Elysées 2012

Sauver les banques

Encore un sommet à Berlin, pour sauver les banques européennes. Le Monde consacre à la crise un dossier. La question, dans sa dimension économique et financière, échappe à notre objet, à mes compétences surtout...

Remarquons néanmoins ceci :

- le système ne se remet décidément pas de la crise de 2008, rampante, désastreuse, qui aura déjà mis l'économie occidentale à terre. Or, cette crise venait déjà du système bancaire, des dysfonctionnements de ce système.

- la logique libérale aura tellement affaissé le rôle et la puissance des états que ces derniers sont incapables désormais de contrôler, encore moins de sanctionner les manquements du système financier à des règles que ce dernier d'ailleurs refuse et que les états sont incapables de lui imposer . Rien n'est plus triste à cet égard que les grands élans sarkozystes de 2010 visant à réformer tout le système capitaliste qui ne se seront soldés que par des mesures bouche-trous dont on comprend aujourd'hui qu'elles ne furent que provisoires.

- la pression des marchés et des grands idéologues libéraux aboutit qu'on le veuille ou non à une pratique simple qui sonne comme un slogan Privatisons les gains, mutualisons les pertes. Le choc des crises financières se prolonge toujours dans l'économie réelle et ceux en fin de compte qui paient, ce sont toujours les acteurs premiers : les travailleurs, le peuple.

- On ne mesure pas assez l'effet politique d'un tel dispositif : il est désastreux. Le libéralisme aura déjà confisqué le politique au profit de l'économique. Le financier l'aura mis à terre. Comment ne pas comprendre que, demain, inévitablement, la hargne, la colère finiront par éclater devant ce hold-up qui fait outrancièrement s'enrichir les riches, et appauvrir les pauvres ?

- Comment ne pas comprendre que les slogans des années trente - le mur de l'argent , les cent familles retrouvent subitement une telle actualité qu'à peine modernisés ils peuvent désormais être réutilisés.

- Comment ne pas deviner que pointe, à peine camouflée, la vieille haine pour l'argent apatride sur laquelle surfe la peste brune, avec une délectation - vite antisémite - à peine dissimulée ? Ce système, décidément, joue avec le feu.

- Comment ne pas comprendre l'immense responsabilité de la gauche qui ne saurait se contenter de proposer des pansements sociaux mais devrait, courageusement, assumer sa part en proposant de réelles alternatives, radicales s'il le faut. Ce que Montebourg ou Mélenchon ont compris ; mais pas Hollande, ni vraiment Aubry.

Souvenirs positivistes

Le banquier est en réalité à la croisée de toutes nos ambivalences. D'un côté, l'usurier, tel qu'Aristote l'avait défini, de l'autre l'homme du lien social d'A Comte. D'un côté, celui qui nourrit sa richesse sans la fonder jamais sur du travail ; de l'autre, celui qui doit, dans l'invraisemblable plan comtien d'une société positiviste, assurer la fonction amoureuse. Les trois fonctions élémentaires - agir, penser, ressentir - avaient en effet été distribuées par Comte entre l'entrepreneur, le banquier et le prêtre de l'humanité. Le banquier devant diriger la société pour ce qu'il est à la fois le liant social et l'intermédiaire entre l'action pure de la production et la contemplation pure qu'assume le prêtre de l'humanité.

Le règne du banquier ? Mais nous y voici, avec les conséquences que l'on sait !

La métaphysique de la finance- ainsi que l'évoquait Alain ? Mais nous y voilà avec le désarroi jésuite que l'on observe !


1)Aristote Politique, I, 3, 23, 1258b

§ 23. L'acquisition des biens étant double, comme nous l'avons vu, c'est-à-dire à la fois commerciale et domestique, celle-ci nécessaire et estimée à bon droit, celle-là dédaignée [1258b] non moins justement comme n'étant pas naturelle, et ne résultant que du colportage des objets, on a surtout raison d'exécrer l'usure, parce qu'elle est un mode d'acquisition né de l'argent lui-même, et ne lui donnant pas la destination pour laquelle on l'avait créé. L'argent ne devait servir qu'à l'échange; et l'intérêt qu'on en tire le multiplie lui-même, comme l'indique assez le nom que lui donne la langue grecque. Les pères ici sont absolument semblables aux enfants. L'intérêt est de l'argent issu d'argent, et c'est de toutes les acquisitions celle qui est la plus contraire à la nature.

Lire à ce propos JP Vernant

La richesse a remplacé toutes les valeurs aristocratiques : mariage, honneurs, privilèges, réputation, pouvoir, elle peut tout procurer. Désormais, c’est l’argent qui compte, l’argent qui fait l’homme. Or, contrairement à toutes les autres « puissances », la richesse ne comporte aucune limite : rien en elle qui puisse marquer son terme, la borner, l’accomplir. L’essence de la richesse, c’est la démesure … Tel est le thème qui revient, de façon obsédante, dans la pensée morale du - 6ème siècle. Aux formules de Solon, passées en proverbes : « pas de terme à la richesse... », font écho les paroles de Theognis : « ceux qui ont aujourd’hui le plus en convoitent le double. La richesse …devient chez l’homme folie... » Qui possède veut plus encore. La richesse finit par n’avoir plus d’autre objet qu’elle-même ; faite pour satisfaire les besoins de la vie, simple moyen de subsistance, elle devient sa propre fin, elle se pose comme besoin universel, insatiable, illimité, que rien ne pourra jamais assouvir. A la racine de la richesse on découvre donc une nature viciée, une volonté déviée et mauvaise… : désir d’avoir plus que les autres, plus que sa part, toute part.. En contraste avec l’hubris du riche se dessine l’idéal de la sophrosunè. Il est fait de tempérance, de proportion, de juste mesure, de juste milieu. « Rien de trop », telle est la formule de la sagesse nouvelle. Cette valorisation du pondéré, du médiateur, donne à l’aretè grecque comme un aspect « bourgeois » : c’est la classe moyenne qui pourra jouer dans la cité le rôle de modérateur en établissant un équilibre entre les extrêmes des deux bords : la minorité des riches qui veulent tout conserver, la foule des gens de rien qui veulent tout obtenir.

Jean-Pierre Vernant, Les origines de la pensée grecque, PUF, Quadrige, pp. 80-82.

Alain, Propos

Heureux les métaphysiciens de philosophie et de physique ; car s'ils se trompent, cela est sans conséquence ; il leur est bien facile de l'ignorer ; l'expérience est complaisante. Les métaphysiciens de finance sont moins bien placés ; le petit boutiquier, le petit artisan, le petit rentier sont au bout du fil ; et ils ne sont point dans une situation à tout croire, car il y a l'impôt et le chômage, qui sont des suites trop réelles de la métaphysique financière. On ne joue pas avec les besoins. C'est toujours l'économique qui nous rend sages. Quelles folles idées nous formons, sur l'univers, sur les dieux, et sur nous-mêmes, dès que l'erreur n'a pas pour conséquence la faim.