Elysées 2012

A l'aube d'une possible victoire de Hollande et donc du retour de la gauche à l'Elysée après les seules victoires de Mitterrand en 81 et 88, il n'est peut-être pas inutile de revenir sur cette autre figure de la gauche moins adulée, sans doute à cause de sa fin sinistre en 2002 mais qui n'en aura pas moins marqué l'histoire récente, sinon de la gauche, en tout cas du PS.

Jospin

Amusant, émouvant aussi qu'on aille rechercher un autre de ces grands anciens : on a vu Jospin au premier rang du meeting de Limoges. Comment ne pas songer que cela fait tout juste dix ans qu'il se fit éliminer du 1e tour par Le Pen ? comment ne pas songer à cette occasion ratée, à cette fin si triste, si peu glorieuse qui clôtura cinq années qui ne manquèrent ni d'élégance, ni de grandeur ...?

Petit retour en arrière

On s'est, en son temps, beaucoup gaussé d'un Chirac qui ne savait conserver le pouvoir plus de deux années consécutives - rappelons qu'il démissionna effectivement en 1976 ; qu'il se sut conserver le pouvoir après les deux années de cohabitation en 1988 ; qu'il le perdit après la dissolution ratée de 1997 - mais, honnêtement, on pourrait tout aussi bien s'interroger sur l'incapacité de la gauche à le conserver plus de cinq années. Si Mitterrand parvint à se faire réélire en 1988, chacun de ses deux mandats se termina pourtant par une défaite aux législatives et donc une cohabitation. Et Jospin, malgré ses cinq années à Matignon ne parvint même pas au second tour de la présidentielle de 2002.

Certes la crise, interminable, aboutit ici comme ailleurs en Europe, à ce jeu curieux où systématiquement l'on sort les sortants. Et, il faudra attendre 2007 pour observer, pour la première fois depuis 1981, la reconduction de la majorité en place, même si les thèmes de campagne de Sarkozy jouèrent alors paradoxalement mais efficacement sur le transgressif et la rupture.

Mais l'essentiel n'est pas ici : la gauche eut avec la Ve République l'occasion que ni la IIIe ni la IVe ne purent lui proposer : celle de la durée.(1) Sans plus l'excuse de l'instabilité gouvernementale et, bientôt, sans celle de l'épouvantail de l'URSS, de la guerre froide et d'un PCF puissant (2), la gauche française aura pu donner sa pleine mesure, et susciter son lot de déceptions, en trois fois cinq années.

Ruptures et transitions

Ces années auront décidément été à la fois des années de rupture et de transition. Le passage au pouvoir allait donner au PS une culture de gouvernement comme on dit désormais - sans qu'on puisse oublier qu'une telle expression signifie en réalité aux yeux des observateurs un abandon sinon des fondamentaux du socialisme en tout cas une renonciation à l'idéalisme supposé du socialisme - allait aussi permettre à toute une classe d'accéder, après 23 années d'opposition, à la réalité du pouvoir. Finie la rhétorique classique de la SFIO où l'on jouait de la musique révolutionnaire pour

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pratiquer finalement une politique très conventionnelle et, parfois même, rétrograde (ne pensons seulement qu'à la politique algérienne calamiteuse d'un Guy Mollet) finie celle aussi de la rupture avec le capitalisme du congrès d'Epinay ou celle, si délicieusement surannée de 74 où les slogans nous promettaient de changer non pas la mais de société !

O tempora, o mores ! mais les temps ont-ils tellement changé que cela ? la gravité de la crise, sa durée, sa dimension mondiale autant que systémique me laissent à penser qu'il y a encore des oreilles pour entendre cette musique radicale ci, à se rassembler sur les places publiques pour la chanter, l'espérer, la désirer.

Années de rupture en tout cas au plan international qui virent l'effondrement du bloc de l'Est, et donc la fin de la guerre froide ; qui présidèrent aussi à l'explosion de la mondialisation et, notamment dans sa double dimension Nouvelles Technologies et financiarisation de l'économie. Ce monde, décidément n'est plus le même qu'en 81.

C'est peut-être ici la grande différence entre Mitterrand et Jospin, outre les responsabilités différentes qu'ils exercèrent, et, évidemment, leurs statures peu comparables : Mitterrand clôt une période, celle de l'après-guerre ; de ses valeurs, de ses tensions, de ses rêves d'où ne disparut jamais l'espoir de pouvoir en revenir demain aux fastes des Trente Glorieuses. Jospin, lui, qui est né en 37 est en réalité enfant de l'après-guerre, de cette France qui s'invente à la reconstruction, à la modernité, à la décolonisation et aux grands engagements. C'est ceci sans doute qui explique ses premières affections trotskistes : il est d'une époque où l'on croyait dur comme fer au politique, au collectif ...

La crise est passée par là ; les mirages du libéralisme aussi ....

Dream Team

En même temps, ces cinq années à Matignon laissent des souvenirs plutôt positifs : sans doute aura-t-il bénéficié d'une conjoncture plutôt favorable mais au delà, ces marqueurs si profonds de la gauche : les 35 h , les emplois-jeunes ; les écologistes au gouvernement; la CMU ; le PACS, la police de proximité mais aussi le quinquennat (même si le bilan en peut être discuté) et la parité ...

Son équipe qu'il aimait appeler dream team, ne manquait pas de belles pointures, ni de belles surprises : Aubry, DSK, Védrine, mais aussi MG Buffet qui fit merveille aux Sports mais aussi Mélenchon et permet à la gauche d'aujourd'hui d'avoir encore des hommes et des femmes dont l'expérience ministérielle n'est pas trop ancienne. (3) Cinq années dite de gauche plurielle qui surent la rassembler dans toute sa diversité : même si la prolifération des candidatures en 2002 s'avéra fatale, il n'en reste pas moins que réunir en une même équipe des socialistes aussi divers que DSK ou Mélenchon, des communistes et des écologistes fut alors un assez joli signe de ce que pouvait la gauche quand elle savait surmonter ses divergences, ses différences. Enfin, la présence des écologistes aura aussi été une étape puisqu'elle marque l'ancrage à gauche de l'écologie qui ne s'est pas démenti, et qui sera essentiel dans les années à venir.

une fin sinistre mais digne

Que dire enfin du 21 Avril qui ne fut déjà dit ?

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sinon laisser Jospin en parler lui-même. Il le fit en 2006 à La Rochelle à un moment où se dessinait - on était à un an des présidentielles - la valse-hésitation de son retour.

Il ne dit pas tout, il ne le peut, et semble en rester à l'interprétation électorale de la division à gauche et surtout imputer son échec d'abord à l'intempestive candidature de Chevènement mais il sait que l'essentiel n'est pas là.

Il est évidemment dans l'importance du vote FN ; il est surtout dans l'invraisemblable éparpillement des votes sur un protestataire diffus, protéiforme. Nous n'en avons pas fini - les derniers résultats l'attestent - de ce traumatisme-ci : le péril brun n'est peut être pas assez puissant pour accéder au pouvoir ; il l'est assez pour pourrir la vie politique et dessiner des contours qu'on eût aimés oubliés. Le prochain président aura à se colleter avec cette menace-ci ; aura à souder une nation meurtrie, bousculée, désorientée.

De ce point de vue la figure de Jospin peut demeurer un exemple.

Homme étrange, animal à sang froid, tout de retenue, de roideur protestante et de probité républicaine. Je ne suis toujours pas certain que cet homme-là eût véritablement voulu être président : il n'aurait pas commis de telles erreurs si sa vie entière avait été tendue vers ce seul objectif ! J'aime assez, dans cette intervention, à la fois cette émotion qui le saisit à évoquer ce jour, et cette immense honnêteté qui le pousse à tirer les ultimes conséquences d'un désaveu populaire à quoi, en républicain, il se soumet. A l'opposé strict d'un Mitterrand tellement florentin, il y a chez Jospin quelque chose de la rectitude calviniste sans l'intolérance et de la vertu robespierriste sans le tranchant.

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Il n'est pas étonnant, à ce titre là que la première remarque qui lui vienne quand il s'agit de juger la campagne de Sarkozy, avant même la dérive droitière, soit le mensonge ! Il y a ici quelque chose, au delà des inévitables outrances de campagne dont il fait mine, implicitement, de s'accommoder, de l'ordre de la transgression au principe républicain et à la légitimité présidentielle qui ne peut que heurter l'homme, le citoyen, avant même l'homme de gauche. Il doit bien y avoir quelque chose en lui de nostalgique à voir Hollande réussir où il échoua mais je le crois suffisamment intègre - et pudique - pour ne le laisser jamais transparaître. Lui qui avait revendiqué un droit d'inventaire en 95, tient trop à sa liberté d'examen, de conscience et de jugement, pour entraver celle de son successeur. Loin, à l'écart, non pas figure tutélaire, dit-il dans cet entretien, mais en même temps, un peu, l'air de rien, gardien du temple !

Le quinquennat qui s'ouvre pourrait être demain l'occasion d'une aventure et d'une équipe nouvelle. Qu'elle conserve de lui, au moins, le modèle, qui demeure, du républicain soucieux du Parlement, du dialogue et du rassemblement.


1)

En 24, après la guerre, et après l'insolente victoire de la droite de 19, celle de la Chambre Bleu Horizon, la France retrouve le chemin de la gauche qui avait gagné les élections de 14, juste avant la guerre : mais Herriot conduisit un Cartel qui ne put se maintenir durant la législature et se termina avec le retour de Poincaré ; Blum en 36 tint une année seulement ; Mendès en 54 même pas une année pleine ; et j'ai du mal à considérer Mollet dans les grandes figures de gauche.

2)

rappelons que si le PCF recueille encore quelques 21,27% en 1969 avec J Duclos, il ne réunit déjà plus que 15,34% avec Marchais en 1981 ; 6,76% avec Lajoinie en 1988 ; 8,64% avec R Hue en 1995 ; 3,37% avec le même en 2002 ; et enfin 1,93% avec M-G Buffet en 2007.

3) Rappelons qu'en 81, la gauche ne comprenait que trois personnalités ayant eu des fonctions ministérielles - déjà anciennes puisque datant de la IVe : Mitterrand lui-même ; G Deferre et Savary