Elysées 2012

Raffarin

Vous sentez-vous à l'aise dans cette campagne de second tour, où Nicolas Sarkozy passe l'essentiel de ses discours à évoquer les thèmes de l'immigration et de l'islam ?

Si j'exprimais aujourd'hui des réserves, j'affaiblirais mon camp, et l'affaiblissement du centre et de la droite républicaine sert le Front national et le Parti socialiste. La meilleure façon de gagner, c'est de rassembler, dans une même famille, la droite populaire et les "humanistes". Je me souviens des suites de la dispersion de la gauche en 2002, mais je reste attaché aux valeurs humanistes de notre projet. Ce qui exclut tout accord avec le FN.

Ces valeurs ne semblent pas très audibles...

Nous les exprimons tous les soirs dans nos meetings.

L'idée était d'avoir une campagne de droite au premier tour, pour rassembler son camp, et au centre au second. Là, on a droite, puis droite-droite...

Le vote du premier tour est un vote de crise, d'inquiétude et appelle des réponses fortes. Je ne considère pas que ces réponses soient exclusivement droitières. La réponse européenne du président me convient totalement.

Y compris la menace de suspendre unilatéralement les accords de Schengen ?

L'Europe a besoin du leadership et du volontarisme de M.Sarkozy.

L'arithmétique vous donne perdants au second tour. Ne risquez-vous pas le déshonneur pour éviter la défaite et, au final, de subir les deux ?

J'ai le sentiment que je suis un modéré par rapport à M. Hollande et à Ségolène Royal pour la chasse à droite. J'ai vu le candidat du PS racoler en "une" de Libération les électeurs du FN. Cette accusation sur l'honneur est une insulte à tous les électeurs qui ont exprimé leur angoisse. L'égalité, c'est aussi celle des électeurs.

M. Hollande n'emploie pas les mêmes mots que Marine Le Pen, à la différence de M. Sarkozy...

François Mitterrand a créé ce piège du FN. J'ai assez d'expérience pour ne pas être victime des manœuvres de ses héritiers.

Patrick Buisson, conseiller du président sortant, s'est vanté de ce choix d'une stratégie droitière, estimant qu'il avait vu juste. En la suivant, M. Sarkozy n'a-t-il pas nourri le vote FN ?

C'est une question de premier tour. Depuis, nous sommes dans la comparaison entre les deux finalistes : quel est le meilleur pour gouverner le pays ? Pour moi, la clé, c'est les finances publiques. M. Hollande creuse les déficits, M. Sarkozy les réduit. La compétitivité de la France, la dette publique, l'ouverture et la compréhension du monde, la relance européenne, voilà ce qui sera déterminant.

Revenons à M. Buisson. Sa stratégie n'a-t-elle pas nourri l'extrême droite ?

Cette question n'a pas d'intérêt aujourd'hui. Le temps de l'analyse viendra après le 6 mai. Nous sommes dans le temps du combat, et dans le combat, l'honneur, c'est la loyauté.

Diriez-vous que le FN est un parti républicain, comme l'a dit le président de la République ?

Il est clair qu'il y a des républicains dans l'électorat du FN. Je suis surpris de ne pas avoir de questions sur le Front de gauche et sur la dimension républicaine de l'insurrection...

Pour s'imposer, M. Sarkozy a besoin des deux tiers de l'électorat de Marine Le Pen et de plus de la moitié de celui de François Bayrou. Comment tenir ce grand écart ?

Il y a une réserve électorale avec la participation. Elle sera plus forte au second tour. M. Sarkozy veut parler de la crise, avec gravité, à tous les Français, pas chapelle par chapelle. Pour s'imposer, il doit gagner trois matches : celui du diagnostic, celui du projet et celui de l'expérience.

Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne appelle à de la croissance. Ne s'agit-il pas d'une légitimation des propositions de M.Hollande ?

Nous sommes tous pour la croissance en Europe selon les termes employés par M. Draghi, "dans le cadre de réformes courageuses". Ce qui manque dans le projet de M. Hollande, ce sont les réformes courageuses ! Je pense que l'appréciation de nos partenaires sur le programme du candidat du PS est sans appel.

Quel signe pouvez-vous envoyer à M. Bayrou ?

Le premier, c'est celui du respect. Il ne s'agit pas d'entrer dans des manœuvres. Il est assez aguerri pour faire son évaluation des projets. Le rétablissement des finances publiques est un sujet majeur pour lui comme pour nous. L'introduction d'une dose de proportionnelle pour les législatives serait positive pour notre démocratie. M. Bayrou veut un référendum sur la moralisation de la vie publique. Ce projet me paraît compatible avec la majorité de notre majorité.

Diriez-vous encore que M. Bayrou peut être un bon premier ministre pour M. Sarkozy ?

Il appartient au président de la République de prendre position. J'ai seulement commenté les aptitudes de M. Bayrou et je n'ai pas à me contredire sur ce sujet.

Si un candidat socialiste et un candidat FN se retrouvent seuls au second tour des législatives, que voterez-vous ?

Vous en avez piégé quelques-uns, vous ne me piégerez pas : une grande famille forte et diverse qualifie son candidat au second tour.

L'UMP peut avoir à affronter de nombreuses triangulaires avec le FN au second tour de ce scrutin.

Il n'y aura pas tant de triangulaires que ça, d'autant qu'il y a une hétérogénéité du vote lepéniste. Il est plus traditionnel, ancré sur l'immigration, dans le sud-est du pays ; c'est plus un vote d'alerte en zone rurale.

A l'UMP, les centristes sont dominés par les ex-RPR. Faut-il faire de la discrimination positive en leur faveur ?

Il faut un équilibre renforcé des responsabilités. Le prochain gouvernement devrait ainsi exprimer plus de diversité que les précédents. Au sein du parti, il faudra débattre des procédures dans lesquelles chacun pourra s'exprimer, voire se compter. Il appartient au secrétaire général [aujourd'hui Jean-François Copé], qui est porteur de la légitimité du parti, garant de la diversité, de faire pour le prochain quinquennat les propositions d'organisation.

Chez les modérés de l'UMP, nul n'ose sortir du bois sur la campagne droitière de M. Sarkozy...

Pourquoi voulez-vous que je participe à une campagne contre mon candidat et permette à M. Hollande de dire: "Raffarin tire sur Sarkozy" ? J'ai fait mon service militaire chez les pompiers, j'ai appris que, au feu, sur la grande échelle, on n'a pas d'état d'âme.

Ancien Premier Ministre de J Chirac