Elysées 2012

Trois leçons pour un premier tour étonnant

Résultats Comprendre Morale ?

 

Sondages en berne

Décidément, et quoiqu'ils en disent, les politologues n'auront rien vu venir qui ont décidément un vrai problème avec le vote FN : même s'il est exact que les derniers publiés avaient repéré une dynamique FN et un tassement de Mélenchon, nul ne l'avait située si haut. Tout à l'air de se passer comme si les sondages étaient capables de broder des variations autour d'un air connu mais incapables de repérer les bouleversements du paysage politique.

Décidément, ils ont tout autant de problème avec l'abstention que les instituts avaient annoncée très haute ... et qui ne le fut pas. Que la participation soit élevée, tant mieux évidemment et si les précédents se renouvellent, il y a tout lieu de prévoir que celle du deuxième tour soit plus élevée encore, confirmant par là-même que les présidentielles sont définitivement la point nodal de l'expression démocratique.

Il en va pourtant jusqu'aux estimations de 20h, traditionnellement fiables, qui auront été constamment revues - mais plus que d'habitude - au long de la soirée et avaient pour la 2 par exemple donné Le Pen à 20 % et sous-évalué Sarkozy d'un point et demi.

On a ici un des ingrédients de cette élection dont vous avions supposé depuis le début qu'elle pourrait réserver des surprises. Le paysage politique est en profond bouleversement et, si les sondages se targuent d'être des instantanés photographiques, ils sont aussi, sans toujours le révéler, des retouches à partir des résultats précédents. Il suffit que le paysage bouge substantiellement, et ce semble bien être le cas, pour que les sondeurs peinent à produire une photographie fine, même s'il n'est pas faux de dire que, marges d'erreur comprises, ou intervalle de confiance, cette dernière demeurait dans des marges acceptables.

En réalité c'est peut-être notre rapport au sondages que nous entretenons compulsivement via les médias qu'il nous faudrait interroger et qu'illustre la précipitation des uns et des autres à donner, avant vingt heures, des estimations qui se sont d'ailleurs révélées floues.

La montée du FN

Elle est réelle mais doit néanmoins être nuancée : évidente si on la compare avec les résultats de 2007, elle est beaucoup plus modeste si on la rapporte à 2002. Le 21 avril 2002 JM Le Pen avait recueilli 17,79% mais B Mégret, dissident du FN avait quant à lui recueilli 2,34% : au total 20,13%. Au taux d'abstention près, qui effectivement fait une grosse différence, on doit pourtant considérer que ce résultat de dimanche ne fait qu'entériner la permanence forte d'un vote extrémiste. A ce titre 2007 fait figure sinon d'exception en tout cas d'illusion : tout le monde s'était alors félicité de son affaissement rendant acte à Sarkozy d'avoir siphonné les voix du FN ; illusion ou réalité, qu'importe, force est de constater qu'en tout cas il n'aura pas su les conserver et que, vraisemblablement, ces voix sont retournées d'où elles venaient.

Le FN pose un problème assurément : moral, cela va sans dire ; politique, c'est évident et les développements à venir de la campagne du second tour montreront combien il est une épine dans les pieds de la droite, surtout ; de la gauche, dans une moindre mesure ; théorique, enfin tant il est difficile de rendre compte de ce vote : il n'est qu'à considérer les multiples et contradictoires interprétations qui en sont faites depuis dimanche, mais l'incapacité des sondages aussi à le saisir.

Comment rendre compte rationnellement d'un phénomène qui, en soi, comporte une forte charge d'irrationnalité, de peur ?

Ce que l'on peut dire, en tout cas, sans grand risque de se tromper, est que ce vote atteste d'un profond malaise de l'électorat et d'une crise de fondation du pacte républicain. Il n'est pas tout à fait faux de considérer que ce premier tour représente un même choc que 2002 même s'il n'a pas eu les mêmes conséquences pour le deuxième tour. On n'a pas tiré les conséquences du 21 avril, manifestement : il nous revient en plein dans la figure ! Chirac en fondant l'UMP est passé totalement à côté de l'événement et s'est d'ailleurs paralysé politiquement lui-même au lieu de saisir l'opportunité pour une vraie refondation- mais avait-il la trempe historique pour le faire ? Sarkozy a joué, comme il sait le faire, l'illusionniste en 2007 mais en menant une politique ultra-libérale, brouillonne souvent, brusque toujours, qui ne sera parvenue qu'à accroître encore les inégalités n'aura fait que heurter encore plus les couches populaires, les éloignant toujours plus du politique en suscitant une méfiance tenace qui fait le lit du vote FN.

De ce point de vue Sarkozy comme Chirac auront fait partie de ces présidents qui nous auront fait perdre notre temps.

Retour à la case départ : bel enjeu pour Hollande s'il l'emporte mais challenge presque impossible !

La déception Mélenchon

Résultat lui aussi à nuancer : décevant assurément si on le rapporte aux promesses des sondages, il l'est beaucoup moins si on le rapporte au total du PC et de l'extrême-gauche dont nous avions déjà repéré qu'il oscillait autour des 13% ; il ne l'est pas du tout si on le compare avec les derniers résultats du PC.

En réalité, le Front de Gauche aura simplement réussi à reconstituer une force consistante à l'aile gauche du PC - ce qui était, après tout, le but de la manoeuvre.

Déception évidemment, dans l'échec à devancer le FN qui était l'objectif assigné et qui eût effectivement envoyé un signal politique fort. A bien y regarder l'objectif n'est pas tout à fait raté : les jeunes ne se sont pas tant reportés que cela vers le FN et pour autant que le Front de Gauche poursuive sa démarche républicaine d'explication et de labourage des terres il n'est pas impossible que sur le long terme il parvienne à ses fins.

L'expérience Mélenchon est pleine d'enseignements qui rappelle combien la présence sur le terrain, l'action continue des militants est le creuset sur quoi se construisent non seulement les victoires mais surtout et avant tout les prises de conscience politique.

Reste la donne politique : Mélenchon s'abuse lui-même en affirmant que c'est le Front de Gauche qui a la clé ! Néanmoins dans ce vaste jeu de recomposition politique qui est à l'oeuvre, il représente une force active et remuante avec quoi il faudra demain compter. De ce point de vue, même si le rapport de force est moins favorable qu'escompté, le pari est loin d'être raté.

Au bilan

Cette campagne dessine effectivement la croisée que nous supposions - plus grave

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encore que redoutée - mais tellement décisive. Ce n'est certainement pas un hasard si dans leurs déclarations respectives du soir du 22, Hollande terminât par l'Europe ... et Sarkozy par les frontières. Car la croisée n'est pas seulement entre le libéralisme débridé qui offre le pouvoir à la finance et la volonté politique de redonner à la république ses lettres de noblesse ; elle n'est pas seulement entre un pouvoir soucieux du social et des équilibres et une approche purement économiste ; non, ce que, sans doute, le cruel résultat du FN illustre c'est que la croisée se situe bien entre la dérive autoritaire qu'avait déjà entamée Sarkozy et le retour aux principes républicains.

Politiquement le chemin est étroit pour la droite qui ne peut plus désormais espérer s'en sortir qu'en faisant définitivement sauter la digue qui séparait la droite de l'extrême-droite mais ne le peut qu'en perdant tout ou partie des voix centristes dont elle a pourtant également besoin. Sarkozy, dès le premier tour, en mettant les frontières, la sécurité, l'immigration, la dénonciation de l'assistanat au centre de ses discours avait déjà fait une partie du chemin. Il semble bien - stratégie suicidaire de Buisson oblige - qu'il se propose d'aller jusqu'au bout.

Pour éviter la défaite, il ira jusqu'au bout de la honte. Il aura l'une et l'autre !

Mais au delà de cette invraisemblable dérive suicidaire, comment ne pas voir qu'il entraîne toute la droite parlementaire dans sa propre implosion : et risque de donner une deuxième fois quitus à M Le pen qui se proclame déjà chef de l'opposition ?

La recomposition n'en est qu'à ses débuts et risque fort d'être désastreuse.