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Tolérance

Autour de Montaigne
Montaigne Présomption Une histoire de pierres Sagesse    

Etre libre et obéir

Vivre à propos

Savoir

Nonchaloir

Vertu joyeuse

Rester humain (dans une période inhumaine ) Zweig

Etre moral sans jamais être moralisateur

Accueillir l'autre, l'inédit, l'insolite

diversion Tolérance

 

Si parfaits hommes qu'ils soient, ce sont toujours bien lourdement des hommes. III, 4 De la diversion

 

Je n'aurais certainement pas évoqué ce terme, tant il me paraissait évident s'agissant de Montaigne, si je n'avais fait, à propos de la diversion, ce parallèle avec Pascal. D'autant que le terme tolérance n'apparaît que deux fois dans les Essais non dans le sens moderne qu'il prendra au XVIIIe mais seulement dans celui de l'acceptation d'un mal ou d'une souffrance dans une certaine limite.

Mais entre un converti - au moins dans le sens où Pascal, subitement, fait peser le centre de gravité de ses préoccupations du côté de la religion plutôt que des sciences et Montaigne dont le catholicisme quoique proclamé - mais pouvait-on en ces temps troublés agir autrement - semble purement formel, une concession aux coutumes et lois de son pays à quoi il préconise par ailleurs de se soumettre par principe ; en tout cas n'être pas assis sur une foi solide ni une interrogation métaphysique radicale.

Les jugements à l'emporte-pièce - Le sot projet qu'il a de se peindre ! - les condamnations péremptoires - il ne pense qu'à mourir lâchement et mollement - m'ont toujours inquiété voire agacé. Je n'ignore rien des difficultés ni des pièges tendus sur le chemin de la connaissance et ai toujours considéré comme une évidence - mais d'où la tins-je donc ? - que si ce chemin menait pourtant bien quelque part en revanche il ne saurait comporter de terme, terminaison ou terminus accessible.

Je ne saurais considérer comme négligeable la formidable révolution scientifique et méthodologique que traduisent les travaux de Copernic, Galilée, Bacon et Descartes même si certains emportements - devenir comme maître et possesseur de la nature - me font sourire ou que le scientisme s'accrochant à l'espérance que rien ne vint jamais étayer que progrès des connaissances et des techniques assureraient nécessairement amélioration des conditions sociales et politiques voire même une humanité meilleure. Freud n'y crut pas une seconde : il n'eut pas tort. Jaurès y avait mis toute sa foi … mais c'était en lui le politique qui rêvait et s'affairait pour approcher cet idéal. Y crut-il si naïvement ?

Je sais - les exemples sont si nombreux - que si prudence et méthode assurent la possibilité de la preuve et de vérités provisoires et discutables, en revanche ni culture, connaissances ni surtout la raison ne prémunissent contre rien, ni contre l'erreur ni contre l'horreur ; et peuvent même à l'occasion devenir arme pour les justifier. Je songe évidemment à Heidegger au moins autant qu'aux heideggeriens qui ne surent pas toujours - et s'entêtent encore aujourd'hui - reconnaître ce qui pouvait se nicher de sulfureux non seulement dans le bonhomme mais surtout dans sa pensée ; mais aussi aux marxistes de tout poil qui mirent parfois du temps à comprendre ce qu'était Staline et ne voulurent pas voir le ver qui était dans le fruit au moins depuis Lénine voire Trotsky ; mais encore à Céline et autres - est-il véritablement nécessaire d'éplucher la liste des œuvres qui mériteraient de figurer au musée tératologique des illusions politiques et morales qui commence avec Platon et ne se terminera jamais …

Je me sens dans le paradoxe … mais pas dans la contradiction.

Persévérer sur les chemins de la connaissance y présumant les dangers de dogmatisme mais l'impuissance à en éviter le pire … ne vaudrait-il pas mieux prendre son bâton de pèlerin - de voyageur à l'instar de Montaigne - et, quitte à s'y perdre - s'égarer au moins dans l'action ? Mais ne serait-elle pas impuissante, aveugle pour le moins, action qui ne fût orientée par une pensée, une théorie quelconque ? mensongère une action prétendant ne l'être pas ?

S'attarder sur les chemins de la foi y sachant les pièges cruels sitôt qu'on oublie combien cette confiance accordée, cette parole donnée vaut engagement mais certainement pas connaissance. Qu'il est difficile de parler au nom de l'absolu ! N'oublier jamais qu'au mieux nous interprétons ; que l'absolu à quoi nous nous adossons nous a déjà échappé sitôt que nous tentons de nous le représenter.

Faut-il vraiment, pour prix d'une conversion sincère et d'un engagement total, faire ainsi montre, à l'instar de Pascal, d'une telle intransigeance dogmatique et d'un si hautain désamour de l'autre ?

La route semble bien barrée des deux côtés, tant celui de la religion que de la science ; de la foi que de la raison. Mais plutôt que de s'en affliger, s'en réjouir. Pour cette pesanteur qui, trop accentuée nous fait peut-être vulgaires, mais demeure néanmoins ce qui nous épargne les rodomontades sectaires les plus folles ou les divagations gnostiques les plus ésotériques. Il m'arrive d'être troublé par tel anachorète si fou de Dieu qu'il en vint à l'extrémité de se priver de tout jusqu'aux ultimes épluchures d'humanité lui tenant encore au corps ; d'être étonné par ces moines ivres plutôt de règles que d'humanité ; de vertu contrainte que de socialité inventée. J'en viens à aimer cette lourdeur qui nous épargne cette extrémité extatique ou cette intransigeance forcenée. J'en viens à penser que nos faiblesses nous sauvent.

Bien entendu la tolérance ne fut jamais vertu positive. Je ne supporte la différence de l'autre que pour n'être pas capable de le ramener à moi et n'être pas (totalement) certain de la véracité de ce que je pense. Bienheureuse fragilité de nos savoirs, salutaires défaillances de nos volontés, débilités de nos efforts qui nous épargnent le pire.

Qu'on ne se méprenne pas : les grandes catastrophes ne viennent pas des scientifiques. Les savants fous sont imaginaire de dessinateurs. Des techniciens, aisément ! des hommes de pouvoirs, souvent. Des théologiens ? Parfois parce que dans tout religieux - même homme de théorie - demeure l'âme du berger obsédé de ramener le troupeau sous sa férule.

Serait ce, sinon le propre, en tout cas l'issue la plus favorable de l'homme que d'être ainsi impuissant à agir et si débile à penser ?