μεταφυσικά
Préambule précédent suivant

 

 

 

Aimer Confessions
l'amour comme engagement Les quatre mots de l'amour
l'amour comme acte de la haine
l'amour comme religion  
Intimité & pudeur  

 

Aimer

Un sujet que je ne me vois pas traiter autrement que par ces fragments éclatés qui reliés en étoile finiront peut-être par faire sens mais qui tentent de se suivre logiquement

- Aimer

- l'amour comme engagement

- l'amour comme acte

- l'amour comme religion

- Intimité & pudeur

avec trois digressions ( à lire avant ou après )

- Confessions

- Les quatre mots de l'amour

- de la haine

 

 

L'amour a incontestablement sa place dans une réflexion métaphysique - a fortiori dans ce dédale que nous empruntons ici sur les grands actes métaphysiques. Vaste sujet, dirait le vulgaire ! Effectivement !

Surtout si l'on veut s'attacher à éviter de l'être soi-même.

BrassaïRéalité universelle qui va du sordide le plus achevé au sublime le plus accompli, qui renvoie d'un côté aux ultimes feulements de la bête et de l'autre à l'épure parfaite de l'humain, où se jouxtent passions, émotions, sentiments mais aussi dévotion confinant parfois à l'élan mystique, mais aussi petites lâchetés, perversions et obsessions sur quoi l'on aimerait bien parfois jeter voile pudique. Figure même du lien que nous cherchons, forme de la relation à l'autre autant qu'à Dieu, valeur éminemment positive quand elle se consacre à l'esprit, rapidement sulfureuse quand elle engage le corps, posture ambivalente par excellence qui figure d'un côté le salut mais de l'autre la tentation et la perdition ... l'amour décidément est de ces termes, comme le temps, dont on pourrait dire, avec Augustin, que quand on y pense on croit toujours savoir de quoi l'on parle mais qui se dérobe pourtant sitôt qu'on cherche à le définir.

Je ne suis d'ailleurs pas convaincu que notre culture qui eut si souvent le mot à la bouche, pour l'encenser quand il était de bon aloi ou le vilipender quand il sentait par trop le soufre, soit en réalité la mieux placée pour en faire cas. D'aucuns (146) en vinrent même à évoquer l'analphabétisme émotionnel de l'Occident !

Et pourtant ! Il y a de véritables pépites à retrouver dans l'approche grecque de l'amour ! Pourtant, rien que dans la quasi synonymie de craindre et aimer dieu dans les textes vétéro-testamentaires, il y a manifestement de quoi s'interroger. Pourtant dans l'exhaussement de l'amour dans le message christique qui y fonctionne comme une clé de voûte au moins autant que comme une exhortation, il y a d'autant mieux à pouvoir dépasser ce que le classique dualisme matière/esprit peut avoir de réducteur qu'il y est systématiquement présenté comme l'antonyme parfait de la violence. Pourtant si le rationalisme, lui-même dualiste, de l'âge classique (surtout avec Descartes) aura sitôt fait de le repousser dans le confus des passions, si le succès impressionnant des sciences depuis et l'avènement même des sciences humaines au XIXe semblent avoir sonné la victoire par abandon de la raison, n'en demeurèrent pas moins, à côté et parfois contre, des tentatives philosophiques souvent (de Kirkegaard à Nietzsche) esthétiques évidemment au premier rang desquelles le romantisme occupe la première place, des voix pour rappeler cet autre versant de la réalité humaine.

Pourtant, parce qu'à l'intersection de la morale et donc de la politique, de la psychologie et de la sociologie, de la philosophie comme des religions, de la biologie comme de la chimie, parce que tout simplement universel le sujet ne peut qu'être central.

(Digressions en forme de confidences)

Penser ce que signifie aimer en le replaçant dans les actes métaphysiques - ce que je n'avais prévu ni ici ni sous cette forme - s'impose dès lors. Mais deux références supplémentaires, outre celles classiques de Platon, Montaigne etc, y contribuent *

- la 34e proposition résumant la philosophie de Conche : Le sens de la vie est dans l'amour pour ceux qui viennent après nous.

- la distinction que Barthes opère dans le Plaisir du Texte entre plaisir et jouissance cette dernière perçue comme asociale, perturbant l'être quand celui-là le conforterait

Confrontation insolite que celle de ces deux-là que tout apparemment oppose ? Pas si sûr ! De la même génération, même si Barthes trop tôt disparu est entré depuis longtemps dans les classiques et forme d'ailleurs l'un des canons de la sphère structuraliste qui fut le socle de mes temps de formation, quand l'autre dans la prolifération discrète d'une oeuvre imposante poursuit encore l'affirmation déterminée d'un naturalisme chevillé au corps ; sur des terrains tellement éloignés l'un de l'autre, sans doute, ils perpétuent pourtant, ensemble, non seulement la vivacité d'une culture classique qu'il était alors de bon ton de fustiger comme petite-bourgeoise, mais que l'on crut à ce point inébranlable qu'on l'imagina sans conteste capable d'endurer ces saillies-ci, mais surtout ce rapport libre d'une pensée qui ne parle jamais aussi bien du réel que quand elle feint de s'en écarter.

Surtout l'on a ici, aux antipodes l'une de l'autre les deux bornes qui configurent cet étrange objet qu'est l'amour : une valeur qui confine d'un côté au sublime de l'autre au sordide sans cesser pour autant d'être universelle tant en compréhension qu'en extension paraissant synthétiser le tout de l'être et nous engageant tous.

Dans cet étonnant chapitre de sa Métaphysique - la voie certaine vers "Dieu" - Conche tout en indiquant qu'on nomme parfois voie du moulin ce chemin qui mène vers un moulin depuis longtemps disparu, définit cette voie comme étant celle de la foi en l'homme : (149)

Elle n'est foi en Dieu qu'en étant foi en la Vie, en l'homme et en l'avenir de l'homme. La voie de l'amour est la voie du moulin qui mène au moulin même s'il n'y a plus de moulin
(Conche, Métaphysique p 160)

J'en tire deux enseignements tout aussi précieux l'un que l'autre :

- voici le chemin, que nous cherchions depuis le début, qui fût une interrogation sur l'être sans se réduire pour autant à une théologie. Nul plus que Conche ne parle de dieu lui qui professe un athéisme chevillé au corps comme s'il ne pouvait en finir de régler ses comptes avec une foi qui l'eût déserté mais à quoi il ne cesse, hanté, de revenir. Mais ne fut ce pas déjà le cas pour Nietzsche qui d'en proclamer la mort, n'en aura jamais fini d'en parler !
Le refus de Dieu revient chez Conche à un refus du credo catholique pour qui tout se résumerait à une profession de foi - plus ou moins aveugle - : pour lui, le message importe plus que le messager - ce qui est incontestable. Dès lors la métaphysique, rivée à la morale et non pas exclusivement à une éthique, précisément, se révèle un effort, un chemin qui engage et ne se réduirait pas à la seule affirmation d'un être transcendant, souverainement bon et tout puissant. L'idée est plus que séduisante, elle oblige. Elle revient à dire, au plus près des sources grecques, que la pensée n'a de sens que si ajuste une sagesse. Elle revient à rappeler combien chacun de nos actes renferme, plus ou moins implicitement, sinon une métaphysique en tout cas une représentation du monde et que la tâche de chacun, s'il veut s'efforcer d'être libre et, au moins d'échapper aux pièges les plus grossiers, demeurera toujours d'en prendre conscience et d'y opérer ses choix.
Le refus de Dieu revient chez Conche à un refus délibéré de l'anti-humanisme que peut porter le christianisme dès lors qu'il s'agit de justifier l'existence du mal. On le sait bien, l'existence de ce dernier est difficilement compatible avec la bonté ou même la toute-puissance divine et l'Eglise conclut - mais pouvait-elle faire autrement - sinon à la malignité tout au moins à la faillibilité endémique de l'homme. Le principe même de la Révélation qu'elle soit directe, par le Fils, ou indirecte, par les prophètes, autorise néanmoins une autre lecture : la Parole transmise n'a de sens que s'il est quelqu'un pour l'entendre ce qui, à tout le moins, suppose que l'homme soit sinon bon en tout cas bonifiable et qu'il n'y eût rien d'héréditaire qui l'en empêchât. Ce n'est, à ce titre, certainement pas un hasard si Conche s'appuie ainsi plutôt sur le message christique dans ce qu'il peut avoir d'emblématique - le Sermon sur la Montagne - et donc plutôt sur le Dieu tout amour que révèlent les Évangiles plutôt que sur le dieu jaloux et vengeur que les textes de l'Ancien Testament laissent parfois apparaître. Où l'on en revient - par la bande - à Pascal autant qu'à Rachi : de quel dieu parle-t-on ? Du dieu des philosophes et des savants qui demeure incontestablement une construction conceptuelle passablement anthropocentrique ?

- voici l'amour désormais au centre - mais on pourrait tout aussi bien écrire au début comme à la fin - de ce chemin : voici qui justifie le 34e point évoqué plus haut en même temps que le 35e et dernier - Le sens de l' oeuvre est dans cet amour. - Encore faut-il préciser de quoi l'on parle - de quel amour l'on parle. Conche a évidemment raison de rappeler qu'il serait sot d'en appeler à l'amour s'il s'agissait de celui que l'on ressent : celui-ci n'a nul besoin qu'on le conseille ou prescrive, il surgit de toute manière, plus ou moins consciemment mais jamais volontairement. Il ne s'agit donc pas de passion ici, et l'on ose à peine évoquer le désir s'il n'était selon Spinoza l'essence de l'homme, mais de bien autre chose : évoquer comme il le fait une religion de l'amour (p 156) - une religion sans dieu pour ce que son concept n'y apporterait rien - revient très exactement à ce que les stoïciens nommaient philanthropie - φιλάνθρωπία : un amour inconditionnel non pour tel ou tel individu mais pour ce qu'il y a d'humanité dans l'autre. Or, tout l'intérêt de cette référence tient sans doute en ce qu'elle n'implique aucunement quelque abnégation sirupeuse mais que ce soit au nom justement de l'amour de sa propre nature, du logos divin qu'elle implique ainsi que du bien commun que l'amour de l'autre se déploie - ce qui rejoint à tout le moins le comme toi-même du Aimes ton prochain. Amour ? Amitié ? en tout cas reconnaissance inconditionnelle de l'humanité de l'autre.

Ce qui justifie en tout cas que l'on aille voir de plus près le langage grec de l'amour.

La référence à Barthes est plus subtile ; plus dérangeante aussi. Avec lui, le corps n'est jamais loin et quoique l'on se trouvât ici au plus près de l'abstraction, Barthes n'oublie jamais que c'est toujours un homme, une conscience, un désir qui parcourt un texte, y éprouve, outre l'intérêt et l'éventuelle connaissance, du plaisir voire de la jouissance. J'aime assez, je l'avoue, pour en avoir éprouvé l'antonyme, ce retour du corps au moins pour l'évidence où il nous met de la si grande proximité d'entre les plaisirs les plus charnels et ceux plus éthérés que la morale met en exergue. Il n'est, pourtant, qu'à lire certains textes, comme celui ci-dessous de Thérèse d'Avila pour saisir combien l'expérience mystique la plus épurée convole, avec une verve tout avouée et pas toujours innocence, avec le vocabulaire érotique le plus évident.

 

SUR CES PAROLES « DILECTUS MEUS MIHI »

Tout entière je me suis livrée et donnée
Et j'ai fait un tel échange
Que mon aimé est à moi
Et je suis à mon aimé.

Quand le doux Chasseur
Eut tiré sur moi et m'eut vaincue
Dans les bras de l'amour
Mon âme est tombée,
Et recouvrant une vie nouvelle
J'ai fait un tel échange
Que mon aimé est à moi
Et je suis à mon aimé.

Il m'a tiré une flèche
Empourprée d'amour
Et mon âme transformée
Fut une avec son créateur ;
Puisqu'à mon Dieu je me suis livrée,
Mon aimé est à moi
Et je suis à mon aimé.

 

La tentation est grande, toujours, de rabattre l'un sur l'autre : ne considérer dans l'élan mystique que la simple sublimation d'un désir qui, pour une raison ou une autre, serait interdit, impossible. N'est-ce pas après tout la solution freudienne ? Ou, au contraire, exalter la sexualité pour en faire un parcours sinon mystique en tout cas initiatique. N'est-ce pas, après tout, ce qu'une certaine interprétation sadienne laisse accroire ? Exhausser ; rabaisser ! Ennoblir, pervertir ! ces couples d'extrêmes composant à loisir les bornes ultimes d'un dualisme dont nous ne sommes jamais sortis véritablement même si les années 70, appuyées sur la légalisation de la contraception se donnèrent des airs de libération ( des moeurs i.e de la sexualité). A tout prendre, et avec le recul parfois déroutant d'une crise interminable qui pousse désormais plutôt vers des rives frileuses et réactionnaires, on parla beaucoup, on fit moins qu'on ne dit ou crut et l'on ne fit sans doute que troquer ses chaînes contre d'autres pas moins contraignantes pour autant.

Mais voici, le mot est lâché : la sexualité ! et ce n'est rien de dire que la suspicion augustinienne d'une transmission de la faute originelle par les femmes ne put qu'en alourdir l'approche.

C'est tout l'intérêt de l'analyse freudienne de la pulsion que d'en faire une dynamique aux confins du psychologique et du physique (150). Au delà d'une distinction pas nécessairement pertinente entre besoins primaires et désirs, que l'on peut retrouver dans la trop fameuse pyramide de Maslow si chère aux managers de tout poil, cette approche de la pulsion a au moins le mérite de faire entendre qu'entre libido et amour noble l'analogie est incontournable si l'assimilation est contestable. Et qu'à tout le moins l'une peut aider à comprendre l'autre.

Boîte noire ou blanche ?

Mais comment ?

Tenter de saisir cette boîte boire nommée amour, qui enferme à peu près tous les registres de la présence de l'homme au monde, qui est à telle extension universelle qu'elle risque bien de ne rien contenir du tout, qui ressemble à s'y méprendre à celle de Pandore laissant s'échapper tous les maux et ne renfermant plus rien d'autre que l'espérance. Boîte noire plutôt que blanche parce que décidément elle n'y laisse rien entrevoir ; obscur objet de toutes les convoitises mais qui tels les bracelets et anneaux d'or scintillent un peu trop pour ne pas finir par écraser Tarpéia (151) comme prix de sa trahison. Qui fonctionne comme un redresseur logique susceptible de transformer en faux ce qu'on croyait vrai ; en laideur insigne ce qu'on imagina admirable ; en perversion absolue ce qui se présentait à nous sous les meilleurs hauspices.

Ce verbe qui dit à peu près tout, de l'affection que l'on accorde à l'enfant à la passion que l'on nourrit pour l'épouse, du goût que l'on a pour telle peinture ou roman, à la fidélité où l'on se sent pour la terre natale ; ce verbe qui se décline curieusement où aimer bien dit moins qu'aimer tout court, ce verbe qui, ironie de la grammaire est le premier que l'on apprennait à décliner quand on prenait autrefois ses premières leçons de latin, ce verbe dont je suis incertain à décider s'il désigne une action ou seulement un état ...

ce verbe, décidément, est boîte difficile à saisir.

ἀγάπη

La seule voie empruntable est celle métaphysique : ni psychologique, ni physiologique, ni historique encore moins littéraire ; à l'écart de l'éthique, surtout. Je ne veux pas offrir ici une théorie de l'amour - ce serait absurde et sans doute faudrait-il la conjuguer au pluriel - je n'en ai ni le talent ni les preuves.

Ecrire, comme nous l'avons fait, qu'aimer est acte éminemment métaphysique signifiait cela : non pas évaluer une quelconque mécanique des désits encore moins peser ses implications sociales ou politiques. Partir de ce que aimer peut avoir d'universel en ceci qu'il marque l'humanité de l'homme ou si l'on préfère la spécificité de son rapport au monde. Conche a raison de bien distinguer éthique de morale : la première est toujours conditionnée à une profession, un objectif et donc un choix. Celui-ci semblera vertueux si son comportement, les rapports qu'il entretient avec autrui sont conformes, cohérents avec l'objectif qu'il s'est assigné : bonheur, gloire, puissance, honneur. Mais les valeurs éthiques sont conditionnées à ce choix initial et il suffirait à chacun de changer d'objectif pour n'être plus lié par ses impératifs. En revanche, la morale est inconditionnée et nous avons, pour notre part, repéré qu'elle s'articulait autour de trois axes (solidarité ; réciprocité ; pesanteur et grâce). Ces valeurs, qui sont au fondement de toutes les autres, qui en conditionnent la possibilité et en représentent en quelque sorte les principes universels, évidemment on ne les choisit pas.

Y renoncer reviendrait en réalité à renoncer à sa dignité d'homme.

C'est assurément de ce côté qu'il faut chercher ce que confirme assez bien le lien si étroit que les Evangiles établissent entre l'amour et la loi :

Maître, quel est le plus grand commandement de la loi?
Jésus lui répondit: Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, et de toute ta pensée.
C'est le premier et le plus grand commandement.
Et voici le second, qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes.
(Mt, 22, 36-40)

Passage essentiel que celui-ci où le Christ s'adresse aux doctes, aux spécialistes de la Torah et les renvoie à leurs propres contradictions. Dans la droite lignée du Je ne suis pas venu pour abolir mais accomplir, le Christ ici offre la version positive du Décalogue עֲשֶׂרֶת הַדִּבְּרוֹת : on sait que sur les 10 commandements seuls trois sont affirmatifs ; les sept autres sont négatifs qui renvoient tous, en réalité à une seule - la condamnation de la violence.

Ce qui transparaît ici c'est combien aimer représente l'exact antonyme de la violence. Prescription inconditionnelle, on le sait, qui va jusqu'à l'amour de son ennemi, prescription qui implique la volonté - ce pourquoi il ne peut s'agir d'un simple sentiment - mais la totalité de l'être - coeur, âme et pensée.

On remarquera les trois termes utilisés ici par le texte grec - καρδίᾳ, ψυχῇ et διανοίᾳ - qui couvrent le physique, le psychologique et la pensée. (152) Or ce terme est d'autant plus intéressant qu'il ne désigne pas le νοῦς - la partie la plus haute de l'âme, celle qui peut contempler les Idées éternelles chez Platon par exemple, mais celle immédiatement inférieure qui procède par raisonnement, hypothèses et déductions.

L'utilisation ici de ψυχῇ plutôt que πνεῦμα, qui désigne ce qu'il y a de plus haut en l'homme, de plus proche du divin - cf l'usage qu'en fait Paul (1Cor, 15,44) conforme en ceci à l'usage qu'en fit Jean (Jn,3,8) - mais celui aussi de διανοίᾳ plutôt que νοῦς, laissent ainsi à penser que l'exhortation ne vaut pas que pour l'au-delà mais concerne, ici et maintenant, la seule manière pour l'homme d'être au monde. Aimer, revient bien ainsi à se mettre en conformité avec la Loi, dans la droite lignée du rapport que Dieu lui-même entretient avec le monde

Οὕτως γὰρ ἠγάπησεν ὁ Θεὸς τὸν κόσμον, ὥστε τὸν Υἱὸν τὸν μονογενῆ ἔδωκεν, ἵνα πᾶς ὁ πιστεύων εἰς αὐτὸν μὴ ἀπόληται ἀλλ’ ἔχῃ ζωὴν αἰώνιον
Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. (Jn,3,16)

Ici comme dans le texte de Matthieu c'est le même verbe aimer qui est utilisé - αγαπαω - autre façon de dire que c'est bien en imitant Dieu - à son image - que l'homme peut réaliser son être propre.

Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas la charité, je suis un airain qui résonne, ou une cymbale qui retentit.
Et quand j'aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j'aurais même toute la foi jusqu'à transporter des montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien.
Et quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais même mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien.
(1,Cor, 13,1)

Mais qu'on ne s'y trompe pas : où la traduction Segond dit charité, le texte grec écrit bien ἀγάπη ! Autre façon d'écrire que ce qui donne épaisseur à l'être, ce qui le réalise ou l'accomplit, ce qui, à rebours de l'oubli de l'être d'un Heidegger se révèle être le chemin par excellence se joue ici, comme le pendant moral inconditionnel de toute métaphysique.

C'est bien d'un acte dont il s'agit qui impose effort, de prendre sur soi, d'aller précisément où l'on n'incline pas spontanément. Le proche - Ἀγαπήσεις τὸν πλησίον - ce n'est pas seulement le proche, le voisin, c'est celui qui s'approche, que l'on reconnaît comme un autre, mais un autre soi-même quand bien ce serait un ennemi. Voici le lien - et il s'inverse : l'autre n'est plus l'étranger que l'on met à l'écart, avec qui l'on commerce mais avec d'infinies prudence pour la part de souillure dont il est menace, n'est plus même le voisin que l'on ne considère que pour la part de proximité que l'on a avec lui, et dans la mesure exacte de cette proximité, non, l'autre c'est toujours déjà le même, pour ce qu'il est humain ; celui qui par définition est proche et mérite attention, soin et relation.

C'est ce lien , noué avec l'autre qu'il importe de penser parce qu'il détermine d'un même tenant l'espace même de ce σεαυτόν qui fait l'originalité de la voie.

 

(suite)

 


146 ) D. Goleman, L’Intelligence émotionnelle: Comment transformer ses émotions en intelligence, R. Laffont, Paris, 1997.

147) voir ITV Barthes

148) même si incontestablement la référence à Spinoza s'impose d'elle-même qui fit du désir l'essence de l'homme.

149) Conche, Métaphysique, p 150

Qu'à cela ne tienne : la voie certaine vers Dieu n'en existe pas moins. Dans un certain endroit de la Corrèze, on parle de la route du moulin. Il n'y a plus de moulin depuis longtemps. La route du moulin n'en est pas moins toujours là. Il n'y a peut-être pas de Dieu, mais la voie pour aller "vers Dieu" n'en est pas moins définie avec exactitude. Qu'enseigne Jésus Christ ? L'amour. Quel amour ? Un amour dufférent de l'amour naturel, lequel s'éprouve mais ne se commande ni ne se conseille.

150) Freud Métapsychologie

Si, en nous plaçant d'un point de vue biologique, nous considérons maintenant la vie psychique, le concept de « pulsion » nous apparaît comme un concept-limite entre le psychique et le somatique, comme le représentant psychique des excitations, issues de l'intérieur du corps et parvenant au psychisme, comme une mesure de l'exigence de travail qui est imposée au psychique en conséquence de sa liaison au corporel.

151) Tite Live Histoire romaine, I

La dernière guerre fut celle des Sabins ; ce fut aussi la plus sérieuse : car ce peuple agit sans précipitation ni colère ; ses menaces ne précédèrent point l’agression ; (6) mais sa prudence ne rejeta point les conseils de la ruse. Spurius Tarpéius commandait dans la citadelle de Rome. Sa fille, gagnée par l’or de Tatius, promet de livrer la citadelle aux Sabins. Elle en était sortie par hasard, allant puiser de l’eau pour les sacrifices. (7) À peine introduits, les Sabins l’écrasent sous leurs armes, et la tuent, soit pour faire croire que la force seule les avait rendus maîtres de ce poste, soit pour prouver que nul n’est tenu à la fidélité envers un traître. (8) On ajoute que les Sabins, qui portaient au bras gauche des bracelets d’or d’un poids considérable et des anneaux enrichis de pierres précieuses, étaient convenus de donner, pour prix de la trahison, les objets qu’ils avaient à la main gauche. De là, ces boucliers qui, au lieu d’anneaux d’or, payèrent la jeune fille, et qui l’ensevelirent sous leur masse. (9) Selon d’autres, en demandant aux Sabins les ornements de leurs mains gauches, Tarpéia entendait effectivement parler de leurs armes ; mais les Sabins, soupçonnant un piège, l’écrasèrent sous le prix même de sa trahison.

152 )

Διδάσκαλε, ποία ἐντολὴ μεγάλη ἐν τῷ νόμῳ; Maître, quel est le plus grand commandement de la loi ? 36 37 ὁ δὲ Ἰησοῦς (N Ἰησοῦς → –) ἔφη αὐτῷ, Ἀγαπήσεις κύριον τὸν θεόν σου, ἐν ὅλῃ καρδίᾳ (N καρδίᾳ → τῇ καρδίᾳ) σου, καὶ ἐν ὅλῃ ψυχῇ (N ψυχῇ → τῇ ψυχῇ) σου, καὶ ἐν ὅλῃ τῇ διανοίᾳ σου. Jésus lui répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. 37 38 Αὕτη ἐστὶν πρώτη (N πρώτη καὶ μεγάλη → ἡ μεγάλη καὶ πρώτη) καὶ μεγάλη ἐντολή. C'est le premier et le plus grand commandement. 38 39 Δευτέρα δὲ ὁμοία αὐτῇ, (Β αὐτῇ → αὕτη) Ἀγαπήσεις τὸν πλησίον σου ὡς σεαυτόν. Et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. 39 40 Ἐν ταύταις ταῖς δυσὶν ἐντολαῖς ὅλος ὁ νόμος καὶ (N καὶ → κρέμαται καὶ) οἱ προφῆται κρέμανται. (N κρέμανται → –)

Or si coeur en grec désigne outre l'organe le siège des passions et des facultés de l'âme, ψυχῇ - d'où nous avons tiré psychique, psychologique et en général tout ce qui permet de distinguer les phénomènes non somatiques - comporte, au même titre que pneuma la notion de souffle et donc de vie et désigne à la fois le principe même de la vie, le siège de l'intelligence, mais aussi des passions et des sentiments, διανοίᾳ en revanche, ne serait ce que par son préfixe désigne la pensée, l'intelligence, le projet, mais aussi la pensée transmise par les mots.