palimpsesteConsidérations morales

 

Préambule 2 / Problèmes 3 / Fondations Livre 1 : Sur la ligne Sortir

Livre I :

1) Sur la ligne des fondations

C’est du côté des fondations qu’il est sans doute le plus fécond de s’interroger. Girard comme Freud d’ailleurs nous ont appris, quelle que soit l’interprétation différente qu’ils en auront donnée, que les rites de fondations entremêlent toujours violence et rituel, qu’ils ont pourtant soin de tenter de distinguer, entremêlent toujours ce qu’ils font mine de distinguer : le sacré et profane !

Ce n’est pas rien que de fonder, que de radicalement commencer une histoire, ou de tracer un espace. Depuis les antinomies de la raison pure de Kant, nous savons que nous sommes en présence de ce qui est impensable, en tout cas impensable sans contradiction. Nous n’avons donc d’autres ressources que de l’appréhender soit par le mythe, soit par la logique et nous gageons que ces deux chemins se rejoignent.

Ce n’est assurément pas la meilleure tendance, pour expliquer un phénomène, que de commencer par son origine : il vaudrait assurément mieux procéder de manière logique. Pour autant, tout se joue à cet instant précis où l’on se pose la question de l’action juste, où l’on pose les normes de l’action souhaitable.

Toute morale suppose à la fois l’indécision et la possibilité d’en sortir. Tu dois donc tu peux ne dit pas autre chose : l’on ne peut fixer un devoir qu’à quelqu’un qui dispose de la faculté de juger et de décider le chemin à prendre. La morale suppose la liberté. Que celle-ci soit réelle ou que l’on ne fasse que prêter logiquement cette faculté à l’homme, rien de ce qui est code impératif, loi ou morale, n’a de sens sans le libre arbitre. Ni la responsabilité et donc la faculté de condamner et de punir, ni la pertinence elle-même du code.

Mais le code suppose en même temps l’indécision : si les règles du bien agir étaient toujours évidentes, l’impératif serait inutile. Sans doute le bien agir nous semble-t-il simple chaque fois que nous envisageons des cas généraux et que nous nous situons au rang des grands principes ; nous savons tous que la descente dans le particulier pose presque toujours question.
La question de la réalité ou non de cette liberté importe finalement peu ici, non plus que celle de son étendue et de ses limites ! Belle question philosophique, vaine aporie juridique, politique ou sociale. La liberté est un principe, une nécessité logique !

Elle relève de l’axiome.

- Axiome théologique d’abord : quid de l’existence du mal si l’homme ne disposait pas du libre ar-bitre ? Ce dernier est la seule solution logique pour dédouaner Dieu de l’origine du mal. Parler de l’acte créateur ?

- Axiome politique ensuite : il n’est pas de projet politique qui ne suppose une amélioration. Un mieux et donc un bien. Qui ne suppose qu’il soit possible de l’atteindre. La liberté y est sinon une réalité tout au moins un désir, une aspiration. Et en tant que telle le moteur du politique.

- Axiome juridique enfin sans quoi aucune justice ne serait possible. Ni donc aucun ordre social.

L’acte fondateur est donc bien ici : un acte logique qui consiste à ériger en principe, à faire sortir de l’espace ordinaire un désir, une aspiration.


Fonder, étymologiquement c’est asseoir sur des bases solides. La métaphore du bâtisseur est classique qui révèle le double mouvement d’excavation et de consolidation d’abord, d’érection ensuite. Fonder suppose une préparation et se déroule en conséquence en deux étapes. On aurait tort de négliger cette double dimension car elle traduit des mouvements non pas contradictoires mais contraires : pour ériger, il faut d’abord creuser ; pour construire il faut d’abord détruire. Double mouvement qui traduit notre rapport ambivalent à l’autre comme au monde.


A bien y regarder d’ailleurs, il s’agit d’un mouvement tierce et non pas simplement duplice : avant même que de pouvoir creuser les fondations et les consolider, moment préalable à toute édification, il faut s’approprier le sol sur lequel on s’apprête à bâtir. Or, celui qui ainsi s’approprie, le plus souvent vient d’ailleurs.  Celui-ci, de son propre chef enclot son jardin 1 d’où vient-il ? Homme parmi d’autres, il s’institue primus inter pares et se révèle le premier des parasites, celui qui venant du dehors s’installe ici. La fondation exhausse en même temps le bâti que lui même. Il est le premier, au fondement. Celui qui est au départ αρκη, qui commence absolument une série, une histoire, une lignée, celui-là a en même temps le commandement. L’architecte se fait archonte et c’est pour cela que le fondateur ne peut avoir résolument d’origine assignée sans cesser immédiatement d’avoir le pouvoir : Romulus, Moïse etc. Nul ne doit pouvoir dire qui t’a fait roi ?

Le fondateur, l’inventeur d’emblée se fait archonte.

Le commencement est radical, parce qu’à la racine, mais cette racine parle.

Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος, καὶ ὁ λόγος ἦν πρὸς τὸν θεόν, καὶ θεὸς ἦν ὁ λόγος. (Jn 1,1)

On remarquera que dans tous le cas, le fondateur est orateur : certes, çà et là la parole devra aussi être entendue dans son sens théologique, voire métaphysique mais d’abord, très prosaïquement, il faut entendre le fondateur comme celui qui sort de l’enfance et se met à parler. Ce qui est vrai tant pour Romulus et Rémus, Moïse que pour le Christ : la narration commence toujours par l’enfance et prend la forme d’un rituel d’initiation.

Cette parole est parfois incertaine, parfois difficile (dans le cas de Moïse), elle peut sembler comme un coup de force, une usurpation (dans le cas de Rousseau) mais dans tous les cas elle inaugure. Fonder, c’est parler. Ce sont ces deux mouvements sur lesquels il nous faut nous pencher désormais : l’absence d’origine en amont et la parole fondatrice en aval.


1)

Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : "Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n'est à personne!" Mais il y a grande apparence qu'alors les choses en étaient déjà venues au point de ne plus pouvoir durer comme elles étaient : car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d'idées antérieures qui n'ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d'un coup dans l'esprit humain : il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l'industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d'âge en âge, avant que d'arriver à ce dernier terme de l'état de nature. [...] La métallurgie et l'agriculture furent les deux arts dont l'invention produisit cette grande révolution. Pour le poète, c'est l'or et l'argent, mais pour le philosophe ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes, et perdu le genre humain