Elysées 2012

Sens politique de la droitisation

post lire voir
Grincements

Raffarin

Villepin

JF Kahn

paysage idéologique
Sens politique Colombani
Sens historique  
     

 

Il est évidemment toujours possible de donner un sens électoraliste à cette droitisation. Déjà évoquée, mais sans être illégitime pour autant, cette approche est pourtant, sinon un piège, en tout cas une impasse.

Point de vue électoral

On aura à peu près tout dit lorsque l'on aura évoqué qu'il ne s'y agit que d'une pêche aux voix. Sordide, assurément mais après tout a-t-il encore d'autre solution. Le total des voix de gauche s'élève à 43,76% tandis que celui des droites à 56% - si l'on admet que les voix de Bayrou relèvent de la droite (1) . Autant dire qu'il a une marge de 6 % qui pourraient s'égarer mais implique qu'il lui faut rassembler la plus grosse partie des voix de Le Pen et de Bayrou - or toutes les enquêtes révèlent que ce sera loin d'être le cas.

L'essentiel n'est pas là mais dans la suite : les législatives qui s'enchaînent et qui laisseront la droite, quoiqu'il arrive le 6 mai dans un état de division et de désarroi qui pèsera lourd.

Assez cyniquement, paradoxalement en tout cas, on pourrait presque dire que le peu de ferveur que suscite Hollande est peut être une fabuleuse opportunité politique : moins de désillusions entraînera peut-être moins de dérives.


Non décidément l'essentiel est ailleurs

Sens politique de cette droitisation extrême

Et il faut bien avouer qu'on serait presque tenté de parler plutôt d'extrême-droitisation. Si l'on accepte de laisser de côté, ne serait-ce que quelques instants, la dimension électorale et donc de l'accession de la gauche au pouvoir après dix ans, que l'on veuille bien tenir pour négligeable le danger électoral que le FN peut représenter demain aux législatives, tant pour la gauche d'ailleurs que, surtout, pour la droite, via les triangulaires, on ne peut pas ne pas situer à la fois ce haut niveau du FN et les tentations de la droite dans la perspective plus large de la mondialisation et de la financiarisation de l'économie mondiale.

Car il faut bien le répéter ni l'ultra-libéralisme qui suppose l'affaissement de l'Etat et donc le déni du politique, ni la main-mise des marchés financiers sur l'économie mondiale ne vont dans le sens de la démocratie - ce qui s'observe parfaitement dans la transformation progressive de l'Europe en vaste super-structure technocratique visant à transférer à son profit, et d'institutions supposées indépendantes, des pans entiers de la souveraineté nationale.

C'est donc bien politiquement et non électoralement qu'il faut comprendre ce qui se passe et tenter de le combattre.

C'est bien ce que JL Mélenchon aura affirmé, haut et fort sur France Inter rappelant que la montée de l'extrême-droite était un fait majeur dans toute l'Europe et une conséquence de la gestion ultra-libérale de la crise.

Le contenu de cette page nécessite une version plus récente d’Adobe Flash Player.

Obtenir le lecteur Adobe Flash

Ni la dérive d'Orban en Hongrie, ni la poussée de l'extrême-droite aux Pays Bas ou en Belgique ne sauraient être des coïncidences non plus qu'être prises à la légère. A ce titre la victoire de Sarkozy ne pourrait pas ne pas donner une dynamique plus forte encore à cette vague brune, et, inversement, la victoire de Hollande en même temps que le score du Front de Gauche, ne pas vouloir signifier un coup d'arrêt à cette dernière. Qu'on le veuille ou non, la France est un membre essentiel de la Communauté Européenne et la victoire de l'un ou de l'autre impliquera un nouveau rapport de forces d'autant plus déterminant que des élections se produiront assez vite ailleurs - et notamment en Allemagne. Le fait même que ça et là, même si sur des positions différentes, commencent à s'élever des voix en Europe, réclamant un volet croissance pour le plan européen est assez significatif pour reléguer au musée des souvenirs les sourires amusés et méprisants des débuts de campagne face à la volonté affichée de Hollande de renégocier le traité.

C'est donc bien dans le cadre d'un vaste mouvement politique qu'il faut comprendre cette droitisation extrême qui finit par gêner, même en Europe, ceux qui sont les alliés naturels du président sortant. Sarkozy voit désormais des frontières (2), partout, à ériger ; des limites partout à tracer ; des distinctions partout à opposer. Campagne invraisemblable où on l'attendait sur l'expertise du sortant, sur la gravité de la crise - où il avait des arguments à faire valoir - et qu'on retrouve sur le repli, la division, la frilosité ...

Frivole la campagne ? Sûrement pas ! Gravissime !

Alors, oui, bien sûr, si l'on se place d'un strict point de vue électoral, d'une campagne conçue comme devant être un dialogue devant les français, permettant de choisir entre deux options ce que sera la voie choisie par la Nation, oui, effectivement, Th Legrand a raison de dire que la référence à Pétain, à la collaboration, est un obstacle qui a pour seul effet, en rejetant l'adversaire dans l'opprobre, de clore tout échange. Alors oui, effectivement, on ouvre grande les vannes des surenchères permettant à Sarkozy de se déclarer victime de procès staliniens ...

Et, oui, c'est sans doute la loi du genre ! les fins de campagne, d'autant qu'elles paraissent annoncer des alternances ou, en tout cas déboucher sur des résultats serrés, sont toujours le champ d'outrances verbales, d'hyperboles vertueuses, ou de coups insidieux. La référence récente à DSK faite par Sarkozy montre à l'envi combien l'argument de sa faiblesse eût assurément été utilisé s'il avait été candidat et combien l'on s'apprêtait l'an dernier à utiliser tous les arguments possibles pour disqualifier l'autre.

Le contenu de cette page nécessite une version plus récente d’Adobe Flash Player.

Obtenir le lecteur Adobe Flash

La reprise, par le même de l'argument de la faiblesse, du mensonge voire de l'hypocrisie tout en se flattant toujours de n'attaquer personne appartient aux stratégies classiques de la polémique politique. Même si on peut le regretter ...

Et, oui, ceci n'a rien de nouveau : on se souvient que le Gal de Boissieu en 81, grand chancelier de la légion d'honneur avait démissionné pour ne pas avoir à remettre à Mitterrand le collier de grand maître de l'ordre, non sans l'avoir au préalable dénoncé comme un arriviste, un résistant de la dernière heure : ce qui lui valut en retour une philippique restée célèbre

il fallait attendre sans doute que la race des collaborateurs s'en mêlât !

On peut toujours s'interroger sur cette utilisation de l'histoire, et notamment de celle-ci : mais ne pas oublier en même temps que la tâche noire de la collaboration d'un côté, celle, plus glorieuse de la résistance de l'autre menée difficilement d'abord, plus largement à partir de 42, où se retrouvèrent des membres de tous les courants politiques ( n'oublions pas, pour ne citer que cet exemple, que le Colonel de La Rocque en fit lui-même partie en dépit de ses orientations ultra-droitières des années 34 et suivantes ; non plus, pour faire juste mesure que ces socialistes et parfois même anciens communistes qui passèrent du côté de la collaboration) n'oublions pas, surtout pas, que cette tragédie qui sous la défaite relève en réalité aussi de la guerre civile, fut en même temps le ferment à partir de quoi se fonda la République d'après-guerre. S'il est vrai que, le temps passant, les acteurs de cette tragédie ont tous disparu et que les protagoniste de l'actuelle compétition sont tous les deux des enfants de l'après-guerre, que donc il est sans doute plus facile ou bien de s'en affranchir, ou de lui faire dire ce qui vous arrange politiquement, il n'en reste pas moins que fonds baptismaux de l'après-guerre la résistance aux nazis, et le refus de la collaboration demeurent les ferments de notre République.

Oui, de ce point de vue, il ne faut pas s'étonner que la référence à cette période serve de boussole pour le présent.

En même temps, J-A Miller, n'a pas tort de souligner que l'usage répété de la référence à Vichy, en mettant surtout l'accent sur la collaboration avec les nazis, permet en même temps d'escamoter la réalité d'un régime fasciste, installé en France, sur les décombres de la République, avec l'aide veule et indigne des notables de la IIIe République. (4)

Dans le refus proclamé dès le début de son mandat de céder à quelque vague de repentance que ce soit, Sarkozy avait voulu, à l'encontre de Chirac reconnaissant l'égarement de Vichy, tirer un trait sur ce passé non sans valoriser la résistance (épisode G Mocquêt).

Mais qu'en reste-t-il ?

les quatre leçons de l'histoire

- Première leçon d'histoire, consistant simplement à rappeler que le fascisme est, politiquement, une variante de la technocratie, un de ces courants récusant la capacité du suffrage universel de régler la complexité grandissante des problèmes économiques et sociaux. Certes, le fascisme verra toujours plutôt la solution dans la mystique du chef, le charisme du guide plutôt que dans l'expertise de l'ingénieur, de l'économiste ou du banquier, mais il s'agit, au départ de la même idée fondatrice : une Nation qui dépasse l'individu, qui en est même la seule véritable réalité, impliquant que ce dernier se fonde, se soumette et s'identifie totalement au corps social.

- Deuxième leçon, consistant à rappeler que si la France ne connut pas de régime fasciste avant 40, c'était bien parce que la République avait su à temps dissoudre ce qu'on nommait alors les ligues factieuses et y répondre politiquement par le Front Populaire. Le fascisme débarqua en France avec les valises de l'occupant, même si, à sa grande honte, il s'attacha toujours à en devancer les exigences pour tenter de conserver son apparence de pouvoir. Longtemps monopolisée par le monarchisme de l'Action Française de Maurras, le fascisme ne revêtit ses formes claires qu'à partir de la crise de 29 et son enrôlement dans les ligues d'anciens combattants.

- Troisième leçon, l'arrivée au pouvoir des fascistes via Pétain et sous la férule d'Hitler renvoie à un curieux mélange où la modernité morbide du totalitarisme fasciste, violemment anti-communiste, le dispute à la nostalgie la plus éculée de l'absolutisme monarchiste. Politiquement, Vichy est à la fois une riposte à 89 et à 17 : une réaction anti-révolutionnaire qui se fera avec les termes et la liturgie de la révolution. Retour à la terre, qui ne ment pas, refus de la lutte des classes et instauration des corporations, culte de l'obéissance au Chef, l'affirmation des trois valeurs de la devise vichyssoise (travail, famille, patrie) renvoie essentiellement à la négation du citoyen comme individu, source de la Nation, au profit de la communauté, du groupe, de la famille, du clan ou de la Nation protectrice. Qu'il y eut dans le pétainisme un côté Père Fouettard sanctionnant ces mensonges qui vous ont fait tant de mal, une dimension rédemptrice très chrétienne au sens le plus traditionnel du terme (au contraire du nazisme qui proclama plus volontiers ses sources païennes) fait l'originalité de ce fascisme à la française mais ne change rien à ce qui fait le fond du fascisme : le primat du collectif sur l'individu et donc le primat du peuple, explicitement, de la race pour les nazis, sur les liberté et volonté individuelles.

- Quatrième leçon, l'impossibilité pour le fascisme de parvenir au pouvoir seul. Il n'y peut parvenir que sur fond de crise grave, de délitement de la société - et ce fut manifestement le cas à partir des années 20 sous le double coup de butoir de la 1e guerre mondiale et du krach de 29. Mais même ceci n'est pas suffisant. Pour y parvenir il faut en plus qu'il bénéficie de la complicité active ou passive (selon les cas) de la droite classique qui finit toujours par se croire plus futée et de pouvoir s'allier avec les fascistes dans un premier temps en croyant pouvoir, dans un second, les berner ou encercler. Ce fut l'illusion naïve d'un von Papen vice chancelier en Janvier 1933 - avec les résultats que l'on sait. Cette sottise, dans le meilleur des cas, cette collusion souvent, et complicité de la bourgeoisie avec le fascisme chaque fois que son hégémonie est en jeu, demeurent un fait politique constant à ne jamais oublier. Le fascisme est le capitalisme en décomposition affirmait Lénine. Il en est la fréquente tentation, en tout cas. (6)

Libre à chacun de voir dans la dérive droitière actuelle de la campagne sarkozyste l'apogée de cette tentation : force est de constater que, cynisme politique d'une part, épuisement du capitalisme financier de l'autre, rappellent en tout cas ensemble, avec la montée de l'extrême-droite, de bien odieux souvenirs. Libre à chacun de n'y considérer que stratégie de la dernière chance, plutôt scabreuse, et fabuleusement désinvolte.

Mais ce qui reste certain, en tout cas, c'est que la puissance de l'extrême-droite ne disparaîtra pas une fois les feux du spectacle électoral éteints. Nous paieront longtemps encore sa menace.

C'est au pays demain de dire ce qu'il veut : mais de la même manière qu'on aura pu trouver souhaitable qu'un Mélenchon fît un score élevé, et notamment plus élevé que celui de Le Pen - ce qui fut raté - de la même manière il n'est plus qu'à souhaiter un écart élevé entre Hollande et Sarkozy, qui aurait au moins le mérite de marquer avec force l'attachement de la Nation aux principes humanistes de la République.

On peut ironiser avec B Guetta sur le retour de l'Europe par la bande : il est vrai que la question européenne aura dominé, via le pacte de rigueur, le début de la campagne et, désormais, à travers l'extrême droitisation de sa démarche, Sarkozy sera devenu le grand pourfendeur d'une Europe ouverte ; mais aussi le reflet de cette extrême-droite qui monte partout en réponse à la rigueur et l'incapacité de l'Europe à résoudre la crise. Sarkozy tenta de souligner la pusillanimité d'un Hollande paria de l'Europe qui exigeait la renégociation du Traité et voici l'ensemble des dirigeants qui se posent la question d'une nécessaire croissance pour espérer venir au bout de la crise de la dette. Que ce soit politiquement ou économiquement, idéologiquement ou électoralement, la question européenne aura bien été au coeur de la campagne sans qu'on se l'avoue toujours.

C'est sans doute l'autre grande leçon de ces derniers mois autant que des derniers développements de cet entre deux tours : domine le rapport de force politique, décidément, et il serait vain de faire mine dégoutée en observant cette droitisation extrême. Elle n'est pas le fait que d'un seul dirigeant prompt à toutes les compromissions pour conserver le pouvoir ; elle est l'horizon menaçant de toute l'Europe à quoi il faudra bien un jour apporter réponse claire. On peut toujours sourire de voir Mélenchon rappeler la menace européenne de la peste brune : il faudra bien lui reconnaître avoir vu, lui, la gravité de la menace et compris que la colère populaire n'était pas seulement celle de la France et reconnu que la situation était d'autant plus grave que l'Europe a déjà été le berceau des pires horreurs.

Alors non, ne pas hurler au loup à chaque instant ; mais, oui, réaliser que la pire des myopies serait encore de s'accommoder d'une extrême-droite puissante.

Oui, admettre enfin que par leur vote les Français décideront pour eux-mêmes du modèle républicain qu'ils devront bien resanctifier ; mais pour toute l'Europe d'une refondation et non d'une récession de la démocratie.

Et que sa défaite soit l'occasion enfin de ne plus entendre parler de Sarkozy afin que son indignité ne soit pas demain ... la nôtre


1) Rappel du 1e tour

  Gauche Droite
Hollande
28,63
 
Mélenchon
11,11
 
Poutou
1,15
 
Artaud
0,56
 
Joly
2,31
 
Sarkozy
27,18
Le Pen
17,90
Dupont-Aignan
1,79
Bayrou
9,13
Total
43,76
56,00

2) lire notamment cet édito de Sylvain Bourmeau dans Libération :

Enclos

Dans un discours énervé au Raincy jeudi, Nicolas Sarkozy a donné de la France sa vision. Tout - et vraiment n’importe quoi - y était devenu frontière : celle qui sépare le policier du délinquant, le maître et l’élève, la vie et la mort, et surtout «chez moi» et «chez l’autre». La clôture comme mode de vie. Le cadastre, cité et érigé en texte sacré. Comment ne pas comprendre d’emblée qu’il s’adressait à cette France rurale ou rurbaine, souvent si fière du portail ou du mur d’enceinte qui orne et protège sa propriété ? Cette France où l’on a vu, dimanche, l’éclosion d’un FN des champs venu s’ajouter à celui des banlieues qui avait supplanté celui des beaux quartiers - les trois continuant de persister. Un FN qui s’enracine dans des terres qui, à l’instar de l’Aisne - deuxième plus haut score départemental de Marine Le Pen après le Vaucluse -, ne connaissent ni immigration significative ni insécurité particulière mais sont, en revanche, dévastées par un chômage massif, de fulgurantes destructions d’emplois et un reflux sans précédent de services publics dégraissés au nom d’un sinistre acronyme : la RGPP (révision générale des politiques publiques). Des zones de grand désert culturel, où seule la plus vile télévision renvoie en continu l’image fantasmatique d’un pays menacé par ce que l’auteur de l’abject et prémonitoire Campagne de France, le plumitif Renaud Camus, nomme «le Grand Remplacement». Au point que désormais, au lieu de paître tranquillement, les vaches devenues vraiment folles ruminent l’idée de finir halal.

3) à propos de l'effet Godwin

4) Le Monde avait publié un petit dossier sur l'usage de l'histoire en politique et en particulier sur la référence à la collaboration

Rappelons qu'il ne se trouva que 80 parlementaires pour voter non aux pleins pouvoirs accordés à Pétain

la liste des 80 se trouve ici

5) jugé mais acquitté par le Tribunal de Nuremberg

6) lire par exemple Trotsky