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Nonchalance

 

Autour de Montaigne
Montaigne Présomption Une histoire de pierres Sagesse    

Etre libre et obéir

Vivre à propos

Savoir

Nonchaloir

Vertu joyeuse

Rester humain (dans une période inhumaine ) Zweig

Etre moral sans jamais être moralisateur

Accueillir l'autre, l'inédit, l'insolite

diversion Tolérance

 

Je n'avais jamais pris garde - et sans doute ne l'ai-je jamais su - que la nonchalance qui suggère un manque d'entrain, de soin du à l'insouciance ou à l'indifférence dérivât de chaloir - qu'on retrouve dans l'expression un brin précieuse et désuète peu me chaut - signifiant donner du prix, de l'importance, de la valeur. La nonchalance serait ainsi cet état résultant de l'indifférence nourrie à l'égard des choses, du monde, ou de cette indifférence qu'on aurait laissée vous envahir.

Est-ce une faiblesse ? Montaigne se la reproche parfois quand il se reconnaît se désintéresser totalement du quotidien en ses contraintes d'ailleurs comme en ses plaisirs. Ou ne pas toujours se soucier des conséquences de certaines de ses actions. Mais le plus souvent c'est moins de négligence dont il s'agit que de détachement. Un détachement qui n'a rien à voir avec l'isolement ou l'inaction mais consiste plutôt, de loin en loin, et avec le plus de discrétion possible, de mettre moins de prix aux choses et voir nos désirs moins fervents qui nous y reliaient. S'intéresser revient toujours à mettre entre nous et les choses quelque chose comme un prix, une valeur, un désir - inter-est. Nonchaloir c'est cesser de s'insinuer ainsi, non tout à fait se retirer mais devenir comme presque étranger. Signe de sagesse ou seulement de l'âge, de cette débilité de l'âme incapable désormais d'endurer les troubles inhérents à tout désir, non décidément l'ataraxie des sages ressemble plus à une mort cérébrale qu'à l'aboutissement d'une quête ?

Mais il s'agit bien pourtant des prémisses de la mort : de ces pans entiers de soi qui s'effritent insensiblement. Qui nous font moins nous sentir concernés par ce qui se passe autour de nous ; bien un peu encore par nos proches mais avec cette curieuse et si injuste sensation qu'ils s'éloignent de nous quand en réalité c'est nous qui laissons par inadvertance ou épuisement la distance se creuser. Qui vous préservent encore énergie et aménité pour entretenir relations amicales mais déjà plus pour en nouer de nouvelles et vous font ménager vos forces comme le ferait rentier timoré … avec l'anxiété qu'elles ne suffisent pas jusqu'à la fin. Avec cette envie, parfois, d'en finir parce que le sel s'en serait tari mais l'impuissance d'œuvrer à autre chose que l'attente. Quelle tragédie que de ne savoir jamais quand lâcher du lest. Partir trop tôt relève presque toujours de l'abandon, de la lâcheté et de l'infinie tristesse qu'on pourrait nommer dépression qui n'est cependant que l'état où vous mettent des mains qui ne parviennent plus à rien saisir. Partir trop tard c’est toujours boire le calice amer de l'humiliante décrépitude.

Je n'ai jamais su si l'on mourait de ne plus désirer ou si, au contraire, l'asthénie n'était que symptôme annonciateur. Vivre après tout c'est constamment insinuer de la différence entre soi et le monde ; mourir doit bien ressembler à y renoncer ou n'en être plus capable. Le veut-on ou y est-on spontanément conduit ? Je ne sais pas plus que je ne sais ce que signifie apprendre à mourir. Cesser d'en avoir peu ou simplement disposer en rang ses petites affaires pour qu'elle ne vous surprenne pas ?

En tout cas rien ne ressemble plus à la sagesse sereine que cette ataraxie négligente et à cet inquiétant étrangement qui vous saisit, de loin en loin ; de plus en plus souvent … tout le temps.

Bigre il est déjà difficile de vivre avec élégance ; décrépir sans vulgarité ?