Travail

L'abeille et l'architecte

Notre point de départ, c'est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l'homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ses cellules l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination du travailleur. Ce n'est pas qu'il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d'action, et auquel il doit subordonner sa volonté. Et cette subordination n'est pas momentanée. L'œuvre exige pendant toute sa durée, outre l'effort des organes qui agissent, une attention soutenue, laquelle ne peut elle-même résulter que d'une tension constante de la volonté. Elle l'exige d'autant plus que, par son objet et son mode d'exécution, le travail enchaîne moins le travailleur, qu'il se fait moins sentir à lui comme le libre jeu de ses forces corporelles et intellectuelles ; en un mot, qu'il est moins attrayant.

Le Capital, tome 1, livre 1, 3e section, chap. VII, p. 139-140, Éditions sociales, 1983.


Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l'homme et la nature1. L'homme y joue lui même vis-à-vis de la nature le rôle d'une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement afin de s'assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu'il agit par ce mouvement sur la rature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature et développe les facultés qui y sommeillent. Nous ne nous arrêterons pas à cet état primordial du travail où il n'a a pas encore dépouillé son mode purement instinctif. Notre point de départ c'est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l'homme. Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination du travailleur. Ce n'est pas qu'il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d'action et auquel il doit subordonner sa volonté. Et cette subordination n'est pas momentanée. L'œuvre exige pendant toute sa durée, outre l'effort des organes qui agissent. une attention soutenue, laquelle ne peut elle-même résulter que d'une tension constante de la volonté. Elle l'exige d'autant plus que par son objet et son mode d'exécution, le travail entraîne moins le travailleur, qu'il se fait moins sentir à lui comme le libre jeu de ses forces corporelles et intellectuelles ; en un mot, qu'il est moins attrayant.
Voici les éléments simples dans lesquels le procès de travail se décompose : 1° activité personnelle de l'homme ou travail proprement dit ; 2° objet sur lequel le travail agit ; 3° moyen par lequel il agit.

Le capital, Livre I, section III, ch. 7, Pléiade, T. I, p. 727 - 728.


Le travail, l'activité vitale, la vie productive apparaissent d'entrée à l'homme comme un simple moyen de satisfaire un besoin - le besoin de conserver son existence physique. La vie productive est la vie de l'espèce, c'est la vie créatrice de vie. Le mode d'activité vitale renferme tout le caractère d'une espèce (species), son caractère générique, au lieu que l'activité libre, consciente est le caractère générique de l'homme. La vie elle-même apparaît comme simple moyen de vivre.
L'animal fait immédiatement un avec son activité vitale. Il ne se distingue pas d'elle. Il est cette activité. L'homme fait de son activité vitale elle-même l'objet de sa volonté et de sa conscience. Il a une activité vitale consciente. Ce n'est pas une caractéristique avec laquelle il se confond immédiatement. L'activité vitale consciente distingue immédiatement l'homme de l'activité vitale de l'animal. C'est par là seulement qu'il est un être générique. Autrement dit, il est un être conscient, et sa propre vie est pour lui un objet précisément parce qu'il est un être générique. C'est seulement pour cela que son activité est activité libre. Le travail aliéné renverse ce rapport, si bien que l'homme, parce qu'il est un être conscient, fait de son activité vitale, de son essence, un simple moyen de sa subsistance.

Économie et philosophie, Ébauche d'une critique de l'économie politique, Le travail aliéné, Pléiade, T. II p. 63.