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Montaigne

 

Autour de Montaigne
Montaigne Présomption Une histoire de pierres Sagesse    

Etre libre et obéir

Vivre à propos

Savoir

Vertu joyeuse

Rester humain (dans une période inhumaine ) Zweig

Etre moral sans jamais être moralisateur

Accueillir l'autre, l'inédit, l'insolite

diversion Tolérance

 

Je crois bien ne pas m'en lasser : depuis une bonne grosse année, j'erre dans les Essais, y entre en sort comme si j'y étais chez moi, ou que l'homme, proche comme le peut être un ami, fût enfin parvenu à me parler ou, soyons plus juste et humble, que je fusse enfin mieux disposé à l'entendre ou capable de le comprendre.

Il est de ces auteurs que, de mon temps, l'on étudiait en classe de 2e (XVIe et XVIIe) quand les XVIIIe et XIXe étaient réservés à la classe de 1e … Bref un littéraire que sitôt en classe de philosophie je m'empressai d'oublier et qui m'avait laissé, certes, le souvenir d'une assez jolie langue, exotique parce que baroque, mais aussi celui de confessions un peu balourdes, empesées de références latines souvent précieuses, et pire, d'arguments parfois confus parce que sans ligne directrice claire …

Bref je passai à côté.

Est-il d'ailleurs auteur pour jeune adolescent finissant ? Au même titre, qu'à tort, on qualifiait alors Camus, avec un incroyable mépris, de « philosophe pour classes terminales », Montaigne ne serait-il pas quant à lui, auteur pour adultes d'âge avancé ?

C'est en tout cas ce que Zweig entendait qui confesse, comme je le fais ici, n'y avoir d'abord rien entendu qui convînt à sa jeune ambition. [1]

Je n'aime pourtant pas ces raccourcis vertigineux mais ce n'est sans doute pas un hasard si, à l'aube de ma vie intellectuelle, je fus plutôt séduit par les provocations parfois fantasques d'un Nietzsche, les sombres désespérances d'un Cioran, les humiliations freudiennes ou les délicieuses ambivalences bachelardiennes qui dessinèrent pour moi un sentier entre une sensibilité que je ne parvenais pas tout-à-fait à taire et la rigueur scientifique qui me passionnait sans que je parvinsse jamais à m'en hisser à hauteur. Sans évoquer même les controverses marxistes et/ou structuralistes où chacun jouait à qui offrirait les armoiries de scientificité les plus présentables !

Mais Montaigne demeura longtemps pour moi un monument qu'il fallait avoir lu, que j'avais à peu près lu en son temps … puis complètement oublié.

Il m'est revenu … comme une promesse à tenir enfin. Je tourne autour depuis bientôt deux ans et comprends lentement combien je n'y avais rien vu, entendu ni compris mais que surtout, cela aura été inévitable. La philosophie, comme les arts, est affaire de dialogue, décidément. Il faut y être deux. Lire c'est sans doute écouter, se tenir prêt et peut-être même reconstruire. Comment m'est-il revenu ? je ne sais.

Peut-être inconsciemment à cause de ce qu'illustre ce passage de Serres dans son La Fontaine :

« Ecoutez Bach, criez d'aise : qu'il calcule, mesure et construit en rigueur ! Oyez Couperin, vous hochez la tête: que cela sonne charmant et mélancolique ! Lisez Kant : tudieu, quel édifice, de la base au faîte ! Hegel, quel implacable mouvement ! ! Mais Montaigne sourit avec désinvolture, Rousseau pleure de sentiment et Diderot, l'espiègle, fait rire de dérision ! »

Pas de système ici, ni de longues et arides démonstrations où l'homme disparaît par trop sous les volutes dialectiques. Il y a sans doute une marque à la française en cette philosophie du XVIIe qui se perdra dans la philosophie allemande et le grand complexe de la scientificité dont la modernité ne s'est pas (encore) défaite. Je n'y voudrais lire aucune connotation nationaliste : seulement ce qui lentement s'égara de l'héritage grec qui écrivait philosophe - ami de la sagesse - et non sage, n'écrasait pas l'humain sous une architecture sophistiquée mais froide.

Ce qui fait l'originalité de la philosophie et m'y poussa. M'y fait obstinément persister.

 


 


1) Zweig Sur Montaigne ( début)

Il est quelques rares écrivains qui s'ouvrent à tout lecteur, quel que soit son âge,  à tout moment de sa vie : Homère, Shakespeare, Goethe, Balzac, Tolstoï, mais il en est d'autres dont la signification ne se révèle pleinement qu'à un moment précis. Montaigne est l'un de ceux-là. Il ne faut pas  être trop jeune, trop vierge d'expériences et de déceptions pour pouvoir reconnaître sa vraie valeur, et c'est à une génération comme la nôtre, jetée par Je destin dans un monde qui s'écroulait en cataracte, que la liberté et la rectitude de sa pensée apporteront l'aide la plus précieuse. Seul celui qui, dans le bouleversement de son âme, est contraint de vivre une époque où la guerre, la violence, la tyrannie des idéologies menacent la vie même de chacun et, dans cette vie, sa substance la plus précieuse, la liberté de l'âme, peut savoir combien il faut de courage, de droiture, d'énergie, pour rester fidèle à son moi le plus profond, en ces temps où la folie s'empare des masses. Il faut d'abord avoir soi-même douté et désespéré de la raison, de la dignité de l'homme, pour pouvoir louer l'acte exemplaire de celui qui reste debout dans le chaos du monde.

Que seul un homme mûr, marqué par les épreuves, puisse reconnaître à leur vraie valeur la sagesse et la grandeur de Montaigne, j'en ai fait l'expérience sur moi-même.