu’elle utiliserait des outils techniques pour parvenir à produire des connaissances mais en ce qu’elle serait organisée de manière technique : parcellisation des tâches, rationalisation des procédures, abstraction et mécanisation accrue. D’où une spécialisation de plus en plus forte des domaines de recherche et donc des chercheurs. C’est ici qu’Heidegger voit le danger : la perte par les sciences de leur sol - ce qu’il nomme déracinement – qui est en réalité une perte de l’objet. Les sciences ne parleraient plus de ce qui est, de l’étant, mais seulement de comment est cet étant qui est.

D’où le danger qu’entrevoit Heidegger d’une science qui aurait le plus grand mal à se défendre et se laisserait ainsi intimider par une raison instrumentale éprise avant tout de rentabilité, de performance, d’une science qui se laisserait arraisonnée par l’industrie.

D’où un second danger, directement lié au premier, de la disparition d’un lieu – l’Université – qui prendrait en charge la remise en question de la science par elle-même, qui interrogerait le rapport de la science à l’objet. Avec comme conséquence immédiate que dans les états modernes les dirigeants soient désormais plutôt formés dans des écoles spécialisées, et non plus dans l’université avec le risque qu’elle soit cette fois-ci soumise politiquement à la raison instrumentale et industrieuse.

Certes, rappelle Heidegger, ce n’est pas la science elle-même, avec ses propres protocoles, qui pourra scientifiquement se poser la question de son rapport à l’être de l’étant et nous aurons inévitablement à nous poser la question de ce qui. Remarquons simplement qu’Heidegger est certainement le mieux placé pour voir, ce que Nietzsche avait déjà pressenti, l’instrumentalisation politique de la connaissance, et ce, quel que soit le jugement  que l’on porte sur son attitude face au régime nazi. Remarquons ensuite que dans la reprise de cette question en 1954 il met en avant l’instrumentalisation technique de la science comme une des formes modernes du triomphe de la raison instrumentale. Remarquons encore qu’une analyse précise des circuits de formation en France, que la récente réforme dite LRU de l’université offre une singulière illustration de ce processus. Favoriser la recherche en avançant, pour unique motif, que la recherche d’aujourd’hui  ce sont les brevets de demain et les brevets de demain les emplois d’après demain, donne manifestement un sens à cette menace, qui illustre, en même temps que celle de l’université, la crise de la science elle-même, retraduite en techno-science.

Remarquons enfin que la question si souvent posée - Éthique et management - ou la recherche désormais fréquente d'une moralisation des affaires qui fait le juriste chercher les fondements moraux du droit, est bien le reflet de ces dangers : le plus grand serait encore d’y apporter une réponse technique en offrant à la recherche appliquée d’abord, à la recherche fondamentale ensuite, quelque chose comme un guide pratique, un livre de recettes, un vademecum ! C’est bien pour cela qu’il n’est pas suffisant de se poser le problème en terme d’éthique mais qu’il faut bien, allant à la racine, interroger les fondements, et donc penser en terme moral.

Que la logique de la performance qui gagne l’université en incitant fortement les chercheurs à produire, qui incite déjà certaines universités américaines à réduire voire fermer les unités de sciences humaines, à déposer le bilan des humanités ne laisse pas d’inquiéter. Je ne suis pas certain que ce soit à la métaphysique, à la philosophie ou aux sciences humaines de régler la question morale. Je suis certain en revanche que, scientifiquement, les sciences n’y peuvent répondre d’elles-mêmes. Sans doute est-ce dans le dialogue entre science et philosophie que peut se poser la question du sol, de l’être. Les ultimes tendances des grandes universités mondiales, ivres de performance et de classement semblent le rendre impossible, faute de combattant !
L’inquiétude n’est pas ailleurs.

Ce qui justifie derechef notre démarche : aller chercher du côté de notre rapport à l’objet le tracé fondateur de nos valeurs morales d’où notre réflexion ci dessous sur le bois, la forêt.

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1)

« Cette phrase : " la science ne pense pas ", qui a fait tant de bruit lorsque je l'ai prononcée signifie : la science ne se meut pas dans la dimension de la philosophie. Mais, sans le savoir elle se rattache à cette dimension. Par exemple : la physique se meut dans l'espace et le temps et le mouvement. La science en tant que science ne peut pas décider de ce qu'est le mouvement, l'espace, le temps. La science ne pense donc pas, elle ne peut même pas penser dans ce sens avec ses méthodes. Je ne peux pas dire par exemple avec les méthodes de la physique, ce qu'est la physique. Ce qu'est la physique, je ne peux que le penser à la manière d'une interrogation philosophique. La phrase: « la science ne pense pas» n'est pas un reproche, mais c'est une simple constatation de la structure interne de la science : c'est le propre de son essence que, d'une part, elle dépend de ce que la philosophie pense, mais que d'autre part, elle oublie elle-même et néglige ce qui exige là d'être pensé ». Heidegger

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2) F Jacob

Contrairement à ce que l’on croit souvent, l'important dans la science, c’est autant l’esprit que le produit. C’est autant l’ouverture, la primauté de la critique, la soumission à l’imprévu, si contrariant soit-il, que le résultat, si nouveau soit-il

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