palimpsesteConsidérations morales

 

Livre 1 : Sur la ligne Sortir Partager ensevelir rite albain Hestia ériger Babel Livre II  

La rencontre du Sinaï

Moment fondateur entre tous, évidemment, que celui où la Loi est donnée au peuple juif. On a ici tous les ingrédients dont certains sont communs - mais est-ce si étonnant que cela - avec le récit de Tite-Live.

- un intermédiaire, un messager qui lui aussi à sa manière est un orphelin : venu et sauvé des eaux, il incarne la rupture au moins autant que la continuité

- une parole qui vient d'en haut, du ciel à l'instar des augures romaines

- un incident initial qui retarde mais ne rompt pas le processus fondateur

- un joker, ici les Tables, qui parcourent tout l'espace et qui le dessinant érigent la masse en collectivité

La fondation s'opère bien en deux temps illustrant les deux dimensions éthique et morale : les principes une fois donnés, c'est tout un appareil législatif qui se met en place, touchant tous les aspects de la vie et qui ne fait rien moins que de donner naissance à une société. Le premier temps est moral ; le second, politique.

Ce qui est, néanmoins original ici, tient évidemment à l'interdit de la violence qui synthétise les dix commandements : autant il y avait un cadavre dans les soubassements de Rome, autant ici c'est le voeux de son impossibilité. On remarquera ainsi, outre l'affirmation péremptoire du monothéisme qui fera l'objet de la première crise, l'écart abyssal maintenu d'entre Dieu et son peuple que marquent à la fois l'interdiction de gravir la montagne et, pour Moïse, de regarder Dieu en face, faute d'être consumé sur place.

Résolution de la crise de Babel ? toujours est-il que plus aucune ascension n'est ici permise ou même seulement possible : l'homme cloué aux pieds de la montagne se voit peut-être attribué un espace mais toute verticalité lui est désormais barrée. Comment dire mieux la transcendance, évidemment, mais aussi la nature principielle du Décalogue. Il est un prime, il sera logé dans un espace sacré au sein du Temple, la grande différence avec Rome demeurant que ce soit un dit, un logos, λογος- δεκάλογο ς - et non un secret que l'on cèle.

Il suffit de regarder la manière dont on représente les tables de la Loi d'un côté et la Déclaration des Droits de l'Homme de 89 pour comprendre que leur fonction de principe est absolument identique et correspond très exactement à ce qui nous avait fait distinguer d'entre morale et éthique. Bloc de constitutionnalité ici, termes même de l'Alliance là, mais identiquement ce qui permet de fonder et justifie tout ce qui suivra. Que les Tables soient doubles et concernent d'abord le rapport à Dieu et enseuite le rapport des hommes entre eux ne fait que confirmer la double dimension morale et sociale de ce texte.

De l'Alliance

C’est le terme utilisé par la Bible : διαθήκη qui est une déclinaison de θήκη caisse, cercueil, tombeau.

Le terme est intéressant trois fois :

- Le radical θe signifie poser, placer qui nous renvoie immédiatement à θeos et donc à la divinité mais aussi à théâtre et théorie ... ce qui brille et donc se contemple

- On sait que le forum a été construit précisément sur un enclos qui servait de tombes et renvoie pour le moins au culte des morts

- L’alliance est un contrat et renvoie à la fois au droit et à la morale

Pour autant, il est impossible de la considérer comme un contrat anodin : ce ne saurait être un pacte entre égaux ; entre équivalents ! si l'on voit bien ce que l'homme y reçoit ou gagne, on voit en revanche mal ce que Dieu y cèderait ou gagnerait.

Que ce soit l’alliance nouée par Dieu avec son peuple, ou le contrat signé par deux particuliers, toujours demeure implicite la reconnaissance des deux acteurs et la nécessité comme principe, comme condition de possibilité même du contrat de la réciprocité. 1 Mais ici ?

A l’intersection se joignent donc à la fois le politique, le technique et le religieux. C’est ici, et à cet instant précis que se joue notre rapport au monde. Que ce rapport prenne la forme d’un corpus théologique, d’un code moral ou d’un protocole technique, toujours il implique une conscience de l’altérité, celle de l’autre, celle du monde ; toujours il suppose une conscience de soi qui, sans doute, a plus de questions que de réponses. L’acte d’alliance est cette réponse ; provisoire ou définitive qu’importe ! Implicitement ou explicitement, qu’importe ! Là où il y a contrat noué, il y a disposition d’un rapport au monde ; disposition prise où se joue la morale que nous cherchons.

Qu’importe alors qui de la pensée ou de l’acte est premier ! Ce moment est celui qui précède immédiatement la séparation. C’est celui de l’éveil ou de la naissance. Ce moment est de genèse ! Il est de naissance. Il est peut-être ce qui nous permet de contourner la dichotomie idéalisme/matérialisme dans ce qu’elle a d’indénouable.

Peut-être faudra-t-il envisager que l’alliance ne succède pas la création mais au contraire la suppose ; en tout cas l’accompagne, immédiatement c'est-à-dire sans médiation aucune, comme l’un de ses attributs essentiels. Le ad de adligare le suggère : l'alliance n'est pas tant une union que le mouvement qui conduit à cette union comme s'il n'était pas d'aller sans retour, ni d'expulsion sans appel. C'est bien à un processus à quoi l'on assiste ici, à un flux qui n'a de sens qu'à tenter de maintenir rassemblé ce qui spontanément tend à se délier comme si, entropie aidant, il n'était de création que continuée, entendue comme une lutte incessante contre tout ce qui pourrait nourrir les forces centrifuges.

Nous avons déjà repéré combien tout se jouait dans ce mouvement de sortie qu’opère le berger, dans sa capacité à franchir la ligne ou à l’entraver par quelque muraille. L’oscillation douloureuse entre la sortie et l’entrée est le fait même de l’homme qui agit et pense, qui s’écarte du monde au moment même où il cherche à l’atteindre et s’en approcher. On ne cherche à relier que ce qui est séparé : l’homme s’éloigne ! Et il s’éloigne par ceci même qu’il est homme qui se pense mais il s’approche à mesure même qu’il tente d’agir en se donnant des objectifs.

Doute, incertitude, tel est bien le fondement de la question morale dont nous sentions bien qu’elle ne se pose que dans les cas, limites et particuliers, où plus rien n’est évident. La morale se pose bien à la croisée : nul doute qu’il nous échoit de penser ; mais comment penser juste et éviter l’erreur ; nul doute qu’il nous faille agir mais comment agir correctement pour éviter l’échec, ou la faute ?

Erreur, faute, échec sont les termes tragiques de l’incertitude : la morale est le pari provisoire de l’issue.

Mais l’homme qui agit tente le lien.  Ce n’est pas pour rien que les Evangiles nomme l’autre le prochain : il est celui qui approche ! En même temps que la création du monde, Dieu noue alliance avec l’homme. En même temps qu’il s’approche de l’autre l’homme noue contrat social. Il n’est qu’un contrat que l’homme n’aura pas conclu : avec le monde. C’est ce que soulignait M Serres dans le contrat naturel.

Autant dire que l'Alliance est une réponse à l'oscillation sans cesse répétée entre la sortie et l'entrée parce qu'elle n'est effectivement pas un état mais un processus quelque chose comme une boucle de rétroaction qui ne laisse rien intact ou indifférent, ni Dieu, ni l'homme encore moins l'espace dans lequel il se meut.

Rien ne serait plus fallacieux que d'imaginer que ce qui s'érige relève du monument, du dur, de l'objet ; rien ne serait plus approximatif que d'imaginer que ce ne fût que de l'ordre du sujet. La fondation de Rome nous a déjà appris combien, ivre d'objet et de réel, Rome enfouissait ses cadavres et ne laissait plus rien passer : de la Caverne de Cacus à a tombe de Rhéa Silva ... Au même titre que pour les Grecs, ici, tout n'est qu'éclat, lumière qui surgit de la caverne pour illuminer l'objet. Boite noire là, blanche ici !

Au fondement, la valeur : mais celle-ci ne tient ni tout entière dans le sujet ; ni encore moins exclusivement dans l'objet : elle est ce flux, qui pèse, entraîne et importe, qui glisse inperturbablement entre le sujet et l'objet, entre le Créateur et sa création. C'est bien ici tout l'enjeu de la morale dont on peut évidemment tenter de donner une interprétation dialectique - ce sera bien l'objet du Livre II - mais une interprétation qui non seulement ne rend pas compte de l'interdit de la violence mais qui surtout se condamne à lui conférer une valeur sinon positive en tout cas positivable.

Il est vrai que la Bible est encombrée de scènes violentes et les moindres ne sont pas les colères divines - du Déluge au Jugement dernier - non plus que la crise initiale, après l'épisode du Veau d'or, où Moïse fait mettre à mort tous ceux qui ont failli 2 : scène étrange, apparemment, que celle d'une violence inouïe de la part de celui qui précisément prophesse l'interdit de la violence. Pour autant, quelque chose d'insolite est ici en train de se mettre en place par quoi le prophète semble prendre sur lui la colère divine et assumer, à sa place, la violence originaire.

Revenons-y !

Crise de la fondation : l'épisode du Veau d'or

Premier grand prophète d'une longue série, Moïse inaugure la transmission. La Parole, subitement, ne se cèle plus mais se donne, se révèle : la vérité comme dévoilement eût dit Heidegger. Affaire de métaphysique autant que de communication, la scène pose toute l'aporie de l'intermédiaire, du messager, de l'ange, qui sitôt qu'il traduit, encourt le risque de trahir. Le prophète biblique n'est pas devin, mais logophore : προφήτης - celui qui révèle par la parole, le préfixe ne faisant qu'en rajouter sur le mouvement qui fait s'avancer ce qui de caché, tu ou en tout cas implicite, est révélé à l'auditoire.

Dans les deux versions, Moïse porte les Tables qui ne sont pas de sa main, mais écrites du doigt de Dieu lui-même : il porte bien la Parole.

Sauf à considérer que l'irruption du prophète change tout :

- d'abord, et sans doute surtout, ce n'est pas l'homme qui prend l'initiative de la relation avec Dieu. Fini les extases et autre exercices spirituels qui autorisent le dialogue. Dieu parle - ou non ! quelque effort que l'homme puisse fournir pour aller à la rencontre de la Parole, ils resteront vains. La Parole est une invite qui vous est faite et il ne saurait être anodin qu'à nouveau elle suive une pente descendante et non ascendante. Moïse à sa façon proclame que toute tentative du type Babel est d'abord vaine.

- ensuite, Dieu choisit ses interlocuteurs : on ne se proclame pas prophète, on y est élu et cette élection est une élévation. Mais cette dernière n'est pas pour autant une apothéose : l'écart infranchissable est maintenu qui fait de Dieu celui qu'on ne peut ni regarder en face, ni d'ailleurs nommer.

- enfin, le prophète est un intermédiaire, qui ne choisit ni sa place ni ce qu'il doit transmettre. Moyen jamais fin en soi !

La fondation mosaïque

Qui a doté l’homme d’une bouche? Qui rend muet et sourd, clairvoyant ou aveugle? N’est-ce pas moi, Yahvé?
Va maintenant, je serai avec ta bouche et je t’indiquerai ce que tu devras dire.
Moïse dit encore: “Excuse-moi, mon Seigneur, envoie, je t’en prie, qui tu voudras.” La colère de Yahvé s’enflamma contre Moïse et lui dit:

“N’y a-t-il pas Aaron, ton frère, le lévite? Je sais qu’il parle bien lui: le voici qui vient à ta rencontre et à ta vue il se réjouira en son cœur. Tu lui parleras et tu mettras tes paroles dans sa bouche, et je vous indiquerai ce que vous devrez faire. C’est lui qui parlera pour toi au peuple; il te tiendra lieu de bouche et tu seras pour lui un dieu. Quant à ce bâton, prends-le dans ta main, c’est par lui que tu accompliras les signes.”  Ex 4, 10-17

Passage tout à fait éclairant où l'on voit la mission de Moïse se dessiner : porte-parole, il n'est maître de rien, transmetteur seulement. Ni maître de ce qu'il dit, ni même du rôle qu'il a à jouer. Qu'il vienne seulement à vouloir se dérober, lui qui est bègue, voici qu'il encourt l'ire divine. Le prophète est intermédiaire, il ne peut se faire ni principe, ni fin. Que, pour résoudre le mal parler, se mette en place une double délégation, sans doute, mais qui n'est elle-même qu'une ultime hypostase du signe, décidée par Dieu, pas par Moïse.

De ceci l'on peut tirer une véritable théorie du mal : est pervers tout intermédiaire, tout médiat, tout moyen qui se voudrait prendre pour fin. Il est tout à fait intéressant que tout au long de l'Apocalypse, est rappelé l'alpha et l'omega , le principe et la fin. Seul le divin est aux extrêmes : le symbole est entre les deux, médiat et médiateur ; toujours.

Et, pour ceci, rappelons-le, Moïse n'a pas d'origine claire. Sauvé des eaux, comme le seront les fondateurs de Rome Romulus et Rémus, il a peut-être une famille, il en aura deux. Il n'aura pas de fin : il s'éteindra à la fin de l'exode et n'entrera pas en terre promise, lui qui pourtant en fut le truchement.

Conversion, épreuve et formation

M Serres a décidément raison de dire que la caverne est une grille de lecture possible du livre des fondations : pour le grec comme pour le juif, la caverne est ce d'où l'on sort, au dehors de quoi guide la lumière. Ici point de caverne à proprement parler mais une vallée de larmes, de sujétion et de souffrances. Mais de sortie, oui. L'Egypte est cette caverne, et les quarante années d'errance dans le désert ressemblent à s'y méprendre aux différentes phases de formation que subira l'homme de la caverne avant de pouvoir soutenir le regard du souverain bien.

La théorie de la ligne, avec ses quatre phases ponctuées d'éblouissement esquissent assurément un chemin vers la sagesse, où nombreux resteront en route, où le point d'arrivée est réservé aux quelques uns qui se pourront véritablement dire philosophes qui seront parvenus à traverser langage et raison - dialectique - pour soutenir le souverain Bien mais les épreuves qu'ils subissent et, notamment, le sentiment répété de ne plus être du monde, ni compris par lui, et les aveuglements qui les laissent désemparés avant que progressivement ils ne parviennent à s'accoutumer, disent le temps long de la formation, le temps d'épreuves de la conversion.

Ad Jerusalem convertere : ces temps-là sont effectivement de retournement. On ne sait trop dans le texte platonicien qui dénoue les liens de l'homme et rend possible ainsi sa délivrance, signe sans doute de la difficulté de sortir de l'illusion première, en revanche on le sait, dans la tradition juive où systématiquement c'est l'élu de dieu, le prophète, qui assure cette tâche, en fixant le point d'horizon, et prenant la direction de la bataille. Mais dans les deux cas, identiquement, il y a retournement, épreuves et temps long de la formation.

Dans les deux cas, ascension et sortilège. Au même titre que Romulus et Rémus montent qui sur son Aventin qui sur son Palatin pour lire les augures - sens étymologique de sortilège - identiquement Moïse fait l'ascension du Sinaï pour entendre la parole divine, qui, on le sait se traduira par le décalogue. Mais, quitte à se répéter, si là ce sont les jumeaux qui prennent l'initiative en demandant aux dieux de se prononcer, ici c'est bien Moïse qui répond à une invitation à laquelle il ne peut se soustraire à moins d'essuyer l'ire divine.

L'acte de fondation

Il apparait clairement pour ce qu'il est : à la jonction du sacré et du politique. Il faudra attendre le Christ et son célébrissime Mon royaume n'est pas de ce monde, mais en même temps son échec - pour autant que Pilate inscrivit sur la croix INRI - Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum - pour que la distinction entre temporel et spirituel commence à s'esquisser.

Et ce n'est pas étonnant, tellement reste ténue la frontière entre les deux. De même qu'il n'est pas de système théorique qui ne soit axiomatique, et ne comporte ainsi au moins une proposition qui ne soit pas démontrée mais reste seulement posée, qui n'est pas démontrable mais rend au contraire toute la suite des propositions déductible et démontrable ; de la même manière qu'il n'est pas d'éthique qui ne comporte en son fondement une morale c'est-à-dire un système de valeurs, fondatrices, légitimantes mais en elle-mêmes posées, affirmées mais non démontrées, d'identique façon, il n'est pas de fondation politique qui ne s'appuie sur un corpus sacré.

Il n'est qu'à prendre l'exemple de la constitution pour le comprendre : elle est la loi fondamentale, la loi qui rend possible les autres lois ! De ses conditions de formulation à celles de sa révision, on voit bien qu'elle est exceptionnelle et, à sa façon, sacrée.

Le décalogue est cette loi fondamentale qui rend possible le codex qui suivra.

Différence entre Rome et Jérusalem

La grande différence entre Jérusalem et Rome, on le comprend mieux désormais, tient en ce que ici on enfouisse sous les tombes, les meurtres originaires qui rend possible la fondation, quand ici on brandit le texte de la loi avec fierté autant que morgue.

La grande différence est qu'ici on s'adresse au sujet que l'on tente d'éduquer, de convertir tandis que là on s'enquiert de l'objet, du monde exclusivement qui apparaît rapidement comme une boite noire. Rome ne s'embarrasse pas des âmes, elle laisse l'espace les distribuer en amis ou ennemi - hostes, hospites - au gré de ses intérêts ou de ses ambitions. Rome invente l'objet pur, le bois : son premier avatar reste évidemment le bois d'asile, jouxtant l'espace du pomerium, qui métamorphose quiconque, d'où qu'il vienne, en Romain. Rome ne pose pas la question des origines, Rome n'interroge pas les racines et ne s'enquiert que des fleurs. Qui que tu sois, hostis ou hospitis, les mots se ressemblent tellement, viens, entre et tu seras romain. Ce n'est pas que Rome ne pense pas ; Rome simplement n'a pas de théorie pré-établie, n'a pas de principe fondateur ! Rome fait comme si ! Rome fait le pari de l'objet ; pas du sujet.

Au contraire, Jérusalem conditionne la route et la destination, l'identité et le destin, l'alpha et l'omega de la fondation à une radicale conversion. Elle prend la forme de l'acte de reconnaissance du dieu unique, mais ceci va évidemment plus loin, scrutant plus profond dans les âmes.

L'épisode du veau d'or le dit a contrario comme s'il avait fallu pour que fût fondée la loi que préalablement elle fût transgressée.

Mais là, derechef, de curieuses similitudes avec le récit de la fondation de Rome. L'acte fondateur reste le franchissement du sillon, et la mort de Rémus. C'est bien dans le sang que sera sanctifié le pomerium, et fondée la loi. L'acte fondateur reste ici la colère d'un Moïse, brisant les tables de la loi et ordonnant le massacre des mécréants.

Moïse retourna et descendit de la montagne, les deux tables du témoignage dans sa main; les tables étaient écrites des deux côtés, elles étaient écrites de l'un et de l'autre côté. 32.16 Les tables étaient l'ouvrage de Dieu, et l'écriture était l'écriture de Dieu, gravée sur les tables. 32.17 Josué entendit la voix du peuple, qui poussait des cris, et il dit à Moïse: Il y a un cri de guerre dans le camp. 32.18 Moïse répondit: Ce n'est ni un cri de vainqueurs, ni un cri de vaincus; ce que j'entends, c'est la voix de gens qui chantent. 32.19 Et, comme il approchait du camp, il vit le veau et les danses. La colère de Moïse s'enflamma; il jeta de ses mains les tables, et les brisa au pied de la montagne. 32.20 Il prit le veau qu'ils avaient fait, et le brûla au feu; il le réduisit en poudre, répandit cette poudre à la surface de l'eau, et fit boire les enfants d'Israël. 32.21 Moïse dit à Aaron: Que t'a fait ce peuple, pour que tu l'aies laissé commettre un si grand péché? 32.22 Aaron répondit: Que la colère de mon seigneur ne s'enflamme point! Tu sais toi-même que ce peuple est porté au mal. 32.23 Ils m'ont dit: Fais-nous un dieu qui marche devant nous; car ce Moïse, cet homme qui nous a fait sortir du pays d'Égypte, nous ne savons ce qu'il est devenu. 32.24 Je leur ai dit: Que ceux qui ont de l'or, s'en dépouillent! Et ils me l'ont donné; je l'ai jeté au feu, et il en est sorti ce veau. 32.25 Moïse vit que le peuple était livré au désordre, et qu'Aaron l'avait laissé dans ce désordre, exposé à l'opprobre parmi ses ennemis. 32.26 Moïse se plaça à la porte du camp, et dit: A moi ceux qui sont pour l'Éternel! Et tous les enfants de Lévi s'assemblèrent auprès de lui. 32.27 Il leur dit: Ainsi parle l'Éternel, le Dieu d'Israël: Que chacun de vous mette son épée au côté; traversez et parcourez le camp d'une porte à l'autre, et que chacun tue son frère, son parent. 32.28 Les enfants de Lévi firent ce qu'ordonnait Moïse; et environ trois mille hommes parmi le peuple périrent en cette journée. 32.29 Moïse dit: Consacrez-vous aujourd'hui à l'Éternel, même en sacrifiant votre fils et votre frère, afin qu'il vous accorde aujourd'hui une bénédiction. 32.30 Le lendemain, Moïse dit au peuple: Vous avez commis un grand péché. Je vais maintenant monter vers l'Éternel: j'obtiendrai peut-être le pardon de votre péché.

Une fondation qui semble se faire en deux temps, deux versions de la table, la première étant brisée, comme pour mieux marquer que ce qui est au fondement ne saurait être souillé et que l'engagement à le servir doit être total; Entre les deux versions, trois mille mort et cette parole terrible que chacun tue son frère, son parent.!

La différence réside bien ici : avec Rome, il suffit d'entrer dans la cité pour devenir romain ; avec Jérusalem il faut un engagement total, radical, inaugural qui engage toute la postérité ; avec Rome il suffit d'entrer ; avec Jérusalem il importe de sortir : sortir de soi et s'offrir à l'exstase ; sortir d'Egypte.

Et devenir nouveau.

Aaron et tous les enfants d'Israël regardèrent Moïse, et voici la peau de son visage rayonnait; et ils craignaient de s'approcher de lui.(Ex 34,30)

La fondation est alliance

Il ne peut évidemment s'agir d'une alliance entre égaux où chacun gagnerait sa part. Mais d'une alliance concédée, octroyée qui laisse, de part et d'autre d'une ligne infranchissable, le principe Dieu, et l'humain incarné par le peuple juif. Distance infranchissable marquée à plusieurs reprises par l'impossibilité pour l'homme, et même pour Moïse, de regarder Dieu en face sans périr

L'Éternel dit: Tu ne pourras pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre. 33.21 L'Éternel dit: Voici un lieu près de moi; tu te tiendras sur le rocher. 33.22 Quand ma gloire passera, je te mettrai dans un creux du rocher, et je te couvrirai de ma main jusqu'à ce que j'aie passé. 33.23 Et lorsque je retournerai ma main, tu me verras par derrière, mais ma face ne pourra pas être vue.(Ex 33, 20-23)

Tout à fait remarquable à ce titre reste la mention deux fois répétée du voile que dès lors Moïse dispose sur son visage et qu'il n'ôte que lorsqu'il s'apprête à dialoguer avec Dieu : en tant que prophète, que médiateur, qu'intermédiaire qui dialogue avec Lui, Moïse reçoit l'ultime rémanence du divin, quelque chose de cette lumière intérieure, aveuglante quand il s'agit de dieu, éblouissante quand il s'agit de Moïse.

L'acte créateur

Même si le modèle créationniste a des points communs avec le modèle gréco-latin que nous avons déjà relevés (la montée vers les cimes, la redescente qui est l’acte fondateur en lui-même etc.) il n’empêche qu’il s’en distingue radicalement par plusieurs aspects. Fondation n’est pas création : c’est bien un moment. Le texte dit :

Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était vide et vague, les ténèbres couvraient l’abîme, un vent de dieu tournoyait sur les eaux (Gn, 1, 1-2)

Bereshit : il faut prendre le terme au sérieux. Et la tradition judaïque qui ne laisse rien au hasard confère un sens tout particulier au fait que le texte sacré débute précisément par le terme qui le désigne. On est à ce moment si particulier où le fond rejoint la forme, la lettre, l’esprit qui est une autre manière de désigner qu’il y a ici identité parfaite entre l’être et la pensée.


Le commencement est ainsi à prendre comme l’union originaire, d’où, ultérieurement, naîtront peut-être des scissions, des conflits, des négations et des expulsions … mais ce moment si particulier est bien celui de l’unité. Ce n’est pas le commencement de ceci ou de cela, mais un commencement radical qui ne renseigne pas sur l’ordre chronologique de la création non plus qu’il ne concerne tel ou tel. Ce n’est pas l’ordre de décompte d’un calendrier quelconque (Ex 12, 2) mais l’acte pur de la création universelle. On remarquera, suivant en cela Rachi, que le texte dit Elohim et non pas YHVH, soulignant par là combien c’est plutôt la justice qui est à l’œuvre. On pourrait, suivant la remarque de Rachi, (3) traduire le verset en Quand Dieu commença de créer le ciel et la terre mais ce serait négliger par trop la singularité de l’acte créateur et risquer de le confondre avec les modèles démiurgiques, grecs par exemple, pour qui les dieux ne sont jamais que les ordonnateurs d’un monde pré-existant.

Commencement, cela veut dire qu’il y a à la fois un avant ce commencement et qu’il n’y en a pas. Avant, il y a Dieu. Mais il n’y a que lui. Mais, paradoxalement cet avant semble ruiner la réalité de ce commencement. C’est bien la limite, que Kant avait soulignée avec la première antinomie de la raison pure, au delà de quoi la raison ne saurait aller sans se contredire, la limite où laisser sa place à la foi.

C’est que l’acte créateur change tout : nécessairement singulier, il rend impossible le temps cyclique et ouvre la voie singulière d’un temps linéaire, d’une part, mais d’une histoire, surtout, orientée, qui débute avec ce commencement créatif pour aller jusqu’à la révélation finale et le salut, en passant par le péché, la rédemption etc. A ce titre, si le moment originel est unique, la création n’en est pas moins continuée – pour reprendre l’expression cartésienne -  puisque c’est l’intervention répétée de dieu dans l’histoire des hommes qui garantit le sens de l’histoire, le sens de la création elle-même. L’acte originel est bien ici de séparation, d’entre la terre et le ciel, d’entre la terre et les eaux, d’entre le jour et la lumière. Cette séparation est le temps lui-même τεμνω autant que l’espace (le latin en tirera templum). On voit bien la différence radicale qui le sépare de la théogonie grecque où, du chaos originel, naissent les dieux primordiaux dont Chronos. Mais séparation d’entre l’ici-bas et l’au delà : le créateur est transcendant. Il a projeté, hors de lui, de l’être qu’il organise effectivement. Plus que le monothéisme, c’est cette transcendance qui modifie tout, et, en particulier, le rapport de l’homme au monde :

Distribution de part et d’autre d’une ligne invisible d’un monde éternel et d’un monde temporel, d’un monde intelligible et d’un monde sensible. Au moins autant que le pomerium romain, cette ligne est cruciale parce qu’elle détermine une hiérarchie des êtres, même si celui-ci suscite une distribution horizontale quand la transcendance suscite une précession verticale. La relation de l’homme à son créateur est une relation de dépendance, de sujétion. Dieu, le grand ordonnateur est ainsi celui qui dit, et donc qui édicte. Il dit la norme à quoi nul ne devrait pouvoir se soustraire. Ce n’est certainement pas un hasard, si le créateur est Justice : il dit la loi et la dit très vite.

 Comment mieux dire, derechef, que le principe est hors jeu, est en dehors et ne peut se soutenir du regard : bref, est sacré. Comment mieux le confirmer que le premier des commandements qui édicte que le nom du seigneur est sain et ne doit être prononcé en vain, ce qui est d'autant plus significatif que prend forme dans une culture qui a toujours conçu un lien étroit, ontologique, entre le nom et l'être. Comment comprendre autrement que la réponse Qui est que Dieu fait à Moïse lorsque ce dernier lui demande son nom sinon qu'il s'agisse en réalité d'une fin de non recevoir se traduisant de surcroît par un vocable imprononçable ?

L'acte créateur est dialogue et le dialogue perpétue l'acte créateur

Quand même ce dialogue ne s'institue pas entre des égaux, il n'est possible que sous la condition de la reconnaissance de l'autre : ce qui s'entend d'évidence. Dieu ne peut prescrire des commandements que pour autant que l'homme est en état de les comprendre et de s'y conformer. A l'instar de la communication qui suppose - en commun - un langage et un entedement, une prescription morale suppose que celui à qui elle est adressée puisse à la fois la comprendre et s'y conformer ; suppose donc et la conscience de soi et le libre arbitre. Ce que souligne la répétition du Et alors ils virent qu'ils étaiet nus dès lors qu'Adam et Eve eurent croqué la pomme de l'arbre de vie.

Conscience de soi et libre arbitre : ce qui définit l'homme, le constitue en tant qu'homme. L'acte créateur est dialogue et, à ce titre, l'alliance ne fait que prolonger ce dialogue lors de la montée au Sinaï.

On peut dès lors considérer, à l'instar du dialogue qui ne peut exister qu'à la stricte condition de la reconnaissance de l'autre, que l'acte créateur tel que le pose la Bible, consiste précisément dans ce dialogue entamé. Dieu crée l'homme en lui parlant.

A ce titre, la grande originalité de la tradition biblique, autant juive, chrétienne qu'islamique, réside peut-être moins dans le créationnisme en lui-même, moins dans le monothéisme que dans ce dialogue fondateur et perpétué de prophètes en Messie. A ce titre encore, on peut considérer que la création est bien continuée et non pas cet instant unique et impensable que la Genèse narre par deux fois. A ce titre enfin, on peut considérer que la fonction du médiateur, Messie ou prophète, consiste bien dans cette perpétuation du lointain écho de la parole originaire.

Du prophète

On sait la spécificité du prophétisme juif tel que l'a analysée A Neher. Au lieu que dans les traditions païennes, le dialogue avec le sacré exige des mises en conditions préalables, des lieux spécifiques et que c'est ainsi l'homme qui par ses exstases préalables introduit la possibilité de la rencontre, au contraire dans la tradition prophétique, c'est toujours Dieu qui est à l'initiative du dialogue, lui qui choisi l'élu qui fera office de médiateur, lui qui détermine le contenu et l'objet de la transmission. La révélation est descendante, seule la prière est ascendante.

La révélation est bien catabole καταβολη et, si l'on suit le grec, elle est bien fondation. Elle surgit d'en haut vers le bas, inédite, imprévisible. La mission du prophète s'en déduit où nous pouvons reconnaître à la fois les caractéristiques du symbole et de l'ange c'est-à-dire du messager.

Nous nous situons ici à l'exacte intersection du politique et du sacré, à l'endroit même de cette bordure que S Wahnich repérait, qui était le prix à payer des actes de fondation, a fortiori quand il s'agissait de la fondation des valeurs .

 

Ses trois fonctions

Il est porte parole et maintient l'écart

Il est transmetteur, et accomplit au-dehors, où Dieu n'est pas et ne peut être, la volonté et parole; Non qu'il soit un ensemble vide, mais en tant que médiateur il ne peut faire prévaloir ni sa propre pensée ni sa volonté. L'antonyme parfait en est bien entendu le diable :

Jésus leur dit: Si Dieu était votre Père, vous m'aimeriez, car c'est de Dieu que je suis sorti et que je viens; je ne suis pas venu de moi-même, mais c'est lui qui m'a envoyé. 8.43 Pourquoi ne comprenez-vous pas mon langage? Parce que vous ne pouvez écouter ma parole. 8.44 Vous avez pour père le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il a été meurtrier dès le commencement, et il ne se tient pas dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui. Lorsqu'il profère le mensonge, il parle de son propre fonds; car il est menteur et le père du mensonge. 8.45 Et moi, parce que je dis la vérité, vous ne me croyez pas. (Jn, 8, 42-44)

Même le Christ rappelle qu'il n'est pas venu de lui-même ; le diable au contraire parle de son propre fonds. Il usurpe la parole en se substituant à celle qu'il est supposé transmettre. La revoici la définition du mal : quand le moyen se fait fin en soi; quand le moyen se fait terme. Ne nous étonnons pas : il en ira de même pour le pouvoir. C'est, répétons-le, ce qui explique la colère divine quand, de bonne foi sans doute, Moïse tente de se récuser parce qu'il est bègue : le messager n'est libre ni de sa fonction ni de la parole qu'il transmet.

Le rôle même qu'il remplit garantit l'écart dont nous avons écrit pour commencer qu'il était indispensable pour que la symbolique puisse fonctionner. La perversion consistant d'ailleurs à gommer cet écart, à écraser la frontière.

Les deux parts réunies et jetées ensemble, l'union réalisée : c'est en ceci que consiste exactement le diabolique.

Parce qu'il est exhaussé par la mission qu'il remplit, et le dialogue qu'il entama avec le sacré, il est distingué, notammant par son visage éclairé et éclairant ; mais parce qu'il n'est en fin de compte qu'un homme, qu'un porte parole il ne saurait pénétrer en terre d'Israël. Parce qu'il est prophète, il instaure les lois en conformité avec le décalogue, mais parce qu'il n'est que prophète, ce n'est pas lui qui exercera le pouvoir. Parce qu'il procède du sacré, il a une origine et une odyssée extraordinaire, mais parce qu'il n'est qu'un intermédiaire, il n'exercera pas le pouvoir.

Le sacré ne peut entrer dans l'histoire ! Le principe reste extérieur au système qu'il fonde. Ainsi des axiomes ; ainsi des prophètes ; ainsi du sacré !

Il intercède

Cette fonction dévolue à l'Emmanuel, cette part du divin au plus proche de l'humain que la tradition chrétienne attribue au Christ, puis plus généralement au Saint Esprit ; que la tradition juive attend du Messie comme signe de l'accomplissement eschatologique de la promesse initiale ; cette fonction qui justifie l'expression parfois usitée de Fils de l'Homme, n'est en réalité pas celle du prophète mais bien celle du divin ; mais est exercée, par délégation, provisoirement, par les prophètes, par le Christ, et, dans les temps ordinaires, par les prêtres dont c'est au fond, la fonction principale avec l'organisation des rites qui doivent porter ensemble la parole et l'ecclesia.

Où se retrouve toute l'ambivalence mais aussi toute la limite de la fonction prophétique : aux jointures, il transmet et joue les médiateurs mais cette fonction n'est pas sienne et il ne l'exerce que provisoirement. L'éternité relève du divin ; la gestion ordinaire de l'humain. Le prophète n'accède ni à l'une ni à l'autre. Les temps ordinaires ne sont pas pour lui : c'est pour cela que Moïse meurt avant d'entrer en terre promise. La frontière est marquée derechef entre le sacré et le politique : fonder la loi n'est pas l'exercer. L'histoire peut commencer sitôt que le symbole a quitté l'espace ordinaire.

C'est bien tout le problème du pouvoir et de la puissance, plusieurs fois évoqués ici : l'irruption du principe dans l'histoire - et, quand il s'agit du politique, il ne s'agit de rien d'autre que du souverain populaire - ne peut que bouleverser, renverser le système. Ce qu'on nomme révolution.

Il prend sur lui la violence originaire

Comment ne pas songer à cette parole de Danton le 10 mars 1993 :

Soyons terribles, pour dispenser au peuple de l'être 3

Oui, Moïse aurait pu écrire Soyons terribles pour dispenser à Dieu de l'être.

Au même titre que Romulus fonde Rome en traçant un dehors et un dedans, au même titre Moïse appelle à lui ceux qui suivent l'Eternel : les autres, ceux qui ont franchi le sillon du parjure, ceux-là seront massacrés. Moïse prend sur lui la colère divine - il l'assume - et laisse à Dieu, à la fois le repentir de sa propre colère, et la promesse de la Miséricorde. Danton avait bien compris que la violence populaire était toujours la conséquence d'une défaillance du politique ; la violence divine est toujours la conséquence d'une défaillance humaine. Dans les deux cas, c'est à l'intermédiaire de prendre en charge la sanction, la vengeance ; dans les deux cas le principe demeure intègre et pur.

Remarquons, à l'inverse, combien dès lors qu'il y a crise, et ce sera bien le cas lors de la première descente de Moïse et l'épisode du Veau d'Or combien immédiatement tout se grippe :

- les Tables de la Loi que porte Moïse sont bien ce quasi-objet que nous repérions, qui peut prendre toutes les valeurs parce qu'il les détermine toutes, qui a bien une origine, un émetteur désigné mais des destinataires indéterminés ;

- ces Tables constituent bien effectivement cette boîte blanche, ce joker qui subitement inverse la donne et peut faire gagner où l'on croyait avoir perdu, ou perdre où l'on se réjouissait déjà d'avoir gagné - et représentent oui ce qui, par leur circulation dans l'espace et la place éminente qu'on leur donnera bientôt dans le Temple, presque à l'écart, au lieu sacré et impénétrable, mais autour de quoi tout tournera, circulera, deviennent oui le truchement par quoi la multitude se fait cité - et la masse, peuple de Dieu, alors inévitablement l'échec de toute communication, leur transformation de boîte blanche en boîte noire, se traduira inéxorablement par le retour à la masse, au bruit, aux cris d'une foule qui ne laisse plus rien passer. (1)

- Moïse est bien ce bras libre qui prendra toutes les valeurs - et il le fera de manière magistrale en ordonnant l'élimination de tous ceux qui auront failli, alors qu'en même temps il intercède en faveur de son peuple auprès de Dieu pour qu'il lui accorde son pardon (2) ; si Moïse est bien l'intercesseur, le messager, le symbole, c'est-à-dire précisément celui dont le rôle est de faciliter les échanges, de réduire le bruit de fond, d'araser les aspérités, d'émousser les frottements et les parasitages, en bref, de transformer le brouhaha de la foule pour que la multiplicité puisse se transformer en collectivité, de relayer au sein de la multiplicité la parole initiale, en revanche, sitôt qu'éclate la crise, c'est-à-dire, on l'a vu, sitôt que cesse de circuler la boite blanche, il n'a plus lui-même de relais pour porter la parole qui s'arrête à lui, imméditement.

- dès lors la boîte blanche cesse de pouvoir circuler, ou prendre sa place au sein de la cité : Moïse brise les tables de la Loi. Il ne peut faire autrement ! quitte à tout recommencer.

- enfin, ultime trait qui s'inverse en phase de crise, l'émetteur cesse d'être déterminé : la foule diffuse s'adresse à Dieu, par le truchement d'une boîte, dès lors noire, le Veau d'or, et ce mouvement, contrairement au précédent est bien ascendant, et non descendant. Nous ne sommes plus dans la catabole mais bien dans l'anabole -ἀνά- et cette montée-ci, toujours est désastreuse. Elle procède à une telle synthèse que la collectivité se dissout en masse informe, en multitude indistincte. Et, comme tout anabolisme, le processus est consommateur d'énergie qui bientôt épuise le corps.


Entre la tour de babel et la pentecôte : il n’y a sans doute pas d’autre solution que de s’étendre ou bien  en face de soi par la conquête en plaçant devant soi - ob ; ou de prendre de la hauteur et de gagner par le surplomb. Et là c’est prendre le parti du sujet .

Or, et tout le problème est ici, tant le monde que le sujet sont en crise !

suite

 

 

 


1) on se souvient que c’est au nom même de cette réciprocité que JJ Rousseau récusait la légitimité de l’esclavage pour ce qu’aucun contrat  n’eût pu jamais être souscrit qui eût prévu la dissolution d’un des acteurs de ce contrat.

2) ( le passage entier)

32.25 Moïse vit que le peuple était livré au désordre, et qu'Aaron l'avait laissé dans ce désordre, exposé à l'opprobre parmi ses ennemis.
32.26 Moïse se plaça à la porte du camp, et dit: A moi ceux qui sont pour l'Éternel! Et tous les enfants de Lévi s'assemblèrent auprès de lui.
32.27 Il leur dit: Ainsi parle l'Éternel, le Dieu d'Israël: Que chacun de vous mette son épée au côté; traversez et parcourez le camp d'une porte à l'autre, et que chacun tue son frère, son parent.
32.28 Les enfants de Lévi firent ce qu'ordonnait Moïse; et environ trois mille hommes parmi le peuple périrent en cette journée.
32.29 Moïse dit: Consacrez-vous aujourd'hui à l'Éternel, même en sacrifiant votre fils et votre frère, afin qu'il vous accorde aujourd'hui une bénédiction.
32.30 Le lendemain, Moïse dit au peuple: Vous avez commis un grand péché. Je vais maintenant monter vers l'Éternel: j'obtiendrai peut-être le pardon de votre péché. (Ex, 32,25-30)

3) lire