Palimpsestes

Nicolas Sarkozy est contraint de revoir sa stratégie

Nicolas Sarkozy et François Fillon disposeront d'une "majorité claire" à défaut de la "majorité large" qu'ils réclamaient. Avec 314 sièges - contre 185 sièges au PS - l'UMP n'aura même pas besoin du soutien des 22 centristes ralliés avant le premier tour ou après au panache de M. Sarkozy. Pour la quatrième fois en un mois et demi, les électeurs ont placé la droite en tête. Pour la première fois depuis vingt-cinq ans, une majorité se succède à elle-même. Mais... Mais il flotte sur la victoire de la droite, au second tour des élections législatives, dimanche 17 juin, un parfum de contre-performance. Mais la vague bleue annoncée par les sondages s'est heurtée à une digue rose plus solide que prévue. Mais le président de la République et son premier ministre réalisent une moins bonne performance, au total, que Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin, qui, en juin 2002, disposaient de 359 députés de l'UMP (et apparentés). Mais le numéro deux du gouvernement, Alain Juppé, est battu en Gironde. Une défaite qui a entraîné l'annonce de sa démission immédiate de son poste de ministre d'Etat à l'écologie, au développement et à l'aménagement durable.

A cette victoire sans triomphe, les explications ne manquent pas. Dès avant la publication des résultats, dimanche soir, les poids lourds de l'UMP, réunis dans le bureau de M. Fillon, ont pointé "la démobilisation" de l'électorat qui, après avoir touché la gauche au premier tour, aurait frappé la droite au second. Mais l'Elysée et Matignon ont souhaité concentrer leur message sur trois points : le gouvernement dispose d'une majorité claire ; la main reste tendue en direction de la gauche et du centre ; l'œuvre de réforme peut commencer.

A la sortie de cette réunion, un député résumait l'état d'esprit général : "Si on nous avait dit il y a six mois que Nicolas Sarkozy serait élu et qu'il disposerait d'une majorité, on aurait signé des quatre mains."

BÉVUES

Pourtant, le cœur n'y est pas. Cet enthousiasme forcé évite pour l'instant d'analyser davantage ce succès en demi-teinte. Il permet à la majorité de différer un droit d'inventaire sur les premiers pas du gouvernement marqués par quelques bévues : celle d'Eric Woerth, ministre du budget, annonçant que la déductibilité d'une part des intérêts d'emprunts pour l'achat de la résidence principale prenait effet à partir du 6 mai, alors que M. Sarkozy souhaitait l'étendre à tous les emprunts en cours ; celle de M. Borloo, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, qui, en réponse à Laurent Fabius au soir du premier tour, concédait que le gouvernement considérait comme "envisageable" une hausse de la TVA pour financer les dépenses sociales. Ces deux déclarations ont obligé l'Elysée à intervenir. "On ne gagne pas une élection en augmentant les impôts", pestait un conseiller de M. Sarkozy. A chaque fois, la gauche a pu retrouver son unité pour dénoncer les "promesses non tenues" du candidat.

Pour le chef de l'Etat, la situation au soir du 17 juin est donc beaucoup plus compliquée qu'il ne se l'imaginait. Il doit d'abord trouver une solution au remplacement d'Alain Juppé, qui, par son passé politique et sa stature internationale, avait donné du poids et de la consistance à ce ministère inédit. La défaite de l'ancien premier ministre constitue probablement une des plus mauvaises nouvelles de la soirée pour M. Sarkozy.

L'ouverture à gauche ne se présente pas non plus sous les meilleurs auspices. Avec un PS laminé, MM. Sarkozy et Fillon auraient trouvé sans trop de difficultés quelques personnalités estampillées de gauche pour venir enrichir le casting du gouvernement après les arrivées de Bernard Kouchner, Jean-Pierre Jouyet, Martin Hirsch et Eric Besson. Face à un PS requinqué par une défaite moins lourde que prévue, les candidats seront-ils aussi nombreux ? Du pavillon de la Lanterne, dans le parc du château de Versailles, où il a suivi, comme la semaine dernière, la soirée électorale en relation constante avec son directeur de cabinet, Claude Guéant, M. Sarkozy a pu prendre la mesure de l'avertissement que lui ont adressé les Français après l'avoir porté au pouvoir il y a six semaines. Techniquement, aucune des réformes qu'il a promises ne peut être remise en cause par le scrutin du 17 juin. Mais politiquement ? La rupture qui a fait le succès de sa campagne a séduit comme slogan. En tant que programme, elle doit faire ses preuves. Après six mois de campagne intensive, le chef de l'Etat devrait intervenir dans le milieu de la semaine avant de se rendre au sommet européen de Bruxelles. Pour lui, l'heure des explications et de la pédagogie n'est pas encore passée.


Philippe Ridet Article paru dans l'édition du 19.06.07