Elysées 2012

Phrases cultes

Vous n'avez pas le monopole :

- du coeur (Giscard à Mitterrand : débat de 74)

- du coeur des chiens et des chats (Mitterrand à Chirac : débat de 88)

- de la gauche (Valls à Montebourg : 2e débat pour les primaires Sept 2011)

De ces phrases dont on dit qu'elles marquent... qui répétées finissent par lasser. Beauté de l'implicite pourtant qui parfois se joue de l'ironie ; façon comme une autre de se raccrocher au passé, de tenir le fil rompu pour la gauche. De rappeler ce que l'affaissement du parlement de la Ve aura fait disparaître : les grands tribuns.

Sous le discours énarque, compassé du technicien sûr de lui et des prérogatives de son jardon, comment ne pas regretter les Clemenceau , Jaurès, Briand ou Blum ; les Danton ou Robespierre ; mais les Thiers, Barrès Caillaux ; de Gaulle enfin, qui tout militaire s'y entendait plutôt bien.

Ne jamais l'oublier, le politique ce sont d'abord des mots, des phrases, des envolées, lyrique, passionnées ou dramatiques. Du discours !

A cela Guaino qui écrivit les discours de Sarkozy s'y entendait plutôt bien. Il faut réécouter le discours de candidature devant l'UMP ou celui de Toulouse pour le comprendre. Quelque chose avait résonné alors mais l'écho ne l'a pas redit.

Jaurès à ce jeu-là dit-on était imbattable que l'on venait écouter et admirer même quand on était de l'autre bord.

« De l’accent, oui, mais on sourit à peine. D’ailleurs, c’est l’accent de l’airain. (…) Jaurès va et vient sur la scène. (…) Il parle plus souvent à sa gauche et à sa droite qu’au public lointain. Sans doute il cherche, il tire à lui les visages. (…) Il varie peu ses gestes courts, mais bien chargés de vie. Les bras se relayent. Une main se repose dans la poche ou derrière le dos. L’autre, d’un doigt, désigne le sol (Jaurès explique alors, affirme, et met en demeure), ou, du doigt, elle frappe à petits coups (…) horizontaux, elle ne se lasse pas de frapper, au front, les milliers de têtes. Quelquefois, pour achever une période, les deux bras se lèvent ensemble et s’agitent, éperdus, mais l’homme massif tient à la terre. (…) Ses plus belles images, il donne l’impression (…) qu’il les travaille sur place, qu’il se les arrache avec effort, certains mots craquent comme des racines. Puis, soudain, l’image jaillit, monte libre et se développe, une image de prosateur lyrique, pleine, importante et claire, qui plane en sécurité sur la foule. (…) Et on admire ce que Jaurès peut faire entrer, ordonner dans une phrase (1)

Lyrisme oui dans ce discours de 93 que cette puissante évocation du mouvement de libération initié par la république :

Eh bien ! vous, vous avez interrompu la vieille chanson qui berçait la misère humaine...et la misère humaine s’est réveillée avec des cris, elle s’est dressée devant vous et elle réclame aujourd’hui sa place, sa large place au soleil du monde naturel, le seul que vous n’ayez point pâli.

Plus personne n'oserait parler ainsi et il me vient souvent de le regretter. Ne demeurent désormais que les bons mots, les saillies, les petites phrases ... les slogans tout ce que le temps court, pressé et empressé des médias autorise.


1) Jules Renard cité par
Jean RABAUT, Jean Jaurès, préface de Michel Rocard, Paris, Librairie Perrin, 1981, p. 108