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Sapientia

 

Autour de Montaigne
Montaigne Présomption Une histoire de pierres Sagesse    

Etre libre et obéir

Vivre à propos

Savoir

Vertu joyeuse

Rester humain (dans une période inhumaine ) Zweig

Etre moral sans jamais être moralisateur

Accueillir l'autre, l'inédit, l'insolite

diversion Tolérance

 

Je ne suis pas certain d'exactement savoir de quoi l'on parle quand on évoque la sagesse, ni d'ailleurs qu'il faille nécessairement puiser dans notre passé grec ou romain pour le correctement saisir. Je sais seulement qu'elle entre dans la composition du mot philosophie. Pour autant qu'il s'agisse non pas seulement de connaissance mais de cette sorte de savoir qu'il importe de vivre ou, si l'on préfère, de cette obligation qui pousse si ardemment à vivre et agir en conformité avec ce que l'on pense, alors oui elle est ce qui orienta mon parcours plutôt vers la philosophie que vers les sciencees. Même si, mon commerce assez difficile avec l'abstraction mathématique justifia par avance cette inclination.

Quelque chose dans la philosophie m'y justifiait par avance : qu'on s'y préoccupa, certes du monde, mais de la relation au monde. Je compris plus tard, qu'écrire ainsi ami de la sagesse, plutôt que sage, était non seulement manière de ne jamais pouvoir prétendre avoir atteint la sagesse - jolie manière d'esquiver le risque de la présomption et de l'outrecuidance mais encore vouloir maintenir serré le lien entre le sujet de la connaissance et l'objet.

J'aime assez que σοφία désigne d'abord cette habileté manuelle - jusque dans l'art de jouer lyre ou flute - avant de désigner science et enfin sagesse pratique, voire même ruse. Cette habileté me convient non pour les circonvolutions et autres détours qu'elle impliquerait que pour le lien qu'elle tente de maintenir entre pensée et acte. Au point qu'aujourd'hui encore je ne conçois pas de chemin qui te tente de conciler pensée et action ; ni donc de connaissance qui n'eût pas de valeur morale.

Je n'ignore pas combien à sagesse sont liées des notions parfaitement convenues comme tempérance, mesure, prudence, rien a priori qui pût tenter une jeune âme trempée d'impatiences. Ce fut bien pourtant, d'emblée, la dimension morale qui m'attira sans doute parce que je n'aurai pas supporté longtemps de me consacrer à un savoir qui n'eût triomphé que dans les limites étroites d'un laboratoire.

La Grèce en connut sept - dit-on - pas vraiment philosophes mais hommes avisés souvent résumés par un apophtegme. Je retiens Solon pour son Rien de trop et Cléobule pour son La mesure est le mieux

Je crois encore plus aimer la sapientia latine pour le goût, la saveur que le terme recèle. La sagesse a de la saveur ou permet d'en donner aux choses. J'y retrouve cette même idée que dans cet ornement des femmes - ce second sens qui m'avait tellement surpris dans les mundus latin et cosmos grec - mais encore dans l'œuvre d'H Arendt. La sagesse est cet ornement - ce qui permet à nos existences d'avoir un sens - à tout le moins de le chercher- mais en réalité de le donner parce que ce sera un sens humain surtout.

Tous les discours s'accordent pour considérer en la sagesse un cheminement personnel que nul ne pourrait emprunter à votre place non plus que vous en enseigner parcours, précautions, écueils. Qu'il n'est nulle part, pour reprendre expression de Bergson de cahier du maître où puiser leçon à apprendre . Castoriadis avait relevé que les grecs purent inventer à la fois la philosophie et la démocratie précisément parce qu'il n'y avait pas chez eux de textes sacrés qu'il n'y eût indéfiniment qu'à commenter mais formaient dès lors comme une butée au-delà de quoi il était impossible de remonter. Montaigne, quoique catholique aura vécu en ses temps de troubles combien le dogme religieux était plus souvent source de divisions, de rejets, d'intolérances et d'atrocité que de bienveillance ou de charité ; qu'il n'était pas plus de conseils fiables à rechercher du côté de ce qu'il nomme sectes philosophiques tant et si bien qu'à la fin il ne perçoit pas plus de secours chez les stoïciens que chez les épicuriens.

Demeure néanmoins l'exemple, pour lui indépassable, de Socrate qui lui paraîtra le modèle même du Sage quand tous les autres finiront toujours par se voir opposer nuances ou critiques quand ce ne sera pas distance prise. Qu'y honorera-t-il ? Sans doute, en sus des deux préceptes repris du Connais-toi toi-même et du Rien de trop, cette capacité de parler simplement à tout le monde, sans s'empêtrer d'honneurs imbéciles ou de préciosités ridicules. Cette ferme détermination d'aller jusqu'au bout, quitte à en mourir ; de respecter les lois de la Cité quand même il se sait victime d'une injustice.

Les temps d'incertitudes rendent plus désirables que jamais les prêts-à-penser ou les vademecum pseudo-déontologiques. Le sens commun y plonge avec avidité et les élites cultivées et supposées sagaces n'y résistent que trop peu. Jamais les incantations morales ou moralisatrices n'ont tant fait florès que depuis que notre temps s'affiche au bord du gouffre et comme paralysé à l'idée de réagir. Au même titre d'ailleurs que Marx eut assez vite repéré combien toute naturalisation d'un phénomène équivalait à sa neutralisation politique. On pourrait en dire autant de la technique. Il n'est pas manière plus vertueuse qu'une autre de planter clou dans un mur. Lisons seulement ce qui s'enseigne du côté des managers - notamment des ressources humaines - pour comprendre que morale ou déontologie s'enseignent désormais comme recette de sauce béchamèle !

La technique est tellement plus confortable que la morale ; la montée en compétence que la vertu !

Sommes-nous si loin de ce XVIIe de Montaigne ? Pas tant que cela ! Soyons lucides : nos repères sont désormais troubles qui nous indiquent au mieux ce que nous ne voulons pas mais certainement plus - si ce fut jamais le cas - ce que vous pouvons ou devrions faire. Les positions des uns et des autres se figent et l'horizon paraît bouché. J'essaie d'imaginer durant ces si longues années de guerre de religion, ce que pouvait ressentir un humaniste face à de tels déchaînements : ceci ne paraît pas si difficile tant aujourd'hui aussi les espérances les mieux installées se sont également dispersées et les rejets les plus odieux sont devenus la règle.

Pourtant Montaigne ne se réfugie dans auxun dogme, ne fuit rien, poursuit seulement sa recherche. Tentant de vivre, comme il peut, avec le peu qu'il sait et ce tout auquel il tient. Je crois bien que la sagesse c'est cela.

J'entends bien qu'on dise que philosopher c'est apprendre à mourir - pour peu que l'on entende que la dignité avec laquelle on parvient parfois signe celle de la vie qu'on aura menée - je sais qu'on peut tout aussi bien énoncer que philosopher ce soit apprendre à vivre. Pire en dépit de toutes les nuances qu'on y pourrait insérer, je ne vois pas tant de différences entre ces deux affirmations qui ne m'éclairent pas sur cette sagesse que l'on est supposée poursuivre.

Quelques axes cependant en forme parfois de questions

Vivre à propos

Etre libre et obéir

« Le glorieux chef-d'oeuvre de l'homme, c'est vivre à propos. Toutes autres choses ; regner, thesauriser, bastir, n'en sont qu'appendicules et adminicules, pour le plus.  » III, 13, De l'expérience

Vertu joyeuse

Rester humain (dans une période inhumaine ) Zweig

Etre moral sans jamais être moralisateur

Accueillir l'autre, l'inédit, l'insolite