Elysées 2012

Frontières

Revoici les frontières, scandées jusqu'à satiété dans les meetings de Sarkozy .... . De ces frontières, nous avons déjà parlé il y a quelques temps, ailleurs (1) ....

Et la presse d'en faire ses titres (2)

Revenons-y !

Le terme, d'emblée, désigne à la fois dans le registre militaire qui est le sien, la position avancée d'une armée, face à l'ennemi et donc par extension politique la ligne de partage, la limite bordant un territoire. Mais via front, désigne aussi la face antérieure du visage et donc l'expression des sentiments, des émotions.

Sous la manipulation ....

Sarkozy dans son récent discours de Toulouse a longuement évoqué l'importance cruciale de la frontière se servant, au passage, de la référence à R Debray et de l'ouvrage qu'il avait publié fin 2010. On reconnaît bien ici la patte d'H Guaino qui n'aime rien tant que de jouer avec les grandes valeurs, les grands concepts et faire ses courses théoriques où ça l'arrange : il avait déjà fait le coup en début de mandat avec Edgar Morin et sa politique de civilisation qui avait obligé ce dernier à rectifier le tir. Il récidive aujourd'hui, avec le même résultat : R Debray ce matin, sur France Inter s'agace !

Au delà de la manipulation, de la tentative de récupération qui, après tout, est de règle dans une campagne électorale où, en ces derniers jours, tous les coups sont permis, se dégage surtout le paysage nouveau qui se dessine dans les relations entre le pouvoir et les intellectuels qui emmène très loin des figures anciennes de l'intellectuel engagé à la Sartre, qui avait pu dominer dans les années 50 à 80, et où il semble bien que désormais ce soit via les Fondations ou autre think tanks que la relation s'engage entre politique et intellectuels. On les consulte, comme n'importe quel expert dont on attendrait un audit, ou médecin dont on attend un diagnostic ; bref on fait son marché quitte à ne rien retenir de ce qui en fut analysé, ou de n'en conserver que ce qui vous aura arrangé. De la même manière que les partis se sont vidés de leur rôle traditionnel pour n'être plus que de grosses machines électorales en confiant, non plus à leurs militants, le soin de concevoir la doctrine mais à des structures ad hoc (4) de même les intellectuels, à l'extérieur des partis, prenant de plus en plus rarement parti, s'engageant très rarement, ont l'air de faire leur travail, déconnectés de tout contexte politique quitte à donner leurs conseils ... à qui veut bien les entendre ... les méprendre.

Une vraie question

Celle d'abord d'une logique libérale, celle que de Gaulle appelait celle du laissez passer, laissez faire dont, de ce côté de l'échiquier politique, on veut bien entendre ce que ceci suppose de libre circulation des marchandises mais tellement moins ce que ceci entraîne de libre circulation des personnes. Pour autant que l'une n'aille pas sans l'autre, cette contradiction est celle du capitalisme moderne lui-même. D'où les items dans le discours sarkoziste tournant autour de la limite que l'on aurait dépassée, de l'excès ...

Celle effectivement du sens que l'on peut donner à la frontière. Debray le dit, et il a raison, la frontière est ambivalente comme la porte, l'huis, le seuil. A la fois ce qui se ferme et dessine l'espace de l'intimité, du chez soi, de ce que l'on ne supporte pas de voir jamais profané ; mais en même temps ce qui peut s'ouvrir et permettre d'accueillir l'autre. Nos traditions ancestrales nous firent toujours réserver la place du pauvre, prédisposant par avance, et par principe, aux impératifs de l'hospitalité. Et, sans doute n'est-il pas complètement faux d'affirmer que pour que la porte soit ouverte, encore faut-il au préalable qu'il y en eût une.

Pour autant, Serres l'a tellement rappelé, il y a entre hospitalité et hostilité plus qu'une simple accointance étymologique et notre histoire n'aura jamais cessé d'osciller entre les deux, jouant, au gré des intérêts, de celle-ci ou de celle-là, de mimer l'une pour asseoir l'autre - et inversement.

Sans doute, nous trompons-nous de nous croire encore habiter cet espace euclidien où repères, réseaux et frontières suffisaient à nous définir, situer et saisir. Sans doute faut-il définitivement prendre acte que ce n'est plus du tout dans le même espace que nous habitons et que, justement, ce qui nous définit, ce qui assoit notre identité ne tient pas du tout à nos appartenances, à nos ancrages à tel ou tel espace, tradition ou idéologie, mais, bien au contraire à ce qui nous individue où se joue notre rapport à l'autre. Quêter le visage, comme le disait Lévinas, reconnaître en l'autre non pas son absence comme autre mais sa proximité comme visage.

C'est bien d'entre l'ouvert et le fermé que tout se joue ; j'avoue, encore et toujours préférer les ponts aux portes ; les aqueducs aux frontières.

Mais que ceci signe aux tréfonds de nos histoires, ce qui définit une culture, oui, assurément ! Elle est ici peut-être la croisée que nous recherchions.

Je suis seulement certain que ce n'est sûrement pas la peur, insidieusement instillée qui ouvrira l'horizon : et ceci, je le tiens de l'histoire.


1) quelques notes écrites en 2009 :

Murs

Frontières

Ponts


2) edito de N Demorand dans Libé :

Murs

Pour une fois, il y aura donc un défilé et une contre-manifestation. Pour le dire avec les mots sidérants de Nicolas Sarkozy en meeting hier, ceux qui défileront derrière le «drapeau rouge» et ceux qui agiteront l’autre, le vrai, le «bleu-blanc-rouge». Choisis ton camp citoyen, travailleur, chômeur, paisible passant, toi qui pensais faire partie du même peuple, de la même nation, toi qui croyais avoir la République en partage, la fraternité comme héritage et horizon ! Après l’apologie des frontières, c’est carrément le mur de Berlin qui se trouve reconstruit en catastrophe, en plein Paris, comme au bon vieux temps de la guerre froide, quand il fallait faire barrage aux rouges ! Pendant cinq ans, le débat public et l’actualité auront été hystérisés. Voilà désormais l’histoire de France transformée, dans une ultime tentative de division et de diversion, en ligne à basse tension. Mais est-il si difficile de parler d’avenir pour se réfugier ainsi dans le passé ? Cultiver de la sorte, avec un soin maniaque, l’histoire antiquaire ? Tenter, sans succès tant les ficelles sont grosses et les querelles déjà tranchées par le cours serein du temps, de réactiver des clivages qui n’intéressent personne à part quelque conseiller extrême droitier du président-candidat ? Démarrée dans l’improvisation la plus totale, poursuivie sans aucune ligne ni proposition crédible ou même audible, la campagne se termine dans un grand bazar de mots, de symboles, de transgressions désespérées. Spectacle effrayant, a dit l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin.

lire aussi A Toulouse Sarkozy flirte avec la frontière

et dans le Monde

A Toulouse, Sarkozy fait l'apologie de la Nation et des frontières

on y lit, notamment, ces deux passages de son discours :

Je ne veux pas laisser la France se diluer dans la mondialisation, voilà le message central du premier tour. (...) l'Europe a trop laissé s'affaiblir la Nation. Les pays qui gagnent aujourd'hui, c'est les pays qui croient dans l'esprit national

(...)

Je ne parle pas seulement d'une frontière géographique, mais aussi de la frontière morale. La frontière sépare le dedans du dehors, la frontière permet d'avoir un foyer, un espace d'intimité dans lequel on peut choisir qui on fait entrer. La frontière, c'est l'affirmation que tout ne se vaut pas, qu'entre chez-soi et dans la rue, ce n'est pas pareil. Ce n'est rien d'autre que le long travail de la civilisation. (...) Les frontière ethniques et religieuses sont inacceptables, nous n'en voulons pas. Faites sauter les frontières de la France, et vous verrez les tribus imposer des comportements dont nous ne voulons pas sur le sol français

Son discours :


3) sur la polémique alors suscitée : relire

4) Institut Montaigne à droite, par exemple ; et Terra Nova ou la Fondation Jean Jaurès à gauche.