μεταφυσικά
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Créer

Il n'est sans doute pas d'acte plus étrange et en même temps plus ordinaire que celui de la création de renvoyer à la fois à l'origine du monde telle que le perçoit en tout cas le créationnisme des religions révélées mais en même temps au geste le plus élémentaire de l'artisan qui d'un tournemain façonne, transforme et fait d'une matière brute, en quelque sorte informe, un ustensile, un objet prêt à l'usage et donc prompt à servir une finalité consciente ; mais enfin à cet art - au sens esthétique cette fois - de qui d'une tache d'encre ou de peinture fait une oeuvre riche d'émotions, de sensations, de représentation. C'est bien du même mot dont on fait usage même si, à l'évidence, entre celui qui crée à partir de rien et celui qui transforme il y a ce fossé immense qui sépare le registre du divin et de l'humain.

Qu'il s'agisse d'un acte métaphysique relève de l'évidence tant il s'agit ici d'être qui éclôt mais c'est trop peu dire. Que l'on soit ici au coeur de la question métaphysique est vraisemblable : le sens que l'on conférera à la création dira celui que nous accorderons à l'être et déterminera sans aucun doute un rapport au monde.

Comment ne pas voir, même si c'était ici prendre les choses de très haut, qu'entre l'enfant qui naît et va croître d'une part, et l'objet même habilement façonné par l'artisan, il est une différence de taille : l'un est vivant ; l'autre non ! Comment ne pas observer que si les femmes savent donner la vie, les hommes quant à eux ne peuvent donner que la mort ? Quelque sophistiquée que soit son oeuvre, elle se dégradera - toujours. Quelque parfaite qu'elle se puisse envisager, elle ne sera jamais plus, concrètement, que ce que son auteur en avait conçu - mais le plus souvent beaucoup moins ; c'est en tout cas dans cet interstice entre le projet et le réel que l'on mesurera la qualité ou la perfection de l'objet. Quelque prodigieuse qu'elle puisse paraître pour manifester ce qu'il y a de plus spécifiquement humain - la pensée, l'intention et la capacité d'ajuster son action en raison de cette intention - l'oeuvre humaine ne sera jamais qu'une chose, un instrument. A l'inverse, l'enfant, parce que vivant, échappe toujours à la représentation qu'on s'en fait, aux désirs et projets qu'on aurait nourris pour lui : il sera toujours plus et autre que l'idée qui l'aura précédé. Sans doute faut-il prendre au sérieux le préfixe ex qui compose éducation. Il n'est sans doute de vie que par cet échappatoire-ci, que par cette fuite. Et quand bien même la mort demeure l'issue inéluctable de tout vivant, parce que vivant et pour autant qu'il le soit, l'enfant se construit d'abord quand l'objet, lui, toujours commence de s'abîmer sitôt façonné.

Il m'est arrivé de penser que peut-être jamais les hommes ne pardonneront aux femmes de ne savoir donner que la mort quand elles savent donner la vie et que réside, ici peut-être, le secret de cette misogynie souvent explicite mais en tout cas au moins latente qui grève notre culture. En mesurer les ultimes conséquences c'est ne pas oublier que toutes nos représentations idéologiques et philosophiques sont de ce point de vue exclusivement masculines. Faut-il repenser la métaphysique en intégrant le genre ? le peut-on d'ailleurs ? Sans en être certain, je demeure néanmoins convaincu que si notre pensée est effectivement amputée d'une moitié d'humain ce serait pourtant une erreur symétrique que de ne la fonder qu'à partir du féminin : c'est ensemble qu'il faut les approcher. Que le féminin prédispose d'un autre rapport au monde est vraisemblable ; que ce fut jusqu'à présent l'élément viril qui prédomina dans nos représentations - il suffit de se souvenir que vertu en latin vient de vir, l'homme pour le deviner - est incontestable ; pour autant je reste frappé de l'inanité de telles propositions. On n'a rien dit en affirmant cela : tout juste ouvre-t-on un champ de recherche. Sitôt affirmé que les femmes entretiennent un rapport différent à l'autre, au monde, on demeure stupéfait par l'incapacité à définir cette différence. Une réalité, sans doute ; un slogan, assurément ! Notre langage se prête-t-il d'ailleurs à exprimer cette différence lui qui vogue d'abstraction en abstraction c'est-à-dire précisément sur l'arasement de toute spécificité. Mais pouvons-nous oublier notre incroyable incapacité à transmettre nos sensations ou émotions ? La raison ne nous offre que le choix de considérer ces différences soit comme des attributs essentiels soit comme des attributs accidentels : ce n'est rien de dire qu'elle choisit dans l'histoire de plutôt considérer que ce fût ici considération accessoire dont on pût faire l'économie - abstraction - ne réalisant pas toujours que ceci revenait à faire prévaloir le point de vue masculin et donc à ranger celui féminin au rang de considérations accidentelles ne modifiant en rien l'essence humaine. Etait-ce pourtant aussi sûr ?

De toutes les activités humaines, il en est deux en tout cas qui semblent s'approcher au mieux de cette création - au sens de donation de vie - et qui sont le fait de l'homme : l'art et le vin. Le vin est de ces précieux produits de l'activité qui, au contraire de tout le reste, se bonifie avec l'âge - il est vivant entend-on parfois dire - et je ne m'étonne pas alors qu'il soit le truchement habituel dans nos rites de la relation avec le divin. L'oeuvre d'art, quant à elle, mais ce semble plus évident à première approche, est bien un objet qui, parce qu'il n'existe que dans le regard et l'interprétation que le récipiendaire s'en fait, est recréé chaque fois qu'il est vu, lu ou entendu suscitant d'avec l'auteur un véritable dialogue où la vérité a moins sa place que l'authenticité du regard.

C'est donc bien à travers eux que l'on peut tenter d'approcher la création.

Créer c'est faire

Quand nous cherchons à nous représenter l'acte de création, à l'instar des grecs, nous ne cessons de le faire avec les schémas à notre disposition qui demeurent toujours ceux de l'artisan, avec l'image de cette main qui façonne et pétrit et qui soudain, d'une matière informe, de ce quelque chose qui existe sans vraiment exister, qui est peut-être un objet au sens où il se tient là devant moi (ob-jectus) mais qui n'a pas de sens pour moi avant que je ne lui en donne un. Créer c'est transformer un en soi en pour moi. C'est s'approprier ; y poser sa marque. Tout simplement. C'est bien après tout ainsi que la Genèse raconte elle-même la création : même si la notion du ex nihilo viendra en compliquer la compréhension, le récit, puisque c'en est un, narre bien une transfiguration : d'un désordre originel, d'un magma informe, par distinctions successives - notamment de l'ombre et de la lumière - Dieu crée le monde. Au même titre que, plus tard, ce sera à partir de la glaise qu'il formera l'homme ; puis de l'homme, la femme. C'est bien à partir de lui - et non en réalité de rien - que se fait la création au même titre que l'homme fut créé à son image. On n'est pas très loin non plus de l'image que nous pouvons nous former de la création artistique où ce restera toujours à partir de l'intention de l'auteur, de son émotion, de sa représentation du monde que s'élaborera l'oeuvre.

Au départ de toute oeuvre, quelqu'un ... et son intention, vision, émotion, projet ou calcul.

Je fais ici le pari, à nouveau, d'une croisée : que l'on peut faire tenir ensemble le travail de l'artisan, la procréation, le geste incertain du peintre et la parole originelle : l'un dans la langue populaire, l'autre dans la langue savante, en jouant simultanément du registre technicien, théologique théorétique et esthétique. C'est que, nous l'avions suggéré, si la langue renvoie invariablement à des représentations abstraites et non pas aux choses comme le crut Platon, en revanche, y résonne encore l'ultime écho de la geste populaire. Y regarder de près ne coûte rien et se révèle au contraire riche d'enseignements.

On le sait, Platon dans le Timée (134) utilise le terme δημιουργος - le démiurge- pour désigner un dieu organisateur, architecte : or le démiurge c'est d'abord celui qui travaille pour le peuple, l'artisan par exemple, par extension celui qui créé mais c'est aussi le premier magistrat des États doriens. Le le terme est composé de δημιος et de εργον - ce qui relève du peuple mais aussi le travail - de cet étonnant terme d'où nous tirons aussi énergie. Idée passionnante, tellement évidente si l'on y songe mais que l'on oublie rapidement : il n'est pas de création qui n'ait un destinataire - où toute démiurgie rejoint les principes élémentaires de la communication. Il faudra ainsi s'interroger non seulement sur le sujet de la création, son objet, son destinataire dans les différents registres que nous avons repérés (technique, artistique, théologique) et y repérer les éventuelles congruences.

En face, le grec utilise ποιεω : faire en général , confectionner fabriquer mais aussi faire naître donc également engendrer et de façon plus abstraite encore causer engendrer avoir pour effet de ... De ce terme, poésie et l'on sait la distinction qu'Aristote fera entre praxis et poiesis cette dernière étant une production en vue d'une fin extérieure à soi, la première contenant en elle sa propre finalité mais aussi pouvoir.

Consciemment ou non, l’idée que l’homme se fait de son pouvoir poétique répond à l’idée qu’il se fait de la création du monde et à la solution qu’il donne au problème de l’origine radicale des choses. Si la notion de création est équivoque, ontologique et esthétique, elle ne l’est ni par hasard, ni par confusion. Dès que l’homme se met à trouver le monde excentrique, hors des gonds, ou inquiétant, dès qu’il se demande : «Comment ces choses sont-elles possibles ? », dès qu’il confronte ce qu’il lui est donné de percevoir à ce qu’il pourrait lui-même concevoir, c’est-à-dire enfanter, il donne naissance simultanément à deux problèmes, celui de la création et celui de ses créations.
G Canguilhem (135)

Le parallèle dressé d'entre l'acte divin, l'acte esthétique et la procréation est tout sauf hasardeux - sans doute est-il d'ailleurs parfaitement conscient puisqu'il participe de la propension naturelle de notre esprit à rabattre l'inconnu sur le déjà connu et fait voir ce que la langue a de terriblement charnel. Mais s'il permet, au moins par approximation, d'approcher l'acte créatif - après tout les conclusions d'un raisonnement analogique ne valent-elles pas seulement ce que pèse l'analogie initiale - ou qu'il permette assez bien de faire la distinction d'entre l'acte technique et l'acte esthétique dès lors qu'on les envisage du côté de la fin selon que l'un fût à soi-même son propre but tandis que l'autre eût une finalité extérieure, il ne permet en tout cas pas bien de comprendre la mécanique de cette création.

C'est bien en tout cas la première ressemblance d'entre ces deux créations : si l'Eglise argue assez aisément des mystères divins dès lors qu'elle cesse d'avoir réponse - les voies de Dieu sont impénétrables (136) - le philosophe reste lui aussi presque autant démuni quand il s'agit de donner un contenu au concept de génie qu'il aura soigneusement distingué préalablement de la technique. Ce qui fait le génie, ce qui justifie qu'au contraire de tous les autres domaines de la production, en art, le savoir ne débouche pas nécessairement sur un savoir-faire demeure aussi indécis : la boutade hugolienne - 95% de transpiration ; 5% d'inspiration - souligne assez crûment le problème mais ne le résout absolument pas. Le terme lui-même rappelle opportunément l'origine religieuse de cette aptitude : le génie n'était-il pas pour les romains ce dieu propre à chacun, sorte d'ange gardien présidant à sa destinée et disparaissant avec lui ; ce que confirme d'ailleurs l'autre expression consacrée - avoir un don - et donc une aptitude offerte par une puissance tutélaire et supérieure. N'oublions pas à cet égard le démon évoqué par Socrate qui lui intimait de s'écarter chaque fois que possible des affaires publiques et politiques ! Ange ou démon(137) ? en tout cas puissance intermédiaire, protectrice ou pas, dont la dimension métaphysique ou au moins magique est incontestable.

Mais le plus embarrassant réside plutôt dans la mécanique même de la création : prendre le modèle de l'artisan c'est bien après tout suggérer qu'avant de façonner son objet, ce dernier en eût conçu préalablement l'idée et s'en fût formé un plan. C'est à la fois ce qu'indique la théorie de la causalité d'Aristote ou Marx dans ce passage célèbre où il compare l'activité de l'abeille et de l'architecte (138) : ce qui veut certes dire que la forme précède la matière, qu'être en acte équivaut à être mis en forme ce qui est encore à peu près compatible avec l'idée d'une création originaire ; mais qui implique aussi qu'avant même la création il y eût un plan.

C'est cet avant qui pose double problème.

- tout l'idéalisme platonicien porté par le mythe de la caverne et traversé par le modèle démiurgique du Timée suggère effectivement une création qui fût seulement mise en forme d'une matière informe par application - en réalité imitation - d'un modèle préalable : la représentation chrétienne en porte la trace qui situe ce plan dans l'entendement divin ; le texte de la Genèse en insistant sur une création d'Adam faite à l'image de Dieu ne dit pas autre chose. Mais du coup, le ex nihilo de la création risque fort de ne rien signifier d'autre que à partir de rien d'autre que de dieu lui-même. Ce qui impliquerait en même temps que, puisqu'il ne peut y avoir un quelconque avant, s'agissant de Dieu, que l'idée de création soit consubstantielle de celle de Dieu, autre façon de dire que Dieu n'eût pas pu ne pas créer contrevenant ainsi à sa toute-puissance. Autre façon de dire que dieu n'eût de sens que face à quelque chose qui ne fût pas divin, bref que dieu eût besoin de la création : ce que suggère notamment Wiesel dans un texte déjà cité.

- l'idée qu'ainsi à ce qui existe et a été créé, précède une idée, une essence semble évidemment totalement incompatible avec celle de la liberté humaine : si l'homme n'avait effectivement qu'à réaliser une nature pré-définie, sa marge de manoeuvre serait évidemment nulle. C'est ce que pose Sartre qui pose combien la liberté humaine n'est possible qu'à condition que l'homme loin d'être grevé par un quelconque modèle préalable soit condamné à s'inventer lui-même ; où l'absurdité de l'être est présentée ainsi comme une véritable opportunité. Il a vu combien l'approche démiurgique de la création était de type artisanal

Qui crée ...

On connaît l'opposition faite par Pascal d'entre le dieu des philosophes et des savants et celui d'Abraham, Isaac et Jacob(139) : elle traduit en même temps l'incertitude à approcher le Créateur plutôt avec la raison ou avec la foi qu'à l'identité même de ce dernier. En ce XVIIe siècle qui voit la science enfin sortir des canons aristotéliciens et produire de la connaissance vérifiable et prouvable en même temps qu'une méthode rigoureuse, comment ne pas deviner qu'iraient ainsi se télescoper non seulement deux représentations opposées du Créateur, mais encore deux théories assurément très différentes de la création, mais enfin deux voies opposées pour nourrir sa relation avec le créateur. Pour un homme comme Pascal autant épris de raison et de mathématique qu'effrayé par l'exclusive qu'elle pourrait prendre dans nos existences, cette opposition est fondatrice. A côté d'un dieu horloger ou architecte, ou d'un dieu calculateur comme l'aimait à concevoir Leibniz, un dieu plus traditionnel, mû par la promesse à tenir, la miséricorde à accomplir, l'amour à maintenir ... Que le risque de l'anthropomorphisme pointe au détour est indéniable et Spinoza d'une part, dans sa théorie du fétichisme clôturant le livre I de son Éthique, Voltaire d'autre part avec son ironique saillie - Dieu a fait l'homme a son image ; l'homme le lui a bien rendu - en auront assez dessiné et la forme et le danger que théoriseront assez bien plus tard tant Feuerbach que Marx.

Cette interrogation se retrouve en réalité dès les commentaires de Rachi sur les premiers versets de la Genèse, qui rappelle opportunément que le créateur est nommé ici Hachem-Elohim(140), faisant ainsi se jouxter dans l'acte créateur à la fois l'attribut de la justice et de la miséricorde. On se souvient de la même manière que Descartes, lui-même, s'interrogeant sur ce qui en Dieu avait motivé la création, de sa bonté ou de sa toute-puissance, avait fini par en conclure que c'était la toute puissance, puisque l'éventualité de la bonté eût contredit la toute puissance.

Où l'on retrouve cette distinction que nous avions repérée ci-dessus d'entre la dimension transmetteur et juge en la personne du Messie : Rachi note à juste titre que le créateur est nommé sous la double dénomination et ce ne saurait être un hasard : derrière la miséricorde, il y a à la fois la toute-puissance de celui qui pose hors de lui de l'être et la grâce de qui le fait gratuitement, hors de toute contrainte, hors de toute attente d'un quelconque retour.

La question à la fois de l'identité du créateur et des motivations qui l'animent n'est donc pas anodine et répercute toute une série de considérations métaphysiques. Il en va, assurément, de même, lorsqu'il s'agit de la pratique humaine où la distinction d'entre l'action humaine d'entre la production (ποίησις) qui a une fin extérieure à soi et l'action qui est à soi-même sa propre fin va prendre toute sa valeur. La création qui est l'acte pur, l'acte par excellence n'a ainsi pas d'autre fin que lui-même. Mais par quel bout prendre l'analogie ? L'aborder par l'artiste ? mais n'est-ce pas risquer de rabattre le divin créateur sur la créature et risquer de ne pas parvenir à mesurer ce qu'il y aurait de spécifique dans cette fondation du monde ? L'aborder par Dieu ? mais n'est-ce pas alors risquer à chaque détour du raisonnement de ne pouvoir qu'en appeler aux mystères divins ?

Essayons néanmoins !

Par le bas d'abord :

- l'artiste ne s'épuise pas dans son oeuvre

- l'artiste est extérieur à son oeuvre

- l'oeuvre ne s'épuise pas dans l'être de l'artiste

- l'oeuvre est une fin en soi

- c'est la motivation qui fait l'oeuvre : même si elle est difficilement saisissable et qu'elle ressortissent vraisemblablement d'un irrépressible besoin d'exprimer un regard, une représentation du monde, ce qu'il en reste c'est l'universalité de l'intention qui ne vise aucune utilité et suppose que son propre regard dépasse l'individu vise l'universalité de l'humain.

 

Autour de la création artistique

A moins de sombrer dans la provocation sordide et l'innocence contrefaite d'un Céline déclarant ne s'être mis à littérature que pour payer son terme, sans nier par ailleurs que la reconnaissance de l'artiste puisse à l'occasion lui assurer quelque position sociale enviable, il y a tout lieu de considérer que le choix de l'oeuvre esthétique par un individu relève plutôt de la vocation - est-ce un hasard que l'on invoque ici un terme d'origine religieuse ? - plutôt que d'un choix de carrière mûrement réfléchi. Le statut longtemps ancillaire de l'artiste, quand il ne fut pas celui d'un simple paria permet de le comprendre aisément. Quand à la fin des Lumières un Beaumarchais ou bien encore un Mozart inventent l'indépendance de l'artiste, ce sera au tel prix de la misère et de la marginalité qu'ici encore la motivation matérielle et financière paraît peu vraisemblable. (141) Rejeté du sein de l'Eglise, le balladin, trouvère ou troubadour n'aura finalement conquis sa place qu'aux limites de l'acceptable bourgeois comme si résonnait encore l'invective platonicienne cherchant à chasser les poètes de la Cité.

Ce qui me fait penser être métaphysique la création esthétique, mais aussi morale au sens de l'impératif kantien, mais encore noble au sens de la praxis grecque - πρᾶξις - c'est d'être une pratique tout entière orientée vers le bien - et non pas l'utile - d'être à soi sa propre fin visant finalement l'homme dans la réalisation de soi. Je ne sais si l'artiste a pleinement conscience des motivations qui l'animent, je devine simplement que, pour lui, il n'est pas d'autre voie ni voix possibles et que cette démarche emporte toutes les autres. C'est une autre question que celle de savoir comment il crée et la place de l'imagination dans son travail - ceci relève plutôt d'une théorie de l'Esthétique - c'en est une ici centrale, que de saisir ce qui de générosité mais aussi de renoncement se joue dans l'acte créatif.

- générosité, d'abord. Sans sombrer pour autant dans l'angélisme naïf, constater ainsi, à l'instar du philosophe qui sacrifie tout à la recherche de la vérité (Conche) combien l'artiste vouant son existence entière à son oeuvre n'en attend rien sinon l'espérance d'offrir une représentation du monde qui complète ce que nulle théorie scientifique n'est capable d'offrir : un monde habitable (142) . On ne dira jamais assez à la fois les limites de la raison incapable - on le sait depuis toujours, on le peut démontrer depuis Kant - non seulement de dire la chose en soi, mais même de la dire entièrement pour nous, oublieuse qu'elle se doit d'être de ce monde des qualités qui fait l'opacité mais aussi le prix des choses. Les sciences nous disent peut-être, avec force preuves et arguments, certes, le monde tel qu'il nous apparaît mais jamais notre place dans ce monde. Le rôle assurément de la philosophie comme des arts, chacun dans son registre respectif, n'est pas ailleurs : dira-t-on jamais assez l'importance de la représentation et de l'imaginaire dans notre être-au-monde, dira-t-on jamais assez combien, en dépit des injonctions sociales et de l'éducation reçue, ni la conquête d'une position sociale à travers un métier appris, ni la quête désormais présentée comme une évidence jamais remise en question d'une certaine aisance à travers la consommation et donc la possession d'argent, ni enfin la soumission désormais irréfragable à la logique de l'utilitaire ne sauraient camoufler cette autre évidence que le prix que nous accordons aux choses, les loisirs auxquels nous nous adonnons relèvent toujours de l'imaginaire ? Comme si ce dernier, au travers de la musique, du récit, était seul à pouvoir nous reposer de l'utilitaire auquel par ailleurs nous nous contraignons avant tant de complaisance, ou que le plaisir d'être relevât précisément de ce qui est inutile - au sens tout au moins de ce qui est à soi sa propre fin. Que nous ne supporterions pas le réel tel que nous le construisons, si, sporadiquement au moins, il n'était déchiré par le principe de plaisir. L'utilité n'est au fond que la concession trop rapide et souvent paresseuse que nous faisons à l'existence.
Être, c'est être au monde - ce qu'ailleurs l'on nomme Da-Sein - dans cette position paradoxale qu'impose la conscience de s'y sentir à la fois partie prenante et irrémédiablement étranger, dans cette posture inconfortable où c'est le désir - tellement incommunicable - qui m'y fait me mouvoir et agir quand la raison si mal partagée m'y condamne à l'impuissance, au pire ; à la contemplation, au mieux. Quelle qu'en soit l'approche, et même en en assumant les connotations parfois sulfureuses politiquement d'un Heidegger, c'est assurément du côté sinon de l'enracinement, sinon de la terre, au moins de l'appartenance que se joue le déploiement de notre existence. Naître, selon l'heureuse expression du langage commun c'est venir au monde ; cette venue qui est avènement - au sens de ce qui ad-vient - évoque parfaitement ce mouvement complexe qui d'un même tenant m'appelle au monde et m'en écarte incontinent au même titre que cette étonnante éducation qui pour signifier l'entrée au monde dit d'abord la sortie. Être au monde, justement, ce n'est pas le comprendre rationnellement - ce qui m'en écarterait plutôt - mais plutôt l'enrichir de désirs, d'émotions et de représentations qui lui offrent suffisamment de densité pour devenir objet. Ce lien de l'homme au monde est offert par l'esthétique - αίσθησιs- de la sensation jusqu'aux Beaux-Arts.
Pour autant qu'il ne soit d'humanité que par ce lien entretenu d'avec le monde, alors oui, on peut parler de générosité parce que ce sera bien de ce côté-ci que l'opportunité en sera offerte. La générosité a à voir avec la genèse, l'engendrement, la race : pour le latin elle réside dans les qualités d'une bonne extraction, dans les vertus de la souche d'où l'on est issu. Cet engendrement tient au lien offert, à l'occasion ouverte de pouvoir habiter le monde. La création réside dans ce lien ; la générosité dans l'entretien de cette liaison.

- renoncement, ensuite : les figures d'artistes maudits où le romantisme se complut à l'occasion qui révèlent en tout cas la convenance presque impossible d'entre l'oeuvre et les canons de la vie bourgeoise, la séduction indéniable de ces comètes aux apparitions aussi fulgurantes que ne le seront légendaires leurs éclipses (Rimbaud, Lautréamont), le mythe de ces penseurs tellement transgressifs qu'ils eussent risqué la folie d'avoir voulu regarder la vérité en face (Nietzsche, Hölderlin) ou celle de ce personnage de Th Mann (Gustav von Aschenbach dans Mort à Venise) fasciné jusqu'à en mourir par la beauté androgyne qui subitement met en question toute son oeuvre passée, celle de Bergotte qu'un petit pan de mur jaune fascine à en mourir lui aussi ; celle encore du poète de Borgès que l'approche de la Beauté pousse au suicide et son roi à la mendicité, oui, toutes ces figures qui sont autant d'archétypes que de légendes dessinent un parcours où renoncement, sacrifice, abnégation ont la part belle - trop sans doute qui confine parfois au martyr prompt à porter en son corps ou son esprit le prix de la transgression ultime. Il y a pourtant chez l'artiste, comme chez le scientifique, la même nécessité de se mettre à l'écart de toute logique utilitaire - et donc mondaine. Bachelard a bien montré, notamment à partir de l'exemple d'Ampère, combien l'esprit scientifique ne peut avancer qu'à condition de substituer la question qu'est-ce que c'est à celle du à quoi ça sert ? L'artiste quant à lui, ne cesse d'être artisan qu'au moment où le savoir-faire cédant le pas devant l'inspiration, la production d'un ustensile à celle de l'oeuvre, il quête l'expression plutôt que l'usage ou comme l'écrira Platon de se confier aux Muses - médiatrices entre les dieux et le poète. Tout, dans le langage qui concerne les Arts et les artistes transpire le religieux sinon le sacré : inspiration ; vocation .... Tout laisse à voir que l'artiste occupe une place à part dans le monde, lui-même intermédiaire - et c'est d'ailleurs bien ainsi qu'il l'entend lui-même. Il y a du moine chez cet homme-là, incontestablement ; du sacerdoce. Et même si ce fut long à accomplir - la période médiévale tarda à le distinguer de l'artisan et l'enrôla dans des guildes ; les arts libéraux distinguèrent mal arts sciences et techniques - ... un homme libre.

autour de la procréation

Ce sont, au fond, ces mêmes deux caractéristiques que l'on pourrait relever à propos de l'enfantement. Le grand mérite à ce titre de la contraception aura été, en distinguant l'acte sexuel de l'acte reproducteur, de mettre en évidence à la fois combien l'enfantement est affaire de choix - dès lors difficile parce que tout sauf rationnel - et d'impulsion. On aura beau dire que nous drainons des modèles culturels et sociaux - ce qui est exact - ou arguer au contraire d'un quelconque instinct maternel qui contraindrait les femmes à satisfaire un irrésistible besoin - ce qui l'est beaucoup moins - de toutes manières socialisation ou naturalisation n'épuisent pas ce qui se joue ici.

Nulle arithmétique des plaisirs et des devoirs ne saurait expliquer l'engrenage d'engagements et de dons que suppose l'enfantement : tout juste peut-on dire qu'il est nécessaire ouverture à autre chose que soi et ressemble furieusement à la grâce pour ce qu'il n'appelle nulle contrepartie et tisse un lien dans le temps comme dans l'espace. On l'a suggéré déjà, conduire l'enfant au-dehors de ce giron protecteur, l'insérer dans le temps et lui apprendre à être un individu inscrit l'enfantement dans la fuite, dans ce qui sauve.

C'est une autre question que celle soulevée depuis une trentaine d'années au sujet de l'instinct maternel - notamment par E Badinter (143) ; qui rejoint d'ailleurs celle d'une hypothétique nature féminine. Qu'il y ait une spécificité dans l'être-féminin-au-monde est possible, mérite d'être interrogé mais ne contredira pas le fait que féminité et masculinité sont des constructions sociales, psychologiques autant que biologiques et individuelles ; que sans aucun doute enfanter prenne une tout autre signification pour la femme que pour l'homme est vraisemblable même si doivent bien s'y conjuguer les mêmes canons culturels. Ne pas avoir d'enfant vous a longtemps éloigné de la synagogue de même que rester vieille fille devait bien cacher quelque lourd secret - Mauriac l'a assez joliment illustré !

Mais, en deçà, à l'endroit même où se pose la question de l'être ?

- un processus ou très exactement la production incessante du processus. L'organisme vivant c'est cela d'abord : une organisation qui produit, localement, certes, provisoirement, bien entendu, mais quand même de la néguentropie. A ce point exception dans l'ordre du réel que d'aucuns en voulurent faire, dans un dualisme nouvellement entendu, le vis-à-vis de la matière quand elle n'en est sans doute qu'un degré, sans doute sophistiqué, de complexité, la vie, quoique promise néanmoins à une fin fatale, n'en est pas moins lutte continue, à la fois préservation et adaptation continue, à la fois réactive et prospective, en mouvement mais proprio motu. Où les grecs voyaient le plus grand des désastres et nous désormais le bien le plus précieux - on mesure aussi par là l'écart vertigineux qui nous sépare désormais de nos sources antiques - il faut considérer l'invention continuée

- une production de la différence, ce pourquoi on préfère souvent procréation à reproduction. Si la chose est connue elle est pourtant loin d'être anodine : à tous les niveaux, être relève pour l'homme d'un processus d'individuation. A part, différent, contraint pour cette raison à la fois de se construire en son intimité et de régler ses relations avec son environnement, enraciné peut-être dans un giron initial mais très vite condamné à s'en extraire. Être c'est d'abord être expulsé ! En même temps nié qu'affirmé ! Au même titre que l'oeuvre cesse d'être tout à fait celle de l'artiste pour devenir aussi celle du public, de la même manière nourrir, éduquer revient paradoxalement à le délaisser, le laisser partir.

- une production de liberté. Créer c'est ici aussi inventer de l'autonomie ; c'est laisser être. Au sens précis que Sartre lui donnait, s'il est bien un être pour qui l'existence précède l'essence, c'est bien l'enfant. En dépit du possessif par lequel on le désigne souvent, nul en réalité ne possède l'enfant ; nul non plus ne s'en peut réellement déclarer auteur. Car ce qui l'augmente, c'est son existence elle-même, les relations qu'il se met à entretenir avec le monde et les autres. Engendrer, finalement, c'est introduire au monde ; c'est être passeur- ce qui est déjà beaucoup. L'enfant demeure invariablement une page blanche à écrire dont ses géniteurs auront seulement préparé l'entame : s'il se laissait définir il serait raté d'être ainsi réifié. C'est bien ici le point commun d'entre l'oeuvre esthétique et la vie et l'on connaît le sort que Sartre lui fit à l'encontre de Mauriac (144)

 

Par le haut ensuite :

- le créateur est transcendant à son oeuvre : extérieur et supérieur à elle, il s'en distingue radicalement

- non seulement il ne s'épuise pas dans la création mais cette dernière lui demeure totalement dépendante non seulement parce qu'il pourrait la défaire mais surtout parce qu'elle inaugure une histoire, un récit, un dialogue, une alliance.

- la question des motivations ne se pose pas ou alors seulement en terme de grâce ou de miséricorde.

S'il est quelque chose qui fait ainsi se rejoindre Dieu, l'artiste et la femme c'est bien cette idée que l'acte créateur serait non pas une nécessité mais une évidence. A la fois ce qui ne va pas chercher de justification en dehors de soi mais, qui plus est, ce qui rend tout le reste visible et compréhensible.

Peut-être est-ce à partir du concept d'auteur et d'autorité qu'on le peut le mieux approcher : (145)

Dans autorité, il y a augeo - augmenter d'où l'on a tiré tout aussi bien augure, auguste qu'heur et donc malheur ou bonheur. Par l'augure, l'autorité renvoie à la destinée. Mais le terme est d'abord juridique qui désigne le garant dans une procédure - celui qui répond de ou donne son aval. (on parlera ainsi de l'autorité de la chose jugée) Dans un second temps, le terme signifie référence et désigne donc - homme ou chose - le poids, la valeur d'une parole, le charisme d'un commandement. Dans un troisième sens, l'auteur est le maître ou le promoteur d'une oeuvre ou d'une action.

Dans tous les cas, être auteur c'est assumer la responsabilité - répondre de - d'une parole, d'un acte ; c'est s'en déclarer à l'origine. L'auteur, c'est ce qu'il y a derrière l'oeuvre ou l'acte, ou la parole. L'auteur c'est le sujet. Sauf dans les cas individuels de décisions bien circonscrites et limitées, qui peut jamais dire qu'il est l'auteur d'un acte ? qui peut jamais prétendre être la cause pleine et entière de quoique ce soit. Qui peut prétendre qu'il n'y a pas derrière, en dessous, d'autres chaînes, inconscientes ou simplement ignorées qui vous auraient déterminé. Dire je relève toujours un peu de l'illusion ou de la forfanterie ; du mensonge ou de la forfaiture. Dire c'est moi, c'est donner un terme à l'investigation et à la recherche ; c'est offrir un début à la chaîne causale. A tout prendre il n'est jamais, nulle part, de véritable auteur pas plus que d'origine. Hormis Dieu qui peut se dire à soi-même sa propre cause ? Toute autre origine est fiction ; tout autre auteur est leurre ou mensonge. Qui parle de son propre fonds est diabolique, on l'a vu. Par voie de conséquence, toute autorité procède de Dieu, n'existe elle-même que par délégation.

Qui s'écrit c'est moi se contente donc d'interrompre la chaîne causale en donnant sa garantie : l'auteur est celui qui empêche qu'on remonte plus haut, plus loin. Il prend sur lui, s'interpose, fait comme si ! Intermédiaire ou simulateur, l'artiste joue l'ultime médiateur d'avec les dieux et les Muses. Mais il est en même temps celui qui permet tout. En littérature, il semble dominer et l'histoire et les personnages si l'interprétation qu'on fera de son oeuvre lui échappera toujours. C'est bien ce qui fascine chez l'auteur - qu'on n'appelle pas créateur pour rien - il semble dominer tout et tous qui répondent à ses volontés au doigt et à la plume. Important ou importun ; posture ou imposture, le créateur ou la génitrice ne sont déjà que des intermédiaires : ils laissent passer - ou filer - l'être, juchés qu'ils sont sur le canal d'une transmission qu'un autre a initié pour eux. Le lien fait dans nos théories entre cosmogonie et création artistique n'est donc effectivement pas anodin : il est de logique. Il dit notre impossibilité de penser l'origine radicale. Notre incapacité à en occuper la place. Créer, alors, c'est toujours déjà re-créer. Nos créations sont toujours déjà des répliques.

Nous y voici ! Créer c'est déterminer. Etre auteur c'est causer ; c'est réduire le reste à n'être que conséquence. Mais pas seulement ! Car en même temps celui qui crée, invariablement donne plus qu'il ne prend, est, finalement l'exact opposé du parasite. Toujours en arrière, au-dessus peut-être, mais toujours caché, il est celui qu'on cherche sans jamais vraiment pouvoir le trouver, car au-devant de lui s'étale ce qu'il a créé. L'auteur c'est celui qui donne sa chance à sa création, qui laisse la bride sur le cou de ses personnages. Je me suis toujours demandé par quel étrange maléfice ce beau mot d'autorité qui renvoie quand même à ce qu'il y a de plus positif dans la force et la conviction pouvait si systématiquement prendre une connotation péjorative sitôt devenu qualificatif. Autoritaire sonne si mal quand autorité appelle le respect ! Ceci doit bien dépendre un peu de cette bride que l'auteur laisse ou non à ses personnages *. Que le politique accorde ou non à ses administrés. Que la mère laisse à son enfant. Que Dieu laisse aux hommes !

C'est bien toute la différence qui se joue entre l'art et la technique mais sans doute aussi entre le politique et l'art. Il y a autorité quand elle est reconnue inconditionnellement ce qui est une autre manière pour Arendt de redire ce qu'elle a dit pour le pouvoir : elle n'existe que pour autant qu'il y ait un groupe, un peuple, un public qui lui donne corps. Et il en va de même en réalité pour la puissance, on l'a vu. Il y a autoritarisme quand l'obéissance est en quelque sorte mécanique, contrainte, inscrite pour ainsi dire dans les gènes de qui obéit. L'autoritarisme réduit l'autre à l'état de chose ; l'autorité vise à former, à augmenter, à entraîner. C'est bien ce que l'on peut comprendre par le contre-exemple pathologique du pouvoir entendu par les nazis : quand Goebbels entend la politique comme un art, il y a effectivement de quoi frémir parce que ceci signe les prémices du crime contre l'humanité.

On l'a écrit déjà, la création vue par l'aire judéo-chrétienne introduit un étonnant système de transmission, de délégation où chacun à sa place est supposé transmettre la Parole initiale, créatrice : l'incarner, la vivre et la transmettre à son tour. Du Messie aux prophètes, des anges à l'homme chacun, faute de trahir (Lucifer) ou de faire défaut (l'homme) se doit d'obéir c'est-à-dire écouter, et transmettre à son tour.

A ce titre la création est le legs de l'être.

 

Mais c'est bien plus que faire


134 )Platon, Timée, 27c29e

135) G Canguilhem, RÉFLEXIONS SUR LA CRÉATION ARTISTIQUE SELON ALAIN, Revue de métaphysique et de morale (Paris, n° 2, 1952).

cette vidéo aussi où il apparaît en compagnie de J Hyppolite, P Ricoeur, M Foucault Philosophie et vérité

136) l'expression courante - pas seulement chez les chrétiens - qui exprime souvent le désarroi devant le cours des événements et sous-entend quelque chose comme un fatalisme assez paresseux semble s'appuyer sur deux références :

- Ps, 139,33 : Que tes pensées, ô Dieu, me semblent impénétrables !

- Rm, 11,33 : O profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables, et ses voies incompréhensibles !

Remarquons néanmoins que ces soupirs interviennent toujours après la Révélation ce qui n'autorise aucun mysticisme mais au contraire suggère seulement combien ce sont les fins ultimes qui resteraient cachées ...

137) Baudelaire, Poèmes prose,1867, pp. 216-217

Puisque Socrate avait son bon démon, pourquoi n'aurais-je pas mon bon ange (...)? Il existe cette différence entre le démon de Socrate et le mien, que celui de Socrate ne se manifestait à lui que pour défendre, avertir, empêcher, et que le mien daigne conseiller, suggérer, persuader.

138)

Aristote

Marx, Le Capital, I,1

 

139) Pascal, Mémorial

+
L’an de grâce 1654.
Lundi 23 novembre, jour de saint Clément pape et martyr et autres au martyrologe.
Veille de saint Chrysogone martyr et autres.
Depuis environ dix heures et demi du soir jusques environ minuit et demi.
Feu
Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob,
non des philosophes et des savants.
Certitude, certitude, sentiment, joie, paix.
Dieu de Jésus‑Christ.
Deum meum et Deum vestrum.
Ton Dieu sera mon Dieu.
Oubli du monde et de tout hormis Dieu.
Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l’Évangile.
Grandeur de l’âme humaine.
Père juste, le monde ne t’a point connu, mais je t’ai connu.
Joie, joie, joie, pleurs de joie.
Je m’en suis séparé. ------------------------------------------------------
Dereliquerunt me fontem aquae vivae.
Mon Dieu, me quitterez‑vous -------------------------------------------
que je n’en sois pas séparé éternellement.
----------------------------------------------------------------------------------
Cette est la vie éternelle, qu’ils te connaissent seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé J.-C.
Jésus-Christ. --------------------------------------------------------
Jésus-Christ. ----------------------------------------------------
je l’ai fui, renoncé, crucifié
Je m’en suis séparé, ----------------------------------------------------
Que je n’en sois jamais séparé ! -------------------------------------
Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l’Évangile.
Renonciation totale et douce.
Etc.

140) voir

141) c'est encore le Neveu de Rameau de Diderot qui témoigne au mieux de ce nouveau statut de l'artiste en train de s'inventer à la fin du XVIIIe

142) Merleau-Ponty L'oeil et l'esprit

143 ) on trouvera ici un extrait de cette émission

144) Sartre Nouvelle Revue Française 1 Février 1939

Voulez-vous que vos personnages vivent ? Faites qu'ils soient libres. Il ne s'agit pas de définir, encore moins d'expliquer (dans un roman les meilleurs analyses psychologiques sentent la mort), mais seulement de présenter des passions et des actes imprévisibles.(...) [Mauriac] nous fait prendre ces vues extérieures pour la substance intime de ses créatures, il transforme celles-ci en choses.(...) Seules les choses sont, elles n'ont que des dehors. Les consciences ne sont pas : elle se font. Ainsi M. Mauriac, en ciselant sa Thérèse sub specie aeternitatis en fait d'abord une chose. Après qu'il rajoute, par en dessus, toute une épaisseur de conscience. (...) Il a choisi la toute-connaissance et la toute puissance divines... Dieu n'est pas un artiste ; M. Mauriac non plus

145) la question a déjà été abordée ici