Elysées 2012

Parole

Ca y est ! Clap de fin (de premier tour) ! Moment solennel un peu où chacun, acteur et médias, sont contraints de se taire : quand va s'exprimer le peuple, il doit être seul !Seul à parler ! Seul, auparavant, isolé, reclus dans la vacuité monacale si inédite des médias bien embarrassés de n'avoir rien à pouvoir dire ou montrer - comme s'il s'agissait de se recueillir. Les esprits chagrins pourront toujours maugréer en arguant que l'abstention devrait prévaloir pour de tels simulacres ; force est effectivement de constater que le peuple n'est jamais aussi absent que lorsqu'on s'acharne à le représenter même si la belle surprise de cette campagne aura quand même été son irruption tonitruante qui de toute manière bousculera la donne demain.

En attendant cette belle liturgie républicaine du seul espace demeurant par quoi l'égalité pointe encore son espérance : chaque voix compte mais compte de manière égale ; moment superbe que ce dimanche électoral où les puissants redoutent la sanction et ne pèsent, provisoirement, pas plus lourds que ces impétrants ivres de leur place qu'ils pourraient prendre ; si semblables à rage de leur être rivaux.

Entre l'arène où les gladiateurs condamnés à mourir ne peuvent escompter que l'indulgence du public qui leur offrira tout au plus l'opportunité de mourir un peu plus tard, et le cérémonial de l'élévation où l'on présente aux cieux comme aux fidèles les signes de l'alliance, il y va, ici, en même temps de la clameur de la foule et du recueillement de l'anachorète.

Car c'est bien d'une liturgie dont il s'agit : λειτουργία - étymologiquement service du peuple (λαός) . Réactualisation de la passion christique, rituel sacrificiel mais liturgie de la Parole au même titre que la messe chrétienne, l'élection est ce moment si particulier où la foule se rassemble pour dépasser ses divisions et n'y peut parvenir qu'en sanctifiant ou sacrifiant - mais c'est tout un : la foule se tait puis bruisse pour enfin s'abandonner au brouhaha confus, mêlé d'où s'élevera - indifférent - le nom du supplicié. Barabbas ou Jésus ? Il n'importe pas et ce serait malhonnêteté de prétendre qu'ils revinssent au même - et pourtant !

La foule sait - sent - qu'au terme de l'alliance, cette réalité qu'elle avait presque oubliée à force d'incantations, lui cinglera le visage d'une identique violence glaciale et que c'est elle qui en paiera le tribut quoiqu'il arrive. En quête d'une mélopée qui donne un sens à sa souffrance, ou la lueur si fragile d'une espérance, la foule choisit, comme elle peut, presque au hasard, celui qui parviendra à mettre en prières le cri de la bête qu'on immole (τραγῳδία).

C'est ici que gît peut-être toute la puissance du religieux : nous permettre d'espérer nonobstant la certitude où nous demeurons que rien ne vaut ; mais nous faire quand même opter pour le Séné plutôt que pour la Rhubarbe ! Contrefaire la posture blasée de celui à qui on ne la refera pas et pourtant laisser quand même s'infiltrer cette ridule de lumière ...

Ceci s'appelle la croisée ou la critique : qu'importe le chemin où demain l'on bifurquera, aujourd'hui le temps est comme suspendu. Demain s'ouvriront les cieux qui révéleront nos parts d'ombre , aujourd'hui la mortification joyeuse du recueillement.

Demain la négligence, aujourd'hui le religieux : mais ces antonymes-ci ne sont finalement que la ritournelle entêtante de nos égarements.