Elysées 2012

Morale ou politique ?

Résultats Comprendre Morale ?

 

C'est bien ici que l'on en revient aux principes et qu'il ne faut pas se tromper de combat.

On peut hurler à la droitisation ; on peut même hurler au fascisme : cela a l'air de clore le débat mais, finalement, ceci ne résout rien même si l'on peut raisonnablement se poser des questions sur une stratégie, ouvertement électoraliste, qui va très loin dans la direction des thèmes de l'extrême droite et qui est bien dans la ligne idéologique d'un Buisson, issu de l'extrême-droite et actuel conseiller politique de Sarkozy.

Quand une M Le Pen adresse une lettre ouverte aux deux finalistes où elle les enjoint de

cesser l’insulte à l’égard des millions de Françaises et de Français qui se sont portés sur [s]a candidature. (...) Le vote en ma faveur n’est pas un « cri », un vote « de crise », « de souffrance » ou de « désespérance » comme j’ai pu l’entendre. Il est encore moins un vote « d’extrême droite » ou « xénophobe ». Je ne peux tolérer de voir leur choix réduit à un comportement irréfléchi ou animé par de mauvais sentiments"

elle a manifestement jeu aisé à demander le respect de ses électeurs.

Quand un Sarkozy rappelle que si M Le Pen a pu se présenter aux présidentielles ( i.e. si son parti n'a pas été interdit) c'est bien parce que le FN est

Le contenu de cette page nécessite une version plus récente d’Adobe Flash Player.

Obtenir le lecteur Adobe Flash

reconnu tacitement comme républicain, il ne fait que rappeler une évidence et écorner au coin du bon sens ce que Mélenchon avait énoncé à Des Paroles et des actes : il aurait sans doute fallu l'interdire. Faute de l'avoir fait, il faudra bien boire le calice jusqu'à la lie.

A partir de ce moment là, c'est politiquement qu'il faut combattre le FN. Manifestement la posture morale qui viserait à fustiger le FN pour l'idéologie, raciste, xénophobe, raciste n'est plus reçue par l'électorat qui aura d'autant moins tendance à l'entendre qu'il aura une perception négative de la classe politique perçue au mieux comme impuissante, au pire comme corrompue - et le moins que l'on puisse dire est que les récentes affaires ne sont pas là pour arranger les choses ; et le moins qu'on puisse reconnaître est que le déni politique que suppose le libéralisme financier est lui aussi un facteur aggravant qui ne peut qu'en appeler au volontarisme politique, au renversement de la table.

Le Pen en 84Tout ce que l'on peut dire, finalement, c'est qu'il n'est pas d'autre solution, au problème que pose le FN que de solution politique. Qu'il est manifestement vain de vouloir se cantonner à une posture morale ou, pire encore, moralisatrice, que plus personne ne supporte et qui d'ailleurs n'est tenable par personne.

Comprendre ce vote c'est :

- en comprendre le soubassement économique. Il n'y a pas de montée de l'extrême-droite en période de prospérité. On ne saurait oublier que si le parti nazi commença à prospérer en 24 au point de tenter un coup d'état à Munich ( Luddendorf & Hiter) c'était sur fond de l'hyper-inflation et du désordre qui l'accompagna ; que le parti d'Ebert eut quasiment partie gagnée dans les années 28 avant que ne survienne le krach de 29 qui entraîna l'Allemagne dans une crise plus lourde encore et donna sa dynamique au NSDAP jusqu'à la victoire de Janvier 33. Pas de crise, pas de FN !

- en comprendre le soubassement idéologique. Il se joue effectivement autour de l'humanisme d'un côté et du nationalisme de l'autre et l'on comprend bien la révolte d'un Bayrou d'un côté, ou la gêne d'un Raffarin de l'autre. Au

Le contenu de cette page nécessite une version plus récente d’Adobe Flash Player.

Obtenir le lecteur Adobe Flash

fond, tout avait été défini d'emblée, dès la première grande apparition de Le Pen en 84 à L'heure de Vérité : affirmer préférer sa famille au voisin, son voisin à l'étranger ; déclarer sans ambages préférer les français revient clairement à rompre l'idée même d'une solidarité inter-humaine. On pourrait, pour ne prendre que cet exemple, comparer cette attitude à celle d'un Jaurès face à Guesde proclamant que l'injustice faite à un seul homme, fût-il même un adversaire, était injustice perpétrée contre l'humanité tout entière quand Guesde estimera d'abord que l'affaire Dreyfus était affaire de bourgeoisie qui ne concernait en rien le prolétariat et où d'ailleurs, ce dernier eût plus à perdre qu'à gagner d'y prendre parti. Ce n'est certainement pas un hasard, à ce titre que l'Affaire fût à la fois un socle à partir de quoi se distingua radicalement l'extrême-droite et la crise qui décala définitivement l'antisémitisme du côté de l'extrême-droite. Ni qu'elle fût l'obsession rancunière et revancharde d'un Maurras. L'essence de l'extrême droite réside tout entière dans la distinction d'entre les hommes, entre les bons, les proches, et les étrangers ; d'entre soi et les autres. Rien n'est plus étranger à l'extrême-droite que l'idée républicaine de l'intérêt général qui doit pousser le citoyen à ne se déterminer qu'en raison non de son intérêt particulier mais de l'idée qu'il se fait de l'intérêt général. Non l'homme du peuple, tel que l'entrevoit l'extrême-droite, est un homme rivé à la glaise de ce peuple à quoi il appartient par toutes les pores de sa peau, dont il ne peut ni de doit s'extirper, et dont il porte toutes les stigmates. L'homme du peuple défend le peuple en se défendant lui-même parce qu'il lui est consubstantiellement lié. Avant la hiérarchie des valeurs et des civilisations d'un Guéant il y eut la hiérarchie des dilections et des sentiments. Voici qui est dit : d'un côté le grand humanisme généreux d'un Jaurès, de l'autre la protection instinctive de la louve pour sa tribu ...

- en comprendre le soubassement politique : on peut sourire, s'étonner ou s'insurger de la juxtaposition de national et de socialisme quand il s'agit du nazisme, pourtant l'appel au peuple, à celui des éclopés du système, est inscrit dès les origines du fascisme et de l'extrême-droite (de Boulanger à l'Action Française ; de PPF de Doriot au FN de Le Pen) : l'exigence d'une droite à la fois nationale et sociale qui verra toujours dans l'étranger, dans l'apatride, et donc aussi dans l'internationalisme le mal absolu, autrefois porté par le communisme ; aujourd'hui par la mondialisation. Celui qui n'a pas de terre, pas d'origine, celui qui est de partout, demeure potentiellement un traître. D'où l'apparence parfois très de gauche d'un discours : M Le Pen n'en a-t-elle pas appelé dès dimanche à la fois à a gauche et à la droite ? Apparence qui peut à la fois troubler les classes populaires défavorisées et expliquer combien nombreuses sont les voix du FN issues de la gauche comme furent nombreux en 40 les transfuges de la SFIO et dans une moindre mesure du PC : Laval fut socialiste dans les années 14 ; Doriot fut au PC et, ne l'oublions jamais Mussolini commença lui-même sa carrière politique chez les socialistes. Intimement lié à cet appel au peuple, le refus du système - concept simplificateur qui entremêle tout et permet de fustiger toutes les élites, tous les corps intermédiaires pour exhausser le peuple et surtout nier la réalité de conflits d'intérêts, de lutte de classe.

 

D'où les deux attitudes des deux finalistes *

Je vois bien ce qu'il peut y avoir de gauche dans l'appel que Hollande fait d'un projet qui permette à chacun de se dépasser : c'est ici l'attitude classique de l'homme politique républicain qui dessine un horizon collectif, un projet

Le contenu de cette page nécessite une version plus récente d’Adobe Flash Player.

Obtenir le lecteur Adobe Flash

commun où se décline précisément l'intérêt général si cher à Rousseau.

Je vois bien ce qu'il peut y avoir de fondamentalement républicain cet appel à une Europe refondée où le démocratique ait sa place et qui implique que les contingences technocratiques et financières n'aient pas seules la main, mais au contraire la volonté commune de peuples rassemblés inventant un avenir résolvant les périls qui menacent - d'où, intelligemment, la référence non seulement à la relance, à la recherche, mais aussi l'appel au développement durable qui préserve le défi environnemental.

Je vois bien ce qu'il y a de foncièrement républicain dans cette affirmation résolue du rassemblement, qui tente de comprendre les craintes, les peurs, les colères mais ne leur cède en rien sinon pour leur proposer un avenir. Ce qu'il y a de républicain et d'humaniste dans ce refus du repli sur soi, de la peur et de la stigmatisation de l'autre ; dans cette volonté au contraire vers l'autre, vers l'ailleurs, vers l'avenir.

A l'inverse, je vois bien ce qu'il y a, sinon d'extrémiste, en tout cas de très droitier, cette référence systématique chez Sarkozy à l'idée de la peur, de la menace et de la nécessité d'une France, voire d'une Europe qui protège.Déjà présent dans ses voeux de fin d'année, ce thème de la protection face à la menace, ainsi que la référence à une France qui aurait résisté est révélateur. Résistance qui n'est plus entendu comme l'acte de révolte absolu contre l'injustice, l'inhumanité, la tyrannie mais au contraire comme l'acte passif de celui qui se pelotonne pour mieux endurer les vents mauvais.

Je vois ce qu'il y a de résolument conservateur dans cette approche de la Nation et de l'Etat non comme tremplin et moyen d'action mais comme rempart, comme mère protectrice et nourricière. D'où à la fois cette hyperbole sécuritaire et cette exigence d'autant plus forte de frontière et de remparts. On dessine ici un espace fermé, craintif, qui justifie que chacun se soumette au collectif de cette terre qui permettra de supporter les épreuves. On dessine aussi un espace à la limite du républicain où l'on attend surtout de chacun qu'il obéisse à ce grand Tout protecteur et non qu'il participe et prenne sa part. Délibérément l'élection est une délégation de pouvoir : on est loin, si loin de Rousseau ; proche, si proche de Hobbes. L'appel de l'expert a peut-être remplace celui du guide mais au fond c'est du même Léviathan dont il s'agit à l'égard de qui nulle révolte, nul écart n'est concevable puisque l'on se serait préalablement donné à lui, totalement.

Je vois bien ce qu'il y a de résolument droitier dans cette référence sempiternelle aux sources chrétiennes de la France, à cette identité culturelle dont on tire non seulement fierté mais supériorité - souvenons-nous de Guéant - mais qui, outre l'invraisemblable anachronisme d'une référence au christianisme dans ce pays non seulement laïc mais assez fortement déchristianisé, ramène à une conception très essentialiste de l'identité qui envisage moins l'individu comme une construction sans cesse en devenir, que comme une nature, déterminée par l'essence même de la culture où il éclôt.

Le contenu de cette page nécessite une version plus récente d’Adobe Flash Player.

Obtenir le lecteur Adobe Flash

Je vois bien ce qu'il y a de résolument droitier dans cette façon de fustiger l'autre comme un assisté, de pousser chacun non tant à s'occuper de soi, encore moins à favoriser l'entraide, mais surtout à s'insurger chaque fois que l'autre aurait plus que soi. Cette manière de diviser, plutôt que de réunir ; cette manière de jouer non tant sur le travail que sur le vrai travail, est caractéristique d'une démarche qui trace des frontières, des limites, propre à la droite extrême.

Ce n'est pas ici l'éloge du travail qui est droitier car, après tout, s'il est vrai qu'avec Famille et Patrie, le travail avait fait partie du triptyque vichyssois, en réalité il est valeur commune même si à gauche on y a plus tendance à considérer la puissance émancipatrice que le culte en soi de l'effort. Non ce qu'il y a ici encore de très droitier

Le contenu de cette page nécessite une version plus récente d’Adobe Flash Player.

Obtenir le lecteur Adobe Flash

c'est cet art consommé, insidieusement distillé, en adjoignant l'adjectif vrai, de tracer encore une frontière entre les bons et les mauvais, entre ceux qui souffrent et ceux qui profitent, en tout cas ceux qui ne souffrent pas vraiment - ou moins comme les fonctionnaires sous statut - et ceux qui prennent en pleine figure, sans rien dire, sans se plaindre, avec dignité, les ressacs violents de la crise.

Je vois bien dans ce qu'il y a de droitier dans le paysage humain que dessine ce discours étrange, paradoxal mais classique ; dans ces troubles références à la fois chrétiennes et païennes : ce quelque chose de résolument viril dans cet homme, buriné, rompu à l'effort, écrasé de souffrance, mais fier nonobstant qui assume dignement la souffrance infligée par la Providence, soumis aux remugles d'on ne sait quelle faute originaire. A la fois courageux et soumis, il est l'agneau que l'on protège mais qui répond de ses faiblesses ou fautes, tout cela en si stricte opposition avec cette autre part de l'humain, qu'on ne nomme plus vraiment, mais que l'on suppose si précisément, cette part qui profite, qui parasite, et se prélasse dans l'assistanat.

Je vois bien ce qu'il y a de droitier dans cette nouvelle version de la fable : non plus la cigale et la fourmi mais le parasite et le laboureur !

Je vois tellement ce qu'il y a de droitier dans cet amour immodéré de la frontière plutôt que du pont ....

 

Au bilan

Le 6 mai dira si de telles stratégies comportent encore une quelconque efficacité. On entend bien ça et là quelques uns qui, au moins, quitte à perdre, eussent préféré que ce fût dans la dignité, dans une dignité qui n'insultât pas l'avenir. Qui eussent préféré tomber sur leur gauche que sur leur droite.

On comprend l'éditorial du Monde qui outre la faute morale repère la faute politique et l'aveu vraisemblable d'impuissance car il n'est pas évident du tout que de telles excursions droitières puissent encore être fécondes.

Mais, de toute manière, le prix à payer sera lourd. Mélenchon de ce point de vue n'avait pas tout à fait tort quand il affirmait qu'à la fin ce va se terminer entre eux et nous.Sans pour autant se mettre dans le scénario du pire, on peut en tout cas imaginer que l'extrême-droite va pourrir pour un moment la vie politique française et menacer, l'air de rien, le pacte républicain. Et là, toutes les bonnes volontés seront utiles. Il n'est peut-être pus suffisant aujourd'hui d'être un électeur vigilant : il importe sans doute, désormais, de se faire citoyen actif.

Le grand travail d'éducation républicaine est à recommencer. Il sera long !


1) voir les déclarations au soir du 1e tout

écouter Th Legrand édito sur Frce Inter le 25 avril