Elysées 2012

La droite la tête à l'envers

Ce premier tour de l'élection présidentielle a apporté deux enseignements majeurs: à tout seigneur tout honneur, un désaveu sévère pour le président de la République qui se trouve dans la perspective du deuxième tour en position plus que délicate; mais aussi le niveau record des suffrages qui se sont portés sur la représentante de l’extrême droite, puisque Marine Le Pen obtient  plus de voix que n’en avait recueilli son père, lors du tristement célèbre premier tour du 21 avril 2002.

Avec 28,6% François Hollande possède 1,5 point d’avance sur Nicolas Sarkozy qui a obtenu 27,1% des suffrages. Quant à Marine Le Pen, elle est à 18%, score historique.
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Constatons que la dynamique dont se prévalait Nicolas Sarkozy, avant le premier tour, n’a pas été au rendez-vous. Il est le seul président sortant à n’être pas en tête à l’issue de ce scrutin. Et son recul, par rapport à 2007, est très sensible.

Surtout son pari consistant à flatter l’électorat de l’extrême droite pour affaiblir Marine Le Pen a non seulement échoué mais a abouti au résultat inverse. Des voix s’étaient élevées pourtant pour le mettre en garde, mais le schéma de son conseiller Patrick Buisson avait prévalu.

La défaite de la tactique Buisson

Nicolas Sarkozy était censé «parler au peuple». Or le peuple en question lui a d’abord renvoyé un message hostile. Et l’histoire politique risque de retenir que celui qui avait été l’ordonnateur du reflux du vote d’extrême droite en 2007 s’est transformé en l’un de ses promoteurs en 2012.

C’est en elle-même une séquence qui résume Nicolas Sarkozy: il est celui qui, en permanence, se construit et se déconstruit lui-même. 

Du côté de la gauche, François Hollande peut être satisfait. Une fois de plus, il a surpris ses adversaires qui pensaient n’en faire qu’une bouchée. Et il est celui qui peut, le 6 mai prochain, non seulement rassembler la gauche, mais en allant au-delà, devenir le successeur de Nicolas Sarkozy. Il peut être également satisfait du résultat décevant de Jean-Luc Mélenchon.

Ce dernier, grisé sans doute par l’enthousiasme des foules qu’il a su rassembler, a pris un chemin on ne peut plus dangereux, celui d’une opposition à François Hollande, une fois passé le cap de la défaite de Nicolas Sarkozy.

A ceux qui mettent en avant son désistement immédiat en vue du second tour, on peut faire observer que telle est la volonté de l’électorat qu’il a rassemblé, et qui ne peut en aucune façon se reconnaître en Nicolas Sarkozy.

Jean-Luc Mélenchon a donc appelé à battre le Président sortant, mais à aucun moment n’a nommé François Hollande. Ce dernier ne doit donc nourrir à son endroit aucune illusion et peut être soulagé de voir que l’enthousiasme médiatique dont il a bénéficié n’a pas suffi à le porter à un niveau qui aurait pu, en effet, faire pression entre les deux tours sur le candidat Hollande. Le terrain est ainsi dégagé dans l’immédiat.

Nicolas Sarkozy a un bilan

Le paradoxe de la situation est que la poussée de Marine Le Pen est l’un des signes majeurs de cette droitisation de la société française que Nicolas Sarkozy avait diagnostiquée très tôt, et sur laquelle il comptait pour l’emporter.

Droitisation en partie intégrée par les socialistes, comme en témoignent leurs discours de fermeté sur la sécurité —parfaitement incarné par un Manuel Valls ou un François Rebsamen, le maire de Dijon—ou bien encore les positions de François Hollande sur l’immigration qui n’a concédé qu’une régularisation au cas par cas et selon des critères pré-établis.

Mais pour que Nicolas Sarkozy puisse porter cette droitisation jusqu’à la victoire, il eut fallu qu’il puisse faire oublier son bilan. Or, si l’on fait le compte de celles et ceux qui se sont, le 22 avril, exprimés contre lui, et qui sont une majorité significative, on peut en conclure que ce bilan a pesé.

Ce sera d’ailleurs l’un des thèmes, sinon le seul, de François Hollande entre les deux tours. Mais il faudrait aussi que Nicolas Sarkozy puisse s’adjoindre toutes les voix de l’extrême droite. Donc s’aligner complètement encore sur le discours du FN, ce qui paraît cette fois impossible. Sauf, par exemple, à se mettre lui aussi à réclamer le retour du franc…

De même qu’il lui sera impossible de compter sur un report des voix FN suffisant. Car la nature de l’électorat du Front national est de porter une protestation; et celle-ci s’exerce, fort logiquement, aux dépens du pouvoir en place. C’est ce qui explique qu’une part de l’électorat de Marine Le Pen, soit s’abstiendra, soit même votera pour François Hollande.

Difficulté supplémentaire: tout glissement sémantique trop ostensible en direction du FN sera de nature à conforter une part de l’électorat centriste (environ 1/3) dans son intention de voter Hollande et rendra plus difficile à François Bayrou la manœuvre consistant à se prévaloir d’une plus grande proximité programmatique avec Nicolas Sarkozy. François Bayrou, dont on aurait attendu qu’il soit davantage préoccupé d’union nationale que de la recomposition à venir de la droite.

Cul par-dessus tête

Cette dernière pourra, certes, au lendemain d’une défaite de Nicolas Sarkozy, se frotter les mains à l’idée qu’enfin la reconquête puisse commencer, après tant de scrutins perdus pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Elle sait qu'un gouvernement de gauche sera particulièrement en difficultés, tant sont angoissantes les échéances qui nous attendent, et notamment le pic d’emprunt sur les marchés en 2013. Elle sait donc que les décisions les plus difficiles seront pour François Hollande.

Mais, en même temps, la campagne de premier tour de Nicolas Sarkozy et son corollaire, la poussée de Marine Le Pen, aura pour conséquence, en cas de défaite, de laisser la droite cul par-dessus tête.

Dans un grand désordre idéologique et politique, avec d’un côté les centristes et les ex-UDF, qui pourront être tentés de se rassembler autour de François Bayrou, et les ex-RPR qui pourront être menacés par ceux d’entre eux qui seraient tentés de regarder vers Marine Le Pen; cette dernière aspirant désormais à être l’épine dorsale de la recomposition de la droite.

Si cela était le cas, quelle tragédie politique pour celui qui, en 2007 encore une fois, faisait figure de sauveur, tel Saint-Georges terrassant le dragon de l’extrême droite.

La messe, certes, n’est pas dite. L’entre-deux-tours va peser. Les scores définitifs du premier tour auront leur importance pour infléchir, ici ou là, le raisonnement. Encore quelques heures de patience…

Jean-Marie Colombani