Elysées 2012

Mais où est passée Joly ?

Ce n'est pas tant qu'elle soit inaudible, comme le suggère cet article du Monde * : elle est bien plutôt absente. Certes, elle fait campagne, mais où ? Tout a l'air de se passer comme si elle désirait demeurer dans le cénacle étroit de ses propres troupes. Toujours est-il qu'elle ne passe pas la barre des médias. Cela faisait longtemps qu'un article ne lui était pas consacré dans la presse nationale, en tout cas.

Ce que souligne cet article c'est combien une campagne présidentielle exige à la fois de cohérence et de simplicité du discours où semble-t-il défaille Joly.

On ne s'adresse pas au pays avec des thèmes multiples, tournoyants ou trop complexes. La ligne directrice doit être évidente, c'est dire que l'électorat doit pouvoir associer un candidat avec un mot d'ordre.

On n'est pas si loin que cela du slogan. Non plus que du storytelling.

Dilemme

δί-λημμα en grec est un raisonnement comprenant deux prémisses contradictoires, mais menant à une même conclusion, laquelle par conséquent s'impose.

Cette définition logique correspond mieux à la situation de Joly que celle usuelle qui veut que le dilemme soit une situation qui offre une alternative, menant à des résultats différents, dont les deux partis sont d'égal intérêt.

En effet, Joly est partagée entre deux tentations :

- développer les motifs écologiques de son engagement, au risque de ne pas proposer un projet global pour le pays mais seulement une coloration environnementale d'autant plus insuffisante à susciter l'adhésion que ces préoccupations environnementales pourraient parfaitement être prises en charge par la gauche, voire, pour certains, par la droite ; au risque donc de n'apparaître que comme une candidate d'appoint, de témoignage pour bobos finissants ou anarchos romantiques...

- développer un projet global au risque double d'y noyer la connotation développement durable et surtout de faire une campagne technique, économico-financière - actualité oblige - qui sonne technocratique mais détourne l'électeur.

Même résultat pour des prémisses contraires : c'est bien un dilemme.

Et ce l'est d'autant plus que dans les deux cas ce ne sont pas les mêmes cibles que l'on cherche à atteindre. Ce qui est un manquement évident à la première règle de la communication : le destinataire.

Pas de destinataire clairement identifié, pas de message précisément défini ... alors pourquoi faire cette campagne ?

On en viendrait presque à penser que c'était Cohn Bendit qui avait raison lequel a toujours estimé que la présence des écologistes aux présidentielles était superflue et, surtout, contre-productive ; qu'il eût mieux valu peser sur la gauche en négociant des accords solides pour les législatives suivantes plutôt que de se compter aux présidentielles avec un score inévitablement décevant qui risque d'effacer les précédents excellents scores aux régionales et européennes.

A suivre ...


Le Monde du 8 Oct 11

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La campagne d'Eva Joly ne fait pas l'unanimité dans son camp. " Elle a des difficultés à communiquer, et ne peut s'appuyer sur une ligne politique claire. Résultat, ça patine forcément ", estime un ponte d'Europe Ecologie-Les Verts.

Le 9 septembre, la candidate à l'élection présidentielle se trouvait à Marseille pour le lancement de sa campagne dans les Bouches-du-Rhône. Ils étaient venus nombreux, les militants locaux, pour parler à " Eva ", donner un coup de main, transporter les journalistes. Vint la conférence de presse, à laquelle ils souhaitèrent assister.

Et là, face à une assistance qui était venue parler politique, vision de la société, et, plus généralement, " sens de la vie ", la candidate se livra à un long exposé sur le G20, la situation des banques, la nécessaire mutualisation des dettes au niveau européen. Flottement dans la salle, départs sur la pointe des pieds. Une jeune femme, un peu embarrassée, lance tout bas : " Faut suivre, hein ? "

On touche là à l'une des difficultés de la campagne de Mme Joly : l'aspect trop souvent technocratique de ses propos et des sujets qu'elle aborde. " Son refus de la démagogie plaît, car les gens comprennent qu'elle, au moins, ne va pas les tromper ", assure cependant l'eurodéputé Yannick Jadot.

Bien vu. En janvier, selon un sondage de l'institut LH2, Mme Joly était jugée " compétente " et " honnête " par 84 % des personnes interrogées, et " efficace dans les causes qu'elle défend " (79 %). Pourtant, les intentions de vote restent stables, voire en baisse. On en vient à se féliciter, chez EE-LV, de rester au-dessus des 5 %...

Pourquoi la campagne d'Eva Joly montre-t-elle ces signes d'essoufflement ? Le politologue Roland Cayrol, directeur de recherche associé au Cevipof, partage le sentiment de certains militants marseillais : " La candidate est poussée à une communication très technique de par sa formation de juriste, et en raison d'une volonté évidente de crédibiliser sa campagne. Mais cela la banalise, et l'empêche d'émerger médiatiquement. "

Cette absence de percée médiatique est aussi, et surtout, liée à la stratégie de campagne des écologistes. Quelle vision de la société la candidate doit-elle porter ? Il est pour le moment bien difficile de répondre. Résultat : sans ce nécessaire cadre théorique, les interventions d'Eva Joly oscillent entre la compassion naturelle envers les plus faibles, qui s'exprime sur un mode affectif et intimiste lors d'apartés, et des moments de très grande technicité. Un changement de répertoire qui déroute.

Sur le fond, EE-LV est aujourd'hui partagé entre deux lignes politiques très distinctes. " Souvent silencieuse, Eva Joly hoche la tête et se réfugie dans ses notes quand les gens s'affrontent autour d'elle lors des réunions de campagne ", déplore un cadre d'EE-LV.

D'un côté, donc, les tenants d'un Etat fort, restauré dans ses prérogatives. Cette mouvance est incarnée à EE-LV par des proches de Noël Mamère, comme Patrick Farbiaz, très actif au sein du mouvement, notamment sur les dossiers internationaux, ou Sergio Coronado, désormais directeur de campagne d'Eva Joly. " Eux, c'est la vieille gauche ", assène l'avocat Pascal Durand, porte-parole du parti et proche de Nicolas Hulot.

La " vieille gauche " a fort à faire avec ceux qui défendent une vision plus " libertaire", centrée sur les notions de démocratie, d'autonomie, et ce à tous les étages de la société. Cette mouvance rassemble tous les proches de Daniel Cohn-Bendit, et nombre d'eurodéputés, parmi lesquels Yannick Jadot, José Bové et Pascal Canfin.

Il y a donc deux lignes, et deux électorats différents en vue. La " vieille gauche " rêve de conquérir enfin les " classes laborieuses ", et voudrait les détourner du FN, tandis que les " libertaires " s'adressent aux urbains des centres-villes. " Prendre des voix au FN est un pur fantasme ", s'agace M. Jadot. "

On doit s'adresser à ceux qui regardent TF1 et votent Marine Le Pen ! ", réplique au contraire Patrick Farbiaz. " L'électorat vert reste issu des classes moyennes, il est très éduqué, et se recrute parmi les chercheurs et les enseignants ", tranche Guillaume Sainteny, auteur de L'Introuvable Ecologisme français (PUF, 2000).

Eva Joly, femme d'autorité pour qui le respect de la loi prime sur tout, semble parfois pencher en faveur de la " vieille gauche ". Lors de la présentation, mercredi 5 octobre, du contre-budget 2012 des Verts, la candidate, plongée dans ses notes, a défendu la retraite à 60 ans, fustigé ceux qui défendent l'austérité, plaidé pour des tranches supplémentaires à l'impôt sur le revenu allant jusqu'à 70 % au-delà de 500 000 euros.

Un discours économique et social proche de celui du candidat du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui, lui, a nettement " verdi " ses propos (l'un des chapitres de son programme est consacré à la " planification écologique "). Le choix de cette ligne n'est pas sans danger. " Si les écologistes optaient pour un virage à gauche, ils pourraient se retrouver sur le terrain de Mélenchon et voir leur espace se réduire ", pense Roland Cayrol.

Un tel flottement idéologique s'explique aisément. EE-LV a été fondé en novembre 2010, il y a moins d'un an, résultat de la fusion d'Europe Ecologie, artisan de la victoire aux élections européennes de 2009, et des Verts, fondés en 1984. Alliance des carpes et des lapins, avait-on critiqué à l'époque. Dans l'euphorie de la fusion et des victoires à venir, Yannick Jadot avait répliqué : " C'est justement parce qu'il n'y a pas de réponse miracle à cette crise qu'il nous faut des carpes et des lapins ! " De la fructueuse alliance des contraires devait naître une approche politique nouvelle en ces temps troublés, croyait-on.

Les limites de cet attelage apparaissent aujourd'hui, dans la difficulté à défendre un programme pour la présidentielle qui reflète ces sensibilités.

" La ligne politique, c'est vrai qu'elle oscille, et qu'il va falloir la finaliser ", euphémise un membre de la direction. A six mois du premier tour, il n'est que temps. Anne-Sophie Mercier