Valeur et échange

Le capital, Livre I, Section I, IV, Pléiade T. I, p. 607.

C'est seulement dans leur échange que les produits du travail acquièrent comme valeurs une existence sociale identique et uniforme, distincte de leur existence matérielle et multiforme comme objets d'utilité. Cette scission du produit du travail en objet utile et en objet de valeur s'élargit dans la pratique dès que l'échange a acquis assez d'étendue et d'importance pour que des objets utiles soient produits en vue de l'échange, de sorte que le caractère de valeur de ces objets est déjà pris en considération dans leur production même. À partir de ce moment, les travaux privés des producteurs acquièrent en fait un double caractère social. D'un côté, ils doivent être travail utile, satisfaire des besoins sociaux et s'affirmer ainsi comme parties intégrantes du travail général, d'un système de division sociale du travail qui se forme spontanément ; de l'autre côté, ils ne satisfont les besoins divers des producteurs eux-mêmes que parce que chaque espèce de travail privé utile est échangeable avec toutes les autres espèces de travail privé utile, c'est-à-dire est réputé leur égal. L'égalité de travaux qui diffèrent entièrement les uns des autres ne peut consister que dans une abstraction de leur inégalité réelle, que dans la réduction à leur caractère commun de dépense de force humaine, de travail humain en général, et c'est l'échange seul qui opère cette réduction en mettant en présence les uns des autres sur un pied d'égalité les produits des travaux les plus divers.


Critique de l'économie politique.

Pour mesurer les valeurs d'échange des marchandises au temps de travail qu'elles contiennent, il faut que les différents travaux soient eux-mêmes réduits au travail indifférencié, homogène, simple, bref au travail de même qualité et qui ne se distingue donc que par la quantité (...)
Dans la valeur d'échange, le temps de travail de chaque individu apparaît de façon immédiate comme temps de travail général, et ce caractère général du travail individuel en est comme le caractère social. Le temps de travail représenté dans la valeur d'échange est le temps de travail de l'individu, mais de l'individu non distinct de l'autre individu, de tous les autres pour autant qu'ils accomplissent un travail identique ; par conséquent le temps de travail demandé à l'un pour produire une marchandise déterminée est le temps de travail nécessaire que tout autre emploierait à produire la même marchandise.


Salaire, prix, plus-value, Pléiade, T. 1, p. 515 - 516.

Ce qui détermine la valeur d'une marchandise, c'est la quantité totale de travail qu'elle contient. Mais une partie de cette quantité de travail est réalisée dans une valeur pour laquelle un équivalent a été payé sous forme de salaire ; une autre partie a été réalisée dans une valeur pour laquelle aucun équivalent n'a été payé. Une partie du travail contenu dans la marchandise est du travail payé, l'autre est du travail non payé. Il s'ensuit qu'en vendant sa marchandise à sa valeur, c'est-à-dire en tant que cristallisation de la quantité totale de travail qui lui a été consacrée, le capitaliste doit nécessairement la vendre avec profit. Il vend non seulement ce qui lui a coûté un équivalent, mais aussi ce qui ne lui a rien coûté du tout, encore qu'il en ait coûté du travail à son ouvrier. Ce qu'une marchandise coûte au capitaliste, ce qu'elle coûte en réalité, ce sont là deux choses différentes. Je répète donc que les profits normaux et moyens se font en vendant les marchandises non point au-dessus de leur valeur, mais bien à leur valeur réelle.


Travail salarié et capital, Pléiade, T. 1, p. 204 -205.

Le salaire n'est donc pas la part du travailleur dans la marchandise qu'il a produite. Le salaire est la part de marchandise déjà existantes avec laquelle le capitaliste achète, pour son usage, une certaine somme de travail productif.
Le travail est donc une marchandise que son possesseur, le salarié, vend au capital. Pourquoi le vend-il ? Pour vivre.
Mais le travail est aussi l'activité vitale propre au travailleur, l'expression personnelle de sa vie. Et cette activité vitale, il la vend à un tiers pour s'assurer les moyens nécessaires à son existence. Si bien que son activité vitale n'est rien sinon l'unique moyen de subsistance. Il travaille pour vivre. Il ne compte point le travail en tant que tel comme faisant partie de sa vie ; c'est bien plutôt le sacrifice de cette vie. C'est une marchandise qu'il adjuge à un tiers. C'est pourquoi le produit de son activité n'est pas le but de son activité. Ce qu'il produit pour lui-même, ce n'est pas la soie qu'il tisse, l'or qu'il extrait de la mine, le palais qu'il élève. Ce qu'il produit pour lui-même, c'est le salaire ; et la soie, l'or, le palais se réduisent pour lui à une certaine quantité de moyens de subsistance, tels qu'une veste de coton, de la menue monnaie et le sous-sol où il habite. Voilà un ouvrier qui, tout au long de ses douze heures tisse, file, perce, tourne, bâtit, creuse, casse ou charrie des pierres. Ces douze heures de tissage, de filage, de perçage, de travail au tour ou à la pelle ou au marteau à tailler la pierre, l'ouvrier les considère-t-il comme une expression de son existence, y voit-il l'essentiel de sa vie ? Non, bien au contraire. La vie commence pour lui quand cette activité prend fin, à table, au bistrot, au lit. Les douze heures de travail n'ont pas de sens pour lui en ce qu'il les passe à tisser, à filer, à tourner, mais en ce qu'il gagne de quoi aller à table, au bistrot, au lit. Si le ver à soie filait pour joindre les deux bouts en demeurant chenille, il serait le salarié parfait.